A un mois du premier tour de l’élection présidentielle française, RFI donne la parole à tous les candidats et à leurs équipes : quelles sont les propositions des prétendants à l’Elysée concernant l’Afrique ? Panorama.
Nathalie Arthaud (Lutte ouvrière), 47 ans
Nathalie Arthaud, candidate à l’élection présidentielle. © AFP/Joël Saget
Pour Lutte ouvrière, « les travailleurs africains et français partagent les mêmes combats », car « ce sont bien souvent les mêmes exploiteurs que l’on trouve de part et d’autres de la Méditerranée. » L’objectif du mouvement est de permettre l’union des travailleurs autour d’une condition commune plutôt qu’autour d’une langue ou d’une nationalité, avec pour objectif de « mettre fin au capitalisme et à sa forme de domination actuelle : l’impérialisme », explique le responsable de l’équipe de campagne de Nathalie Arthaud, Pierre Royan.
Un impérialisme « qui prend pour nom hypocrite la francophonie », explique-t-on à Lutte ouvrière. Un impérialisme qui compte parmi ses instruments le franc CFA, une « monnaie de dominés […] contrôlée par la bourgeoisie française », selon Nathalie Arthaud. Si elle juge la suppression du franc CFA souhaitable, elle estime toutefois que cela ne suffira pas à libérer les Africains de leur exploitation.
Selon Lutte ouvrière, il faut stopper toutes les interventions militaires françaises en Afrique. « Chaque intervention suscite un chaos », et le terrorisme est le « fruit pourri » qu’elles ont produit, affirme Pierre Royan. Le mouvement de Nathalie Arthaud a aussi pour ambition de mettre fin au « pillage » du continent par les grandes entreprises françaises. Lutte ouvrière ne veut apporter « aucun soutien aux gouvernements africains qui ont été au service de la bourgeoisie française », et soutient « toutes les expropriations des capitalistes français présents en Afrique par les travailleurs d’Afrique. » Pierre Royan déplore que « la richesse des sous-sols de l’Afrique [fasse] sa pauvreté », et affirme qu’il faut redonner aux travailleurs africains les moyens de leur développement.
François Asselineau (Union populaire républicaine), 59 ans
François Asselineau, candidat à l’élection présidentielle. © AFP/Joël Saget
S’il explique vouloir mettre fin à la Françafrique et permettre le développement d’une « ère de coopération égalitaire avec les pays d’Afrique », François Asselineau concède que ces questions ne sont pas au centre de son programme. Et ce même si c’est « un continent qui lui est cher et qu’il aimerait connaître plus », souffle-t-on à l’UPR. Evoquant les « drames de la colonisation », le candidat souverainiste affirme vouloir mettre un terme à ces relations de type néocolonial, « où certains dirigeants africains sont traités par Paris […] comme des vassaux ». Si des pays veulent sortir du franc CFA, la France pourra les aider, promet François Asselineau.
Le candidat du Frexit déplore que la participation de la France dans l’Union européenne et sa proximité avec les Etats-Unis l’éloignent de l’Afrique. « Plus on construit l’Europe, plus on détruit la France. Mais plus on détruit aussi les liens d’amitié, de coopération qu’on avait avec l’Afrique. » Le patron de l’UPR mise gros sur la francophonie. Au point 165 de son programme, il dit vouloir créer un Parlement des Etats francophones, qui siègerait à Paris. « Si les Etats africains sont d’accord, on pourrait créer un parlement qui pourrait nous permettre de définir une position commune des Etats de la francophonie sur les grands sujets internationaux, par exemple sur le système financier international, sur les échanges Nord-Sud, sur le système monétaire international… »
Concernant les interventions françaises, à l’UPR, on explique qu’il faut qu’elles se déroulent « dans le cadre de la légalité internationale », c’est-à-dire uniquement si elles sont demandées par les pays eux-mêmes ou réalisées avec l’aval des Nations unies. Enfin à propos des entreprises françaises présentes en Afrique, l’Union populaire républicaine préfère voir des grands groupes tricolores que l’ « Américafrique » ou la « Chinafrique », même si cela ne doit pas empêcher d’œuvrer à « un meilleur partage des richesses ».
Jacques Cheminade (Solidarité et progrès), 75 ans
Jacques Cheminade, candidat à l’élection présidentielle. © AFP/Joël Saget
« Libérer l’Afrique de l’occupation financière, et permettre le codéveloppement. » Tels sont les maîtres mots du programme de Solidarité et progrès pour le continent, selon Sébastien Périmony, président et responsable Afrique du parti. Si Jacques Cheminade était élu, il créerait « un ministère de la Coopération, du Codéveloppement et de l’Intégration », notamment tourné vers le continent. Autres objectifs : mettre fin à la « curatelle financière » et sortir du CFA (dans la foulée de la France, qui sortirait de l’euro) ; s’éloigner du Fonds monétaire international (FMI), de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), et des traités avec l’Union européenne ; créer des banques nationales, annuler les dettes « illégitimes »…
Jacques Cheminade prévoit de « jeter la Françafrique à la rivière ». Pour lui, la France, en coopérant notamment avec la Chine, doit permettre aux pays africains de « regagner leur souveraineté », explique Sébastien Périmony. Par exemple en lançant de « grands projets d’infrastructure à l’échelle panafricaine » (revivification du lac Tchad, achèvement du canal de Jonglei, au Soudan…). Ou encore en se dotant de « centrales nucléaires de 4e génération », développe le président de Solidarité et progrès.
Pour mener à bien ces objectifs, « les armées africaines, avec l’aide de nos soldats et de nos ingénieurs civils et militaires, devront être mobilisées pour construire des voies ferrées, des routes, des ponts et des ports », détaille le programme de Jacques Cheminade. Son monsieur Afrique précise que ce recours à l’armée serait transitoire, et qu’il dépendrait d’abord de la pacification des régions. L’intervention militaire française ? « Pour faire face au terrorisme, oui, quand c’est utile », conclut Sébastien Périmony avec pragmatisme.
Nicolas Dupont-Aignan (Debout la France !), 57 ans
Nicolas Dupont-Aignan, candidat à l’élection présidentielle. © AFP/Joël Saget
Sur son site, le candidat place en quatrième position l’idée d’un « grand partenariat entre la France et l’Afrique ». Idée phare : créer une organisation des pays exportateurs de denrées agricoles, pour réduire l’instabilité des prix de ces matières premières, sur le modèle de l’Opep. Le patron de Debout la France ! veut aussi soutenir les marchés communs comme l’UEMOA et la Cemac en permettant aux pays qui en sont membres de protéger leurs économies. Selon lui, le franc CFA doit changer de nom, mais rester sous le contrôle du Trésor français. Sous l’égide de l’organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), Nicolas Dupont-Aignan souhaite lancer un « plan Marshall pour stimuler les investissements agricoles. »
Le responsable des questions africaines du candidat de Debout la France !, Henri Temple, place le « codéveloppement » au centre de la stratégie de Nicolas Dupont-Aignan. Premier objectif : permettre aux pays africains de transformer les matières premières qu’ils produisent. « Sauver le secteur primaire, pour créer ensuite un secteur secondaire […] Le reste viendra progressivement », explique Henri Temple. Ayant travaillé 35 ans en Afrique, il estime que le continent « a droit à une certaine énergie nucléaire, et puis à un développement du solaire ». Le problème ? La taille de l’Afrique : « Il faudra trouver des formes d’énergies avec un rayon d’action local. »
Par ailleurs, « il doit y avoir un maintien des troupes françaises en Afrique, tant qu’on n’a pas mis en place les conditions d’une paix durable », explique Henri Temple. Les pays francophones sont les premiers concernés par les projets africains de Debout la France ! « On est dans le même fuseau horaire, on parle la même langue, on a la même culture. On a fait un bout de chemin ensemble, de 1890 à 1960. Il y a des mariages interraciaux en quantité. Il y a des Africains en France, il y a des Français en Afrique », poursuit Henri Temple. « C’est ce que j’appelle une petite communauté de destin, nous sommes liés. » Et de résumer le propos : « On est passé du colonialisme au paternalisme, il faut maintenant aller vers le fraternalisme. »
François Fillon (Les Républicains), 63 ans
François Fillon, candidat à l’élection présidentielle. © AFP/Joël Saget
La Françafrique ? « C’est un peu un fantasme aujourd’hui », affirme François Fillon à RFI. Si le candidat du parti de droite Les Républicains (LR) accable François Hollande sur sa politique russe ou syrienne, il l’épargne sur sa politique africaine et ne lui reproche pas de faire ou défaire les régimes d’Afrique francophone. Est-ce parce qu’à l’époque où il était Premier ministre, entre mai 2007 et mai 2012, François Fillon a cautionné des pratiques plus ou moins avouables ? Est-ce ainsi parce qu’en août-septembre 2009, son gouvernement, sous l’impulsion du président Nicolas Sarkozy, a soutenu ouvertement la première élection très controversée d’Ali Bongo à la présidence du Gabon ? En tout cas, aujourd’hui, le candidat Fillon veut tourner la page. Dès septembre dernier, au lendemain de la réélection très décriée d’Ali Bongo, il a déclaré : « Le sentiment qu’on a, c’est que le président Bongo n’a pas gagné cette élection. » Et aujourd’hui, sur RFI, le candidat de LR récidive en ajoutant : « La France ne doit pas soutenir des pratiques antidémocratiques et venir au secours de dirigeants africains qui manipulent les élections. »
Mais tout de même, le candidat de LR ne se compromet-il pas avec de grandes figures de la Françafrique en acceptant des costumes de luxe offerts par l’avocat Robert Bourgi ? « On attribue à ce pauvre Robert Bourgi des pouvoirs qu’il n’a pas, réplique l’ancien Premier ministre français sur RFI. C’est un monsieur d’un certain âge qui a reçu la légion d’honneur sur la proposition d’un des plus ardents soutiens aujourd’hui d’Emmanuel Macron, l’ancien ministre [de Jacques Chirac] Renaud Dutreil. » Une pique contre le candidat Macron ! François Fillon parle des « pouvoirs [que] n’a pas » Robert Bourgi, mais il aurait pu parler des pouvoirs « que n’a plus » l’avocat. Longtemps, maître Bourgi a été le très influent conseiller d’Omar Bongo. Depuis qu’Ali Bongo a succédé à son père, il est vrai que l’avocat parisien natif de Dakar n’est plus en cour à Libreville et qu’il soutient l’opposition gabonaise. D’ailleurs, c’est par l’entremise de maître Bourgi que François Fillon a déjeuné, en juillet dernier près de son fief de Sablé-sur-Sarthe, avec Jean Ping, le n°1 de l’opposition gabonaise.
Le gaulliste François Fillon reste-t-il attaché au franc CFA, l’un des totems de la Françafrique ? Apparemment, non. « C’est une question qui doit être traitée par les Africains, affirme l’ancien Premier ministre sur RFI. La France ne tire aucun avantage de cette affaire du CFA. La question qui est posée, c’est : « Est-ce que c’est un élément de stabilité qui protège les économies des pays africains, ou non ? » C’est une discussion qui doit s’engager avec les pays africains et, pour ma part, je suis ouvert à toutes les solutions. » Pas de tabou sur le franc CFA ? « Non, aucun. »
En clair, le candidat de LR bouge sur la Françafrique. En revanche, il ne change pas d’avis sur la question coloniale. Aux antipodes d’Emmanuel Macron, François Fillon affirme sur RFI : « Je suis contre toutes ces manifestations de repentance qui font croire que la France aurait une responsabilité unique par rapport à la colonisation, alors que toutes les civilisations ont pratiqué la colonisation depuis le début de l’histoire. » En mai 2009, lors d’une visite officielle à Yaoundé, le Premier ministre François Fillon avait affirmé que les crimes coloniaux attribués à l’armée française au Cameroun étaient une « pure invention ». Ces dernières années, plusieurs livres-enquêtes, notamment La guerre du Cameroun (1), ont montré au contraire qu’il existait des preuves accablantes contre l’armée française. « Que les historiens fassent leur travail », concède aujourd’hui François Fillon sur RFI. Mais le candidat de LR ajoute : « Je n’accepte pas qu’on fasse porter à la France d’aujourd’hui des responsabilités qui ne sont pas les siennes, car le résultat de tout cela, c’est qu’on donne à la jeunesse française une image détestable de l’histoire de son pays. Et un peuple qui ne s’aime pas est un peuple qui ne peut pas avoir d’avenir. »
Benoît Hamon (Parti socialiste), 49 ans
Benoît Hamon, candidat à l’élection présidentielle. © AFP/Joël Saget
« Je remercie mes parents et l’Afrique de m’avoir appris que la fraternité peut être aussi simple que les jeux d’enfants que nous avions à l’école », a lancé Benoît Hamon, qui a grandi à Dakar, lors de son discours de Bercy. Lui, qui promet dans son programme que « la France accompagnera les transitions avec nos partenaires d’Afrique, en Méditerranée et au Sahel », veut porter les subventions pour l’aide au développement à un milliard d’euros en 2020 (soit 0,7% du revenu national brut, deux fois plus qu’actuellement).
Benoît Hamon décrit la nécessité d’appuyer les interventions militaires françaises sur « les partenaires européens et régionaux concernés ». Dans un entretien au journal Libération, Pouria Amirshahi, le responsable des questions internationales de l’équipe Hamon, précise que ces interventions peuvent se justifier « jusqu’à ce que les armées africaines soient en situation d’assurer elles-mêmes leur propre sécurité. » Le député Amirshahi ajoute que « La France n’est pas le gendarme de l’Afrique ». Dans le programme de Benoît Hamon on peut aussi lire que « au-delà des interventions, notre diplomatie déploiera une action politique et civile déterminée et efficace ».
En janvier, dans un entretien à RFI, le député des Yvelines a noté que les conflits que fuient les populations migrantes « ne sont pas étrangers à des choix politiques qui sont ceux de l’Occident », d’où sa volonté d’instaurer un « visa humanitaire » pour les populations fuyant la guerre. Autre facilité que souhaite créer Benoît Hamon, un « visa francophone pour les étudiants, les chercheurs, les chefs d’entreprise et les artistes », qui permettrait selon lui de « cultiver le sentiment d’appartenance à la francophonie ».
Jean Lassalle (Resistons !), 61 ans
Jean Lassalle, candidat à l’élection présidentielle. © AFP/Joël Saget
L’objectif du député pyrénéen est de conclure avec les pays africains des traités « équilibrés », qui « excluront le pillage et le détournement » des ressources. Selon son programme, Jean Lassalle souhaite aussi « mettre fin à la supervision du franc CFA par le Trésor ». Déplorant que l’Afrique ait été « sacrifiée sur l’autel des ventes d’armes et du pétrole », il regrette, dans une note consacrée aux relations entre la France et le continent, que « le malheur pousse sur les routes de l’exil des millions d’hommes, de femmes et d’enfants. Comme jadis nos montagnes se vidaient de leurs forces vives pour grossir le prolétariat des villes. »
Pour permettre le développement du continent, le fils de berger explique, dans une interview au journal Ouest-France, qu’il faut privilégier les énergies renouvelables : « Sauver l’Afrique, c’est aider cette population à apprivoiser le soleil. » Parmi les autres infrastructures à développer en priorité, il y a, selon lui, les télécommunications, afin de faciliter les relations culturelles et économiques entre les pays.
Le président de l’Association des populations des montagnes du monde (APMM) place la francophonie au cœur de son projet, car il estime que le français doit permettre de « remettre notre diplomatie au premier plan ». Jean Lassalle rappelle aussi que « notre langue, partagée avec les pays francophones, entretient un cousinage culturel précieux. Nous devons demain redevenir des partenaires et des alliés, dans un même dessein enfin appaisé. »
Marine Le Pen (Front national), 48 ans
Marine Le Pen, candidate à l’élection présidentielle. © AFP/Joël Saget
A priori, le programme de Marine Le Pen n’est pas très séduisant pour les partenaires africains de la France. Le Front national (FN) souhaite abolir la binationalité pour les Africains (et pas pour les Européens). Il veut aussi interdire toute régularisation des sans-papiers et, en attendant leur expulsion, entend mettre fin à l’école gratuite pour leurs enfants. A un pays comme le Mali, qui, pour l’instant, ne veut pas signer avec l’Union européenne un accord de réadmission des migrants en situation irrégulière, Louis Aliot, le vice-président du FN, adresse un message musclé : « Sans l’opération Serval, il n’y aurait plus de Mali aujourd’hui. L’aide militaire de la France, c’est donnant donnant. Les Maliens ne peuvent pas avoir le beurre et l’argent du beurre. »
Pourtant, depuis quelques semaines, la candidate du FN tente une offensive de charme sur le continent africain. Le 21 mars, elle a été reçue par le président Idriss Déby dans sa résidence privée d’Amdjarass, dans le nord-est du Tchad. Jamais encore, elle n’avait été invitée sur le continent par un chef d’Etat. A l’issue de cette rencontre, la fille du fondateur du FN a ironisé sur les gens qui la croient « raciste, xénophobe et islamophobe », et a remercié le président tchadien d’avoir « brisé les barrières de l’ignorance et de la stigmatisation médiatique dont [elle] fait l’objet, bien au-delà de la France ». Puis, dans un discours devant plusieurs députés tchadiens, elle a lancé : « S’il vous plaît, comprenez-moi. Le refus de l’immigration massive n’est pas le rejet et la haine de l’autre. C’est au contraire une gestion rigoureuse, partagée et équilibrée des flux migratoires entre nos deux continents. » La candidate française a promis que, si elle était élue, l’Afrique serait « la première des priorités internationales de la France ». Faisant de l’aide au développement une « question de sécurité nationale », elle s’est engagée à y consacrer plus de 16 milliards d’euros, soit 0,7% de la richesse nationale, d’ici la fin du quinquennat, et à recréer un ministère de la Coopération de plein exercice.
Pour plaire à ses interlocuteurs africains, Marine Le Pen fait souvent le procès de la Françafrique, qui est constituée, selon elle, de « réseaux de corruption criminels et néocolonialistes ». D’ailleurs, en sortant de son audience chez Idriss Déby, elle a lancé : « Je lui ai dit tout le mal que je pensais de la Françafrique. » Comme son père en son temps, la présidente du FN se veut l’avocate du courant afro-nationaliste et plaide pour le « chacun chez soi ». Elle pourfend la Cour pénale internationale et toute forme d’ingérence occidentale sur le continent. Et elle milite contre le franc CFA. En 2015, elle n’hésitait pas à dire que cette monnaie était « un drame pour les économies africaines ». Est-ce à cause de ses dernières rencontres en Afrique ? Aujourd’hui, elle modère son discours et déclare : « L’Afrique doit avoir sa propre monnaie. Pour ceux qui ont le franc CFA, c’est un inconvénient économique. »
Emmanuel Macron (En Marche !), 39 ans
Emmanuel Macron, candidat à l’élection présidentielle. © AFP/Joël Saget
En février dernier, lors d’un déplacement à Alger, Emmanuel Macron a fait le buzz en qualifiant la colonisation française de « barbarie » et de « crime contre l’humanité ». Jamais un homme politique français n’avait utilisé des termes aussi forts au sujet du passé colonial de la France. Réaction immédiate de François Fillon : « C’est indigne d’un candidat à la présidence. » Quant à Marine Le Pen, elle a déclaré : « Le crime, c’est Emmanuel Macron qui vient de le commettre. » Au vu de ces réactions, et surtout de celles de la communauté des rapatriés d’Algérie et des harkis, le candidat d’En Marche ! a fait… marche arrière. Quelques jours plus tard, lors d’un meeting à Toulon, l’ancien ministre de l’Economie a gommé le terme « crime contre l’humanité » au profit du terme « crime contre l’humain ». Puis il a passé de longues minutes à demander « pardon » à ceux qui se sentaient visés. « Je suis désolé de vous avoir blessé, fait mal. Je ne voulais pas vous offenser », a-t-il lancé. Bref, en parlant de « crime contre l’humanité », Emmanuel Macron a commis une « maladresse », comme le concèdent ses porte-parole. Mais sur le fond, le candidat d’En Marche ! continue de vouloir regarder le passé de la France avec « lucidité » et n’hésite pas à s’engager sur le terrain miné de la repentance.
Est-ce à dire que le candidat « ni gauche ni droite » rejoint les courants de la gauche française qui ont une forte sensibilité anticolonialiste ? Pas si simple. Contrairement à ces mouvements de gauche, Emmanuel Macron ne souhaite pas qu’au nom de cette repentance coloniale, la France ouvre ses frontières à tous les migrants venus d’Afrique. « Je veux que nous ayons une stratégie française et européenne ambitieuse en terme d’aide publique au développement, déclare-t-il sur RFI, mais dans le cadre d’un dialogue exigeant avec les responsables africains. […] Nous devons avoir une demande de réciprocité sur le plan des réadmissions [des migrants en situation irrégulière]. » Dans une allusion claire au Mali, le candidat d’En Marche ! ajoute, toujours sur RFI : « On ne peut pas expliquer aujourd’hui à notre population [française] que [d’un côté] on est en train de stabiliser sur le plan militaire un pays, qu’on est en train de l’aider à développer ses propres infrastructures, que d’ailleurs il est bon pour lui que les gens reviennent et n’en partent pas, et que [de l’autre côté] on ne sait pas signer un accord de reconduite à la frontière et que, quand quelqu’un n’a pas de titre de séjour, il n’est pas réadmis sur le territoire [de son pays d’origine]. Cela, c’est un jeu de dupes dans lequel nous sommes depuis des années. »
Est-ce à cause de son jeune âge ? Emmanuel Macron aime dénoncer les « rémanences de la Françafrique ». Mais pour autant, il ne veut pas renverser la table. Faut-il supprimer le franc CFA ? « C’est un débat que les pays de la zone franc doivent conduire dans les deux zones concernées. Je n’ai pas à me prononcer pour eux. C’est un élément de stabilité que nous garantissons. Ce qui est vrai, c’est que cela crée de l’hétérogénéité, en particulier au sein de la Cedeao, où vous avez plusieurs cohabitations. En même temps, je pense que le choix leur est laissé », déclare sur RFI l’ancien ministre de l’Economie qui, une fois de plus, emploie la formule « en même temps » – ses adversaires politiques le surnomment « Monsieur en même temps » ou « l’homme qui veut ménager la chèvre et le chou ».
François Hollande a-t-il eu tort de rester silencieux après la réélection très controversée d’Ali Bongo au Gabon, en août dernier ? « Je ne suis pas là pour distribuer les bons et les mauvais points. Le président Hollande a-t-il eu une autre politique africaine durant ce quinquennat ? J’ai plutôt ce sentiment par rapport à ses prédécesseurs. Il me semble que l’élection de monsieur Bongo est pleine d’incertitudes et d’inconnues qui justifient un jugement circonstancié », affirme encore celui qui, il y a quinze ans, a fait un stage ENA de six mois à l’ambassade de France au Nigeria, sous la houlette de Jean-Marc Simon. A 39 ans, Emmanuel Macron semble connaitre tout l’art du langage diplomatique.
Jean-Luc Mélenchon (La France insoumise), 65 ans
Jean-Luc Mélenchon, candidat à l’élection présidentielle. © AFP/Joël Saget
C’est au point 59 de son programme que sont posées les grandes lignes de sa politique africaine. Pour « lutter contre les causes des migrations », il faut « arrêter les guerres, les accords commerciaux qui détruisent les économies locales, et affronter le changement climatique. » Les interventions françaises en Afrique ? « Nos armées doivent avoir un rôle de maintien de la paix sous mandat de l’Onu », répond un responsable de la France insoumise au site Mondafrique.
Jean-Luc Mélenchon écrit dans son programme sa volonté d’ « en finir avec la Françafrique ». Outre sa volonté affichée – c’était déjà le cas en 2012 – de supprimer le franc CFA, l’ancien sénateur dit vouloir « respecter l’indépendance des États africains et la souveraineté des peuples en s’interdisant de se mêler des élections, et en réprimant les corrupteurs. »
En janvier 2016, Jean-Luc Mélenchon a promis que, s’il devenait président, il « [irait] chercher » le prisonnier Laurent Gbagbo pour le soustraire à la Cour pénale internationale (CPI). En novembre, le candidat de la France insoumise s’est aussi fait remarquer au Parlement européen en prenant le parti de l’opposant gabonais Jean Ping, suite à l’élection controversée d’Ali Bongo à la présidence : « Nous mettrions sur le même plan les tricheurs et ceux qui font l’objet de ces tricheries, et qui en sont victimes ? Nous appellerions à la paix alors que les violences sont le fait exclusif du gouvernement en place contre les partisans de Jean Ping ? », a-t-il demandé. Avant d’ajouter : « Mieux vaudrait que monsieur Gbagbo soit libéré et monsieur Bongo jugulé. »
Jean-Luc Mélenchon estime que la présence des entreprises françaises peut servir à faire pression sur les gouvernements. Le conseiller Afrique de Jean-Luc Mélenchon, Patrice Finel prend justement l’exemple du gouvernement d’Ali Bongo : « Il y a des sanctions économiques à l’échelle internationale qui sont plutôt faciles à prendre. Au Gabon, il y a le pétrole. Total étant une entreprise française, nous pouvons agir à l’aide de ce levier. » Une manière aussi de réduire « la puissance hégémonique des groupes ayant des comportements néocoloniaux », affirme Patrice Finel à nos confrères de Mondafrique.
Jean-Luc Mélenchon explique également vouloir « passer à la francophonie politique », c’est-à-dire « réorganiser les institutions de la francophonie en agissant pour son recentrage sur la défense, le rayonnement de la langue et son usage commun. » Dans une récente déclaration auprès de l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS), l’ancien sénateur est allé plus loin, estimant qu’il allait de soi que la francophonie serait révolutionnée dans « les trois prochaines décennies par le fait que l’Afrique deviendra le premier ensemble humain (en terme de population) ». Et d’ajouter : « Il faut se préparer à une relation dans laquelle l’Afrique marchera en tete, exercera des responsabilités particulières. »
Enfin, le candidat de la France insoumise a à cœur de lutter contre la désertification du Sahel, ou d’aider à revivifier le bassin du lac Tchad pour tarir les flux migratoires. Selon lui, agir contre le dérèglement climatique nécessite un « transfert de technologies et une aide financière et matérielle à la transition dans les pays les plus vulnérables. »
Philippe Poutou (Nouveau Parti anticapitaliste), 50 ans
Philippe Poutou, candidat à l’élection présidentielle. © AFP/Joël Saget
Première mesure phare du candidat d’extrême-gauche, le retrait total des troupes françaises présentes en Afrique. « Si on fait le bilan des interventions armées deux ou trois ans après, il n’y a pas de stabilité dans les pays où l’on est intervenu », déplore Léon Crémieux, en charge des questions internationales dans l’équipe de campagne de Philippe Poutou. « Nous refusons l’idée d’un rôle civilisateur de l’Europe en Afrique : ce ne sont pas des petits frères et nous ne sommes pas des grands frères. »
Pour rompre avec la politique africaine de la France « issue du colonialisme », le NPA envisage aussi de mettre un terme aux contrats des grandes entreprises françaises avec les Etats africains. Selon Léon Crémieux, ces accords sont illégaux et dépossèdent les pays de leurs richesses naturelles. Objectif de Philippe Poutou : nationaliser ces entreprises, et restituer aux Etats où elles étaient implantées les infrastructures qu’elles possédaient. « Paradoxalement, l’Afrique est le continent le plus riche du monde, du point de vue de ses ressources minières et pétrolières. Mais pour se développer, elle a besoin d’une indépendance économique réelle », estime Léon Crémieux.
Pour atteindre cette indépendance, le NPA veut annuler totalement la dette souveraine des pays africains auprès des banques françaises. Autre modalité d’action : une émancipation vis-à-vis du franc CFA, « entièrement dépendant de l’Union européenne », selon Léon Crémieux. Il explique que « si des régimes démocratiques demandent de l’aide, des partenariats, on ira. Mais d’abord il faut couper les liens néocoloniaux, qui sont une catastrophe humaine, économique, politique. » Et quant à l’idée de privilégier l’Afrique francophone, il conclut : « On ne veut pas faire table rase des cultures communes, de la langue. Mais on ne veut pas cultiver la francophonie comme un reste de l’empire colonial français. »
(1) La guerre du Cameroun, L’invention de la Françafrique, Thomas Deltombe, Manuel Domergue, Jacob Tatsita, Editions La Découverte, novembre 2016
Publié le 07-04-2017 Modifié le 08-04-2017 à 17:03