Vingt-six ans après la restauration de la démocratie, les rapports entre la police et la population sont toujours marqués du sceau de la méfiance voire de la défiance.
On aurait certainement pu s’en passer. On en avait, sans doute, pas besoin. Mais, c’est une information majeure, le fait marquant de la semaine écoulée. Vingt-six ans après la restauration de la démocratie, 24 ans après la mise en place d’un organe de régulation de la communication, les rédactions du groupe de presse Nord éditions ont été victimes d’une rafle sans précédent. Pour quelles raisons ? Certains évoquent une mesure de rétorsion à la suite d’articles dénonçant le rôle supposé du roi du Maroc dans la crise postélectorale. D’autres parlent d’une colère provoquée par un article évoquant une probable garde à vue du directeur général de la Documentation et de l’immigration dans les locaux de la contre-ingérence militaire.
Selon de nombreux confrères, des agents de police en civil, lourdement armés, ont pris d’assaut le siège du groupe de presse, le 3 novembre dernier aux environs de 10h. Toutes les personnes présentes sur les lieux auraient été arrêtées. Sans distinction aucune. Et pourtant, une salle de rédaction est un lieu de travail. Faut-il le rappeler ? C’est aussi un lieu de passage et brassage. Doit-on le répéter ? Toute personne concernée par un article ou désireuse de faire passer une information peut s’y retrouver. Comme partout, on peut aussi y croiser des parents, amis et connaissances des journalistes. N’empêche, sans se soucier du qu’en dira-t-on, la police a fait le choix d’interpeller tous les présents. Outre Yannick Oumar du service marketing, nos confrères Achille Patrick Didoumou, Clainie Obone, Tatiana Mengue, Annick Okome, Carrene Moandjoudy et Yannick Osni ont été mis aux arrêts. Le lendemain, on ne savait toujours pas grand-chose des raisons de cette rafle.
Principes fondamentaux
Seulement, la liberté de presse est l’un des fondements de la démocratie. Elle repose sur la liberté d’opinion et la liberté d’expression. Entraver le libre exercice de ces libertés revient à fouler au pied les dispositions de la Déclaration de droits de l’homme et du citoyen de 1789 et de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, annexées à la Constitution de notre pays. Les pouvoirs publics ayant le devoir de défendre le bloc de constitutionnalité, leur action doit s’inscrire dans le strict respect de certains principes. La police ne saurait, par conséquent, organiser des expéditions punitives sur un coup de tête. Elle ne doit opérer hors de tout cadre légal et sans tenir compte de la sécurité, de la morale, de la tranquillité et de la paix. Elle ne peut agir par vengeance, revanche ou pour laver l’honneur d’un de ses agents voire pour les beaux yeux d’un dirigeant politique, fut-il important.
Ces principes fondamentaux, les forces sociales nationales les ont énumérés en 1990 lors de la Conférence nationale. Elles les ont réaffirmés lors des luttes sociales et politiques. Mais, les vieilles habitudes ont la vie dure. Les détenteurs de l’autorité publique se sentent investis d’un pouvoir sur le peuple, si ce n’est d’un droit de vie ou de mort sur les citoyens lambda. Leurs certitudes se fondent sur les protections dont ils bénéficient, sur un sentiment d’impunité et sur les collusions politiques existantes. Absente de la salle de rédaction la veille, Raïssa Oy’Asseko, rédacteur en chef adjoint, a même été interpellée le lendemain. Elle aurait été cueillie en matinée devant son domicile.
Mal-être policier
Il ne faut nullement minimiser ou chercher des circonstances atténuantes à ces pratiques d’un autre âge. Le Gabon se veut un Etat organisé. Des voies de recours pour les délits de presse sont clairement mentionnées dans les lois et règlements nationaux. Les institutions responsables aussi sont formellement identifiées. Pour la police, il aurait été plus honorable de s’y plier. Sa volonté de se faire justice ou de montrer sa puissance l’a définitivement plongée dans les abîmes du discrédit et du déshonneur. La sûreté et la protection des droits humains étant au cœur de sa mission, son efficacité et sa légitimité procèdent de la confiance des populations et non de ses liens avec la classe dirigeante.
Pour être respectée et se faire obéir, la police n’a pas besoin d’utiliser systématiquement la force. Surtout dans un Etat démocratique, où elle doit pouvoir bénéficier du soutien l’opinion publique et de la coopération de la population. Malheureusement, au Gabon, ses rapports avec la population sont trop marqués du sceau de la méfiance voire de la défiance. Même si ses dirigeants feignent de l’ignorer, ces relations conflictuelles sont le signe d’un malaise interne, d’un mal-être policier. Dans un tel contexte, «l’affaire Nord éditions» pourrait fortement contribuer à exacerber le divorce entre l’opinion publique et elle.