Le Gabon vit toujours en état de crise latente trois mois après la réélection contestée d’Ali Bongo Ondimba face à Jean Ping, qui rentre samedi à Libreville d’une tournée en Europe et aux Etats-Unis.
Manifestations d’opposants brutalement réprimées, pillages, Assemblée incendiée, QG de Jean Ping pris d’assaut, interpellations par centaines…: entre le 31 août et le 4 septembre, le Gabon a vécu un des épisodes les plus violents de son histoire dès la proclamation de la réélection d’Ali Bongo, après le scrutin à un tour du 27 août.
Les troubles ont fait trois morts selon les autorités, alors que des partisans de Jean Ping parlent d’un bilan d’au moins 26 victimes et de plusieurs disparus.
En apparence, les 1,8 million de Gabonais et étrangers vivant dans le pays ont repris une vie normale après la validation de la victoire d’Ali Bongo par la Cour constitutionnelle, qui a rejeté le recours de Jean Ping le 23 septembre.
Tous les barrages ont progressivement été levés à Libreville autour du palais présidentiel sur le front de mer. Versée en septembre et octobre aux forces de sécurité, une « prime exceptionnelle de réquisition » n’a pas été reconduite en novembre.
Investi pour un second septennat, le président Bongo, que l’opposition accusait de ne plus oser sortir de Libreville, a repris ses déplacements à Marrakech pour la COP22, à Malabo pour une rencontre Afrique/Monde arabe et à Madagascar ce week-end pour le sommet de la Francophonie.
Après bien des reports, la rentrée scolaire dans les établissements publics a finalement eu lieu le 31 octobre.
Diplomates, chefs d’entreprises, hommes et femmes de la rue, le constat est pourtant unanime: non, tout n’est pas rentré dans l’ordre.
Jean Ping continue de se proclamer le « président élu ». Au moins un opposant, l’ex-député Betrand Zibi qui avait publiquement défié Ali Bongo fin juillet, est toujours en prison. L’ex-ministre de la Justice Séraphin Moundounga s’est réfugié en France après sa démission lors des troubles de septembre.
– Forfaiture –
Ex-puissance coloniale, la France surveille d’un oeil inquiet ses intérêts à Libreville (ressortissants, base militaire et entreprises). « Il est vrai que la situation politique du Gabon nous préoccupe, notamment sur le plan sécuritaire », a déclaré mercredi à l’Assemblée nationale le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault: « car aujourd?hui il y a bien une crise politique, dont il faut pouvoir sortir sans violence ».
Lors d’une rencontre avec le président Bongo à Marrakech, la sous-secrétaire d’Etat américaine aux Affaires africaines, Linda Thomas-Greenfield, a jugé nécessaire « une forme de stabilité pour permettre un regain d’intérêt des entreprises américaines au Gabon ».
Nommé en septembre, le nouveau Premier ministre Emmanuel Issoze-Ngondet devait former un gouvernement d’ouverture et lancer un « dialogue national » avec l’opposition avant la tenue des élections législatives prévues en principe fin décembre.
L’ouverture s’est limitée à un ex-petit candidat à l’élection présidentielle, Bruno Ben Moubamba (0,5% des voix), promu vice-Premier ministre en charge du Logement. Le gouvernement peut aussi mettre à l’actif de ses « prises de guerre » l’ex-directeur de campagne de Jean Ping, René Ndemezo’o Obiang, qui a accepté la main tendue d’Ali Bongo.
Mais malgré quelques flottements, le « front du refus » tient toujours. « Nous ne prendrons pas part au dialogue national », affirme à l’AFP le président de l’Union nationale (UN), Zacharie Myboto, artisan de l’alliance des ténors de l’opposition autour de la candidature de Jean Ping. « On ne va pas légitimer la forfaiture d’Ali Bongo ».
Faute de « dialogue », les élections législatives sont reportées de facto, de l’aveu même de plusieurs ministres.
L’opposition promet une nouvelle démonstration de force avec le retour prévu ce samedi de Jean Ping après une tournée d’un mois en France et aux Etats-Unis où il a plaidé sa cause.
M. Ping devrait dire qu’il attend avec impatience la présentation du rapport final de la mission électorale de l’Union européenne (UE) annoncée début décembre à Libreville. Le pré-rapport dénonçait des « anomalies évidentes » dans les résultats du scrutin.
C’est dans ce contexte que le Gabon s’apprête à accueillir la Coupe d’Afrique des Nations (CAN-2017) de football du 14 janvier au 5 février.
La puissance organisatrice, la Confédération africaine de football (CAF), s’est sentie obligée de démentir des « rumeurs persistantes » d’une « délocalisation » de la CAN dans un autre pays. Le pouvoir promet que les stades seront prêts en temps et en heure – un signe, espère-t-il, du retour à la normale.