Alors que le dialogue national se poursuit à Libreville, l’ancien Premier ministre Jean Eyéghé Ndong refuse toujours d’y participer. Aux côtés de Jean Ping, il affirme toujours que le point de départ d’un apaisement du climat gabonais serait qu’Ali Bongo Ondimba reconnaisse sa défaite à la présidentielle de 2016.
Jeune Afrique : Jean Ping a une nouvelle fois organisé un grand meeting, le 15 avril dernier. Quelle est sa stratégie, plus de sept mois après la présidentielle ?
Jean Eyéghé Ndong : La base de cette mobilisation est toujours la même : nous considérons que Jean Ping a été élu en 2016 et nous en avons la preuve. Les chiffres des procès-verbaux le donnent gagnant mais il y a eu des manœuvres et Ali Bongo Ondimba (ABO) a choisi de se maintenir au pouvoir. Notre objectif est donc simple : pousser ABO à accepter le verdict des urnes et à entendre la volonté du peuple gabonais, qui a massivement soutenu Jean Ping. Au fond, ce n’est pas un problème de personnes, entre Jean Ping et Ali Bongo Ondimba. Il s’agit surtout de respecter la fonction présidentielle et son mode d’élection.
N’y a-t-il pas un découragement, ou l’impression d’être dans une impasse ?
C’est difficile, mais nous restons fidèles à des principes. Le principal problème aujourd’hui, c’est qu’Ali Bongo Ondimba n’a pas été élu ! Je crois qu’il faut donner aux Gabonais l’opportunité de respecter leurs institutions et leurs élections. Si nous voulons construire la démocratie gabonaise, il est impensable d’accepter une prise de pouvoir illégitime. Aujourd’hui, les Gabonais ont l’impression que leurs bulletins de vote ne signifient plus rien. Le Gabon est d’ailleurs devenu ingouvernable. L’administration ne fonctionne plus. Nous n’avons jamais connu une telle situation dans ce pays et cela n’a rien à voir avec la chute des cours du pétrole, comme on peut l’entendre dire.
Vous semblez également avoir perdu le soutien international dont Jean Ping se prévalait fin 2016.
Le Parlement européen avait en effet estimé qu’il y avait eu des irrégularités dans le scrutin présidentiel. Mais il est clair que les parlementaires sont en avance sur leurs gouvernements car, à ce niveau, on a surtout constaté que les intérêts diplomatiques et économiques avaient vite repris le pas, notamment en ce qui concerne la France. Pourquoi Paris est progressivement rentrée dans le rang, alors qu’elle avait pu émettre quelques critiques justes après l’élection ? Il faut se poser la question.
Alors que vous restez sur vos positions, Ali Bongo Ondimba a lancé un dialogue national. Qu’en pensez-vous ?
Je pense que c’est un écran de fumée pour cacher les vrais problèmes du pays. Il n’y avait pas besoin d’un prétendu dialogue national pour discuter de ces sujets, même s’ils sont effectivement importants. Ali Bongo Ondimba a la majorité nécessaire pour faire passer ces réformes par le Parlement, dans le fonctionnement normal des institutions. S’il souhaite vraiment ces changements constitutionnels, il peut les mettre en place sans problème avec les députés et les sénateurs, et sans cet événement qui coûte très cher à l’État.
Je crois qu’Ali Bongo Ondimba aimerait surtout repousser les législatives pour gagner du temps
Le dialogue national risque cependant de provoquer le report des législatives, prévues en juillet. Y êtes-vous favorable ?
Comment peut-on envisager un report ? Je ne crois pas qu’on puisse gouverner avec des députés qui seront allés au-delà de leur mandat, sachant que celui-ci a déjà été prorogé une fois. Ce n’est pas démocratique. Encore une fois, il faut faire en sorte que le Gabon puisse se doter d’institutions légitimes en temps et en heure et que les Gabonais sentent qu’ils ont un pouvoir via les urnes.
Certains parlent de coupler ces législatives avec les élections locales.
Je pense que c’est irréalisable, car cela mélangerait un scrutin uninominal et un scrutin de liste. On risque en plus de rendre cela totalement incompréhensible aux yeux de beaucoup d’électeurs gabonais. Je crois qu’Ali Bongo Ondimba aimerait surtout repousser les législatives pour gagner du temps. Il espère peut-être voir s’apaiser les tensions qui déchirent le pays depuis septembre 2016. Mais il ne mesure sans doute pas le niveau d’exaspération et le risque de violences qui règnent actuellement.
Faut-il s’attendre à un boycott des législatives de la part du camp de Jean Ping ?
Nous avons encore des discussions sur le sujet. Nous en aurons d’autres, d’autant que le scrutin est encore incertain, et je ne peux donc pas me prononcer pour le moment. Mais, pour ma part, je ne suis pas favorable à un boycott.