Avec pas moins de 15 scrutins présidentiels, l’actualité politique africaine a été particulièrement riche en 2016, alors que les chercheurs observent une véritable « fracture démocratique » entre l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale.
Si à l’Ouest, les élections au Bénin, au Cap-Vert ou tout récemment au Ghana suscitent l’enthousiasme des observateurs, elles sont en revanche source d’inquiétudes en Afrique centrale comme à l’Est. Et pour cause : elles peuvent être contestées comme au Gabon, entachées de violences comme au Congo-Brazzaville, ou tout simplement repoussées comme en République démocratique du Congo (RDC) ou en Somalie.
Cette dichotomie transparaît au niveau des instances sous-régionales. La Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) maintient une position très ferme sur la Gambie alors que la facilitation tanzanienne désignée par l’East African community (EAC) défend la « légitimité » du président burundais Pierre Nkurunziza.
« Autoritarisme et brutalité »
Plusieurs grilles de lectures permettent d’expliquer cette différence. Professeur à l’université de Columbia à New York, Mamadou Diouf y voit la conséquence de « trajectoires historiques ». « L’administration coloniale a opéré de manière très distincte dans les deux régions », souligne l’historien sénégalais. « En Afrique occidentale, le système permettait aux Africains d’évoluer et d’ouvrir des espaces d’expression ce qui n’a pas du tout été le cas en Afrique centrale qui a connu l’autoritarisme et la brutalité. Ensuite au moment des indépendances, les grandes crises en Afrique de l’Ouest ont donné naissance à des classes politiques capables de négocier pour trouver des solutions », analyse-t-il.
L’Afrique centrale est quant à elle plongée très tôt dans une série de guerres civiles récurrentes marquées par l’intervention de forces armées diverses. « Beaucoup de militaires ou chefs de faction sont arrivés en politique par un coup d’Etat », explique Christopher Fomunyoh, directeur Afrique du un think-tank américain National Democratic Institute (NDI). « En Afrique de l’Ouest, cette génération est en train de s’effacer, poursuit l’observateur camerounais, alors qu’en Afrique centrale, beaucoup d’anciens militaires se sont déclarés démocrates, mais conservent d’anciens réflexes et mettent en place des systèmes qui freinent la mise en place d’élections crédibles. »
L’exception nigérienne
Comme pour toutes les règles, des exceptions viennent confirmer cette « fracture démocratique » sur le continent. A l’Ouest, si l’on met de côté la Gambie où la personnalité imprévisible de Yahya Jammeh maintient le pays dans l’incertitude, l’exception est nigérienne.
Christian Bouquet cartographie la « crédibilité » des scrutins africains au sein du laboratoire « Les Afriques dans le Monde » de Sciences Po Bordeaux. Il juge le second tour de la présidentielle du 22 mars dernier « surréaliste » en raison de l’incarcération du leader de l’opposition Hama Amadou et de la réintroduction du « vote par témoignage ». « Il n’y avait aucune raison que le président Issoufou se retrouve avec un tel score en nombre de suffrages exprimés. C’est un peu le point noir en Afrique de l’Ouest et nous l’avons cartographié comme tel, en soulignant que les élections n’étaient pas crédibles », détaille l’expert.
En Afrique centrale, l’exception ce serait plutôt la République centrafricaine où les élections se sont déroulées sans heurt grâce à l’aide des partenaires internationaux bien que le premier tour des législatives a été annulé en raison de fraudes.
Censure des réseaux sociaux
Dans les pays voisins, les communications ont tendance à être coupées en période électorale. Les SMS et les réseaux sociaux sont particulièrement visés comme au Tchad, en Ouganda, au Congo, ou encore au Gabon. « L’objectif est de détourner l’attention de la communauté internationale en empêchant l’information de circuler », affirme Julie Owono, directrice Afrique de l’ONG Internet sans frontières. « Or, si vous empêchez l’information de circuler, c’est que vous avez quelque chose à cacher. Cela s’est vérifié dans tous les pays, que ce soit une fraude électorale ou la répression des manifestants. Les droits digitaux sont fondamentaux aujourd’hui, car lorsque l’on coupe internet, c’est que l’on s’apprête à faire des choses beaucoup plus graves », ajoute la militante.
De quoi décevoir ceux qui pensaient que la démocratisation de la téléphonie mobile et l’introduction de la biométrie amèneraient l’ère de la transparence. De son côté, Mamadou Diouf préfère relativiser : « Ce n’est pas la technologie qui change le monde, mais la prise de conscience et la mobilisation populaire. Et cette dernière progresse nettement en Afrique. »
Publié le 21-12-2016 Modifié le 22-12-2016 à 09:50