Cinq ans après son inauguration, la zone franche qui doit aider le pays à diversifier son économie est encore majoritairement consacrée à la transformation du bois. Elle tente de changer la donne.
«Valeur ajoutée » et « diversification ». C’était le leitmotiv des officiels gabonais et des dirigeants du géant agro-industriel singapourien Olam lors de l’inauguration, le 9 septembre 2011, de la zone économique spéciale de Nkok, née de la reconversion de 1 100 ha de forêt à 30 km de Libreville.
Cinq ans plus tard, chez Olam, actionnaire à 60 % de Gabon Special Economic Zone (GSEZ), qui développe cette zone franche, on défend un bilan positif. « Quatre-vingt-dix pour cent des espaces ont été vendus », se réjouit Jasveer Singh, son directeur général, depuis les deux petites tours que la société d’exploitation de la zone économique spéciale s’est fait bâtir sur l’une des principales artères de Libreville.
En cette fin d’après-midi de la mi-décembre 2016, devant l’un des entrepôts, K.L. Sharma, le patron indien de Krishna, termine la journée de son usine de transformation d’okoumé, l’une des essences de bois dont regorgent les forêts qui couvrent 80 % du territoire gabonais.
Les troncs coupés depuis ses deux concessions de Lalara et d’Ovan, respectivement à 250 km et à 500 km dans le centre du pays, sont convoyés dans la zone économique, où ils sont transformés en pièces prédécoupées d’ameublement destinées à l’exportation vers l’Amérique du Nord et le Moyen-Orient. Pour l’heure, 600 à 700 m3 de bois gabonais transformé sortent de son unité chaque année.
Une destination prisée
K.L. Sharma est l’un des 22 premiers entrepreneurs à avoir acquis des lots dans la zone franche. Comme lui, la plupart œuvrent dans la transformation du bois – qui était l’objectif premier de l’exécutif gabonais après sa décision d’interdire les exportations de grumes brutes à compter du 15 mai 2010.
« Le Gabon émerge comme une nouvelle destination de la production de contreplaqué pour les compagnies indiennes », estimait en septembre 2016 l’Organisation internationale des bois tropicaux dans une note de conjoncture. Elle y rappelait que 20 investisseurs indiens du secteur avaient déjà jeté leur dévolu sur la zone franche gabonaise, représentant la quasi-totalité des industriels en activité à Nkok.
Parmi elles, Gabon Wood Industries, Otim Veneer, Evergreen Gabon, Akachi Woods ou encore Touchwood. Le pays bénéficie notamment du report d’opérateurs précédemment actifs au Myanmar ou au Laos, deux pays qui ont interdit l’exportation de bois.
7000 emplois à créer
En revanche, la diversification escomptée dans l’aviculture, la transformation du manganèse, les télécoms ou la banque n’est pas vraiment au rendez-vous. Jasveer Singh envisage la possibilité qu’une décennie entière soit nécessaire pour parvenir au potentiel maximal de la zone. L’objectif des autorités gabonaises et de leur partenaire Olam porte sur 1 milliard de dollars (960 millions d’euros) d’investissements et la création de 7 000 emplois.
Certes, 26 investisseurs, attirés par les facilités d’enregistrement administratif et la promesse de dix ans d’exemption d’impôts et de TVA, sont en train de construire leurs usines sur le site. L’industriel camerounais Bernard Fokou s’est ainsi installé avec une aciérie, tout comme le Libanais Mohamed Reslan, qui a lancé la première production de fer à béton du pays.
L’Agence gabonaise d’études et d’observations spatiales (Ageos) y a été inaugurée en grande pompe en août 2015, en présence notamment de la ministre française de l’Environnement, Ségolène Royal. Par ailleurs, en octobre 2016, la zone franche gabonaise a décroché la troisième place du classement régional de FDI Intelligence (organisation liée au Financial Times) des zones franches africaines les plus performantes – derrière Tanger Med et le Freeport de l’île Maurice. Mais le ministre de l’Économie, Régis Immongault, estimait lui-même au début de 2016 que « malgré les efforts observés, il [en] faut davantage pour renforcer les capacités de la zone ».
Ainsi, l’African Financial Corporation (AFC), spécialisée dans le financement des infrastructures sur le continent, a injecté 140 millions de dollars dans GSEZ. La moitié de cette somme lui a permis d’acquérir 10,5 % du capital du groupe, ramenant les parts de l’État de 40 % à 29,5 %. L’autre moitié est un prêt convertible en 10,5 % de parts supplémentaires du capital. Ces fonds permettront à la zone franche de renforcer sa logistique et de multiplier ses possibilités de desserte.
Transgabonais
Début octobre, GSEZ a racheté à Comilog la société Somivab, fabriquant des traverses de bois et située à Essassa, juste à côté de Nkok. Cela a offert à la zone franche un accès direct au Transgabonais, le chemin de fer reliant Franceville au port minéralier d’Owendo, accessible par voie fluviale depuis Nkok.
De plus, la zone franche investit à coups de centaines de millions d’euros pour se doter de terminaux au port d’Owendo. Ali Bongo Ondimba a ainsi inauguré en août un terminal minéralier construit par GSEZ sur un polder (45 ha ont été gagnés sur la mer). Grâce à la pose de 1,5 km de rails, cette nouvelle infrastructure est elle aussi desservie par le Transgabonais. Quelques centaines de mètres plus loin, 1 500 Gabonais sont à l’œuvre sur le chantier d’un second terminal, qui doit aboutir d’ici à un an.
Représentant un investissement de 400 millions d’euros, il fonctionnera sur le même principe que son grand frère, mais pour le vrac (coke, grains, fer à béton…). Tout cela se met en place à deux pas du propre terminal de Comilog, la compagnie minière de l’Ogooué, filiale du groupe métallurgique français Eramet, qui y exporte son manganèse depuis vingt ans.
Des prix attractifs
Pour grappiller des parts de marché face à la Société des terminaux à conteneurs du Gabon (STCG), filiale du groupe Bolloré, la zone économique spéciale compte jouer sur les prix, environ 30 % inférieurs à ceux de la concurrence. Elle est également allée piocher chez ses rivaux, confiant par exemple la direction des activités portuaires à Philippe Gery.
L’ancien patron de Gabon Port Management, filiale du conglomérat japonais Mitsui et détentrice de la gestion du port commercial de Libreville, où opère la STCG, est passé chez GSEZ en 2014.
« Les Français auraient voulu [développer l’activité portuaire] eux-mêmes, mais, depuis la création de l’Office des ports et rades du Gabon [Oprag] en 1974 et l’inauguration du port minéralier d’Owendo en 1988, rien n’a bougé. Nous, nous avons fait deux ports en deux ans », glisse-t-il.
Camions, wagons et locomotives viennent donc se coupler à la zone économique spéciale, avec l’objectif d’offrir des services de transport à meilleur marché. Les chinois de Citic Dameng et les singapouriens de Nouvelle Gabon Mining, récemment introduits dans le manganèse, sont déjà clients, tout comme Colas, le géant du BTP français.
Pour Olam, qui a commencé au Gabon en 1999 comme simple exportateur du bois (activité cédée en 2014 à des groupes chinois), le succès de GSEZ doit démontrer sa capacité à obtenir des résultats. Le groupe pourra ensuite accélérer le développement de sa production d’huile de palme et de caoutchouc dans le pays.
Benjamin Polle