Le maintien, d’une part, du mandat présidentiel à sept ans renouvelables et, d’autre part, de la possibilité pour le président de la République de nommer celui de la Cour constitutionnelle fait peser une lourde hypothèque sur la réussite des assises d’Angondjé.
Les nouvelles en provenance du stade d’Angondjé ne sont pas toujours de bon augure. Parfois elles suscitent colère, déception et raillerie. Même si tout était prévisible, certains avaient voulu croire en autre chose. Pour eux, la limitation du nombre de mandats présidentiels semblait actée, courue d’avance. A leurs yeux, la coupure du lien entre le président de la République et la Cour constitutionnelle était inévitable. Dans le premier cas, cette quasi-certitude tenait de la nécessité de favoriser ce renouvellement de la classe politique tant espéré et tant vanté par l’actuel pouvoir. Dans le second, elle découlait de la volonté de garantir l’indépendance de la justice tout en éloignant le spectre de la suspicion des décisions du juge constitutionnel. Dans un cas comme dans l’autre, les optimistes plaidaient l’urgence de coller à l’air du temps et donner suite aux attentes de l’opinion publique.
Des questions
Assortie ou non de la réduction de la durée, la limitation du nombre de mandats est perçue comme le passage obligé vers l’alternance. On ne peut, dès lors, minimiser le refus d’y accéder. Pour l’acceptabilité des décisions du dialogue politique en cours, il faut y répondre. Pour sa crédibilité, on ne doit banaliser le refus de couper le cordon entre le président de la République et celui de la Cour constitutionnelle. Devant le Parlement réuni en congrès, en juin 2016, Ali Bongo s’était dit «prêt à discuter de tout, y compris des mandats politiques». Durant la présidentielle d’août de la même année, tous les candidats, à l’exception notable du président de la République sortant, s’étaient prononcés pour la limitation du nombre de mandats. Certains avaient même suggéré la réduction de la durée, proposant systématiquement cinq ans au lieu de sept actuellement.
Le maintien du statu quo en dit long sur les intentions et l’état d’esprit des participants au Dialogue politique. Tout cela fait peser une menace de surplace sur notre jeu politique et notre démocratie. De quelle avancée démocratique peut-on se prévaloir après avoir acté la possibilité pour le président de la République de se représenter à vie ? Quelle garantie d’indépendance de la justice peut-on donner après lui avoir maintenu le statut de président du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) ? Quel gage de transparence électorale offrir après lui avoir permis de continuer à nommer le président de la Cour constitutionnelle ? Pourquoi avoir laissé le contentieux électoral de la présidentielle et des législatives entre les mains de cette institution ? Pourquoi lui avoir retiré le contentieux lié aux sénatoriales et aux locales ? Pourquoi ne pas donner au Conseil d’Etat la prérogative de connaître de l’ensemble du contentieux électoral ? Au nom de quoi la Cour constitutionnelle doit-elle être seul juge des questions engageant le président de la République ou l’Assemblée nationale ? Quels gages de sérieux et de compétence offre cette juridiction composée de politiques et fonctionnaires déclassés ou à la retraite ? Pourquoi ne pas accorder la même confiance au Conseil d’Etat ?
Les participants au Dialogue politique gagneraient à répondre à ces questions. Ils ont intérêt à offrir à l’opinion des garanties de non-répétition des crises post-électorales. Et pour cause : depuis 1990, les collusions institutionnelles minent la santé de notre démocratie. Le pouvoir de nomination du président de la République rend le gouvernement redevable, paralysant l’administration et transformant les forces de sécurité en unités prétoriennes. La non-limitation des mandats fausse le déroulement des scrutins présidentiels, les ravalant au rang de formalités administratives pour la reconduction d’un système. Au-delà, elle permet le maintien ad vitam aeternam des mêmes responsables, compliquant par ricochet toute entreprise de rénovation de la vie publique ou de renouvellement de l’élite politique.
Du pain sur la planche
De toutes ces réserves, les participants au Dialogue politique ont conscience. Aux côtés de Jean Ping, René Ndemezo’o Obiang s’en était fait le relais. Durant sa campagne, Pierre-Claver Maganga-Moussavou les avait expliquées. Dans le cadre des travaux du Conseil national de la démocratie (CND), Séraphin Ndaot Rembogo les avait promues. Même s’ils n’ont jamais eu le courage de livrer publiquement le fond de leur pensée, les ténors de la majorité n’en pensent pas moins. Pour eux, comme pour leurs contradicteurs du moment, l’organisation et le fonctionnement de la Cour constitutionnelle doivent être revus. Eux aussi en ont en marre de subir l’impérium d’une institution érigée en juge suprême de la légitimité sans contre-pouvoir aucun. Eux aussi disent militer pour le renforcement de la démocratie et de l’Etat de droit. Mais, comme toujours, ils n’ont pas eu l’audace d’aller au fond de leur pensée ou de la traduire en actes.
Les participants au Dialogue politique ont-ils, d’ores et déjà, échoué ? Ont-ils capitulé au moment de créer une dynamique de changement ? Là se trouve, en réalité, l’objectif principal de leurs travaux : impulser des réformes pouvant aboutir à une alternance. En reculant sur le mandat présidentiel, la présidence du CSM et les modalités de désignation du président de la Cour constitutionnelle, ils n’ont pas envoyé le meilleur des signaux. N’empêche, on peut leur concéder certaines conquêtes : le mandat unique de neuf ans pour les juges constitutionnels, la réforme complète de la Commission électorale nationale autonome et permanente (Cenap) à travers l’exclusion des ministères techniques et la désignation de son président par le vote sont autant de points à leur actif. Mais, la portée et l’efficacité de ces changements se mesureront à la pratique. Pour l’heure, il faut affûter les armes en vue de la bataille pour leur traduction en textes juridiques. L’expérience du passé faisant foi, toutes ces idées pourraient bien connaître un enterrement de première classe. Ce risque n’est, en tout cas, pas à écarter. S’ils veulent faire la preuve de la justesse de leur décision d’y prendre part, les tenants du Dialogue politique ont, en conséquence, du pain sur la planche. Il en va de leur crédibilité. Et peut-être même de leur avenir politique.