L’ancien Premier ministre Casimir Oyé Mba a, dans une déclaration sollennelle vendredi à la Chambre de commerce de Libreville, lancé un appel au président de la République, Ali Bongo Ondimba et à son principal rival politique Jean Ping à se dépasser pour débloquer le Gabon.
Voici l’intégralité de cette déclaration :
Mesdames et Messieurs,
Chers compatriotes,
Je voudrais d’abord vous remercier tous d’avoir consenti l’effort de vous extraire de vos occupations quotidiennes pour venir m’écouter.
Vous l’avez fait parce que, comme moi, comme beaucoup d’autres, vous êtes soucieux du Gabon, parce que vous vous demandez où nous en sommes, et où nous allons.
Je vous décevrai peut-être en vous disant d’emblée que je n’ai pas tout seul la réponse à ces interrogations légitimes, qui m’habitent aussi.
Je précise de même que je suis venu ce matin devant vous de moi-même. Je ne suis mandaté par personne. Dois-je d’ailleurs être mandaté pour parler aux Gabonais, et par qui ? Tout simplement, étant un des acteurs politiques gabonais – un des nombreux acteurs politiques gabonais – il y a des gens qui doivent se dire : « Mais qu’est-ce que OYE MBA pense de la situation actuelle du Gabon ? »
C’est la raison pour laquelle je suis devant vous.
Chers compatriotes,
Mesdames et Messieurs,
Je vous rappelle que le 27 Août 2016, des élections présidentielles se sont tenues au Gabon.
Sur la douzaine de candidats en compétition, deux sortaient du lot : M. Ali BONGO ONDIMBA, Président en fonction, présenté par le PDG, formation politique exerçant le pouvoir sans discontinuer depuis sa création par Omar BONGO ONDIMBA en 1968. M. Jean PING, Ancien Ministre et Ancien Président de la Commission de l’Union Africaine. Sans appartenance partisane précise, mais porté par un désir
d’alternance largement partagé. M. PING est apparu comme « le candidat unique de l’opposition », à la suite du ralliement d’autres candidats.
L’on comprendra que je revienne brièvement sur ces moments.
Avec insistance, le peuple gabonais demandait depuis longtemps aux candidats de l’opposition de s’unir pour libérer le pays du régime BONGO-PDG et réaliser enfin l’alternance politique.
Il nous demandait d’aller au-delà de nous-mêmes. Il nous demandait de mobiliser toutes nos énergies POUR L’INTERET SUPERIEUR DE NOTRE PAYS. Nous y avons répondu.
En conscience et en toute liberté, Guy NZOUBA NDAMA et moi avons consenti à renoncer à nos ambitions personnelles, aussi respectables que d’autres. Nous avons accepté que Jean PING soit le porte-drapeau de l’opposition à cette élection présidentielle.
Léon Paul NGOULAKIA et Roland-Désiré ABA’A MINKO se sont ensuite joints à cette démarche unitaire.
Plébiscitant cette initiative salutaire, le 27 Août 2016, le peuple gabonais a porté massivement ses suffrages sur Jean PING pour être Président de la République.
Mais, ainsi que nous le redoutions, contre la volonté des Gabonais clairement exprimée dans les urnes, la CENAP, le Ministre de l’Intérieur et la Cour Constitutionnelle ont accompli leur sinistre besogne, décidé de nier la souveraineté du peuple gabonais et d’imposer le maintien d’Ali BONGO ONDIMBA à la tête de l’Etat.
La suite est connue de tous.
Dès l’annonce des résultats le 31 Août 2016, Libreville et Port-Gentil, les deux principales villes du Gabon s’embrasent. D’autres localités de l’intérieur expriment leur colère. Dans plusieurs pays étrangers, les Gabonais manifestent comme jamais auparavant, quelquefois durant plusieurs semaines. A tous ces patriotes, nous rendons hommage.
Le Pouvoir réagit avec une violence inconnue jusqu’ici : intimidations, ratonnades, arrestations, tueries, sont perpétrées à l’aveuglette un peu partout.
Le Quartier Général de Jean PING, qui rassemblaient ses partisans et des leaders politiques venus célébrer leur victoire, des Gabonais tombent. Leurs cadavres sont prestement ramassés, comme des bêtes, et emmenés vers des destinations secrètes.
On laissera entendre qu’on cherchait à récupérer au QG de Jean PIN G des armes qui y étaient stockées, mais qu’on n’a jamais vues.
En plus du choc ressenti du fait de la grossière falsification des résultats, ces violences inouïes ont causé un profond traumatisme, qui perdure.
Depuis lors, le pays est divisé entre ceux dont le rêve d’alternance a été brisé et ceux qui croient ou font semblant de croire, pour diverses raisons, en la victoire d’Ali BONGO.
NON, NON ! Je le redis encore. Ali n’a pas gagné ; c’est PING qui a gagné ! Mais Ali a pris LE POUVOIR ; il est assis sur le fauteuil ; il est au Palais.
Le Gabon est bloqué et les Gabonais avec lui.
Y a-t-il un Gabonais sérieux à penser que le Gabon va bien aujourd’hui ? J’en doute.
Nous voyons, nous sentons tous que notre pays ne va pas bien.
Certes le traumatisme des présidentielles n’est pas la seule cause de la situation. La baisse des revenus tirés du pétrole, les restrictions financières qui en découlent, l’étroitesse de la base économique du pays, les errements et les approximations de la gouvernance générale, tout cela contribue à plomber le Gabon.
L’activité économique s’est alanguie. Voyant leurs activités baisser, ou attendant des règlements de l’Etat qui ne viennent pas, les entreprises licencient une partie de leur personnel ou ferment tout simplement. Les milieux d’affaires sont dans un attentisme frileux et diffèrent leurs projets d’investissement. Des grèves éclatent un peu partout, dans les administrations, les hôpitaux, les écoles et le secteur privé.
Une morosité générale règne dans le pays.
Devant ce blocage du pays, que faire ?
Deux attitudes sont possibles : Se croiser les bras et attendre. Attendre quoi ? On en sait trop rien, en réalité. Ou alors se dire : « Essayons de faire quelque chose ! »
En tant que Gabonais, en tant qu’acteur politique, je préfère adopter la seconde attitude, en sachant parfaitement que c’est difficile, tant les positions sont tranchées, les intérêts et les agendas variés, voire divergents.
Charles BAUDELAIRE disait joliment :
« Les vrais voyageurs sont ceux-là qui partent
Pour partir… Et sans savoir pourquoi, disent toujours allons ! »
Depuis longtemps, depuis toujours, ma conviction est que quand un problème surgit entre des Hommes, ils doivent se parler, pour explorer patiemment les voies et moyens de le résoudre. C’est ce que nous enseigne la culture BANTOUE.
Je le dis avec gravité. A continuer à nous regarder en chiens de faïence, calés dans nos certitudes, nous mettons le Gabon en péril. Nous risquons de glisser insensiblement vers un dérapage fatal. Notre pays attend de ses enfants qu’ils se comportent en Hommes et Femmes civilisés, qui, pour vaincre leurs différends n’ont pas recours aux armes ou à la violence.
Il a besoin de femmes et d’hommes responsables qui, sans malice, sans crainte, sans arrogance et sans haine, se parlent les yeux dans les yeux.
Il a besoin en fait de PATRIOTES, capables de placer le Gabon au-dessus de toute autre considération, même personnelle.
Au risque d’en agacer certains, je redis ici que lorsqu’il s’est agi de retenir un seul candidat de l’opposition, NZOUBA NDAMA, NGOULAKIA, ABA’A MINKO et Moi avons montré notre capacité à nous effacer, pour privilégier ce qui apparaissait comme l’intérêt supérieur. Nous l’avons fait en rudoyant nos propres sympathisants.
Regardons un peu notre passé politique récent. Il est déjà arrivé que des adversaires résolus du Pouvoir acceptent de discuter pour arriver à un accord politique permettant de débloquer la situation.
Qui peut nier que sans Simon OYONO ABA’A et le MORENA il n’y aurait pas eu la Conférence Nationale en 1990 ?
Qui peut nier que sans Pierre -Louis AGONDJO et Paul MBA ABESSOLE il n’y aurait pas eu les Accords de Paris en 1994 ?
Qui peut nier que sans Pierre MAMBOUNDOU, il n’y aurait pas eu les Accords d’ARAMBO en 2006 ?
Ces précédents nous interpellent, pour cette fois-ci aussi, débloquer le Gabon. Ils m’interpellent moi ; ils vous interpellent ; ils interpellent tous les gabonais.
Mais, disons-le aussi. A l’évidence, ils interpellent d’abord et surtout M. Ali BONGO et M. Jean PING.
Ce sont en effet les deux principaux protagonistes de la crise actuelle. Ils le sont parce que Jean PING a été élu, pour diriger le pays, et que Ali BONGO ONDIMBA s’est emparé du pouvoir et l’exerce.
Il s’agit d’une crise POLITIQUE gravissime, à laquelle il faut trouver une réponse POLITIQUE.
Les Gabonais regardent Ali et PING. C’est à eux de donner le LA.
C’est à eux de prononcer les mots, de faire les gestes, de poser les actes qui enclencheront dans les esprits le processus de l’apaisement et de la sortie de crise. Ils doivent pour cela fermer leurs oreilles aux incitations de leurs « faucons » respectifs. Ils doivent dépasser leur propre personne, pour s’élever et se hisser au niveau des exigences du moment. Ils doivent l’un et l’autre faire sur eux-mêmes des sacrifices, pour sortir le Gabon de l’impasse.
Au lendemain des élections présidentielles, M. Ali BONGO et M. Jean PING ont appelé l’un et l’autre à un » Dialogue National ». Même si c’est regrettable, force est de constater qu’il s’est tenu finalement deux dialogues.
« Le Dialogue de PING » a eu lieu du 19 au 23 décembre 2016. Pour y avoir participé, je peux affirmer que ce fut un succès : large participation, expression totalement libre, voire débridée par moments, plusieurs propositions constructives.
Mais comment ne pas voir que le double fait que les « émergents » n’étaient pas avec nous et que nous n’avons pas les moyens de transcrire nos idées dans la réalité juridique et politique ravale nos réflexions en simple exercice intellectuel ?
« Le dialogue d’Ali » est en cours depuis bientôt un mois. Il accouchera certainement de propositions qui ne seront pas toutes dénuées d’intérêt.
Pourquoi s’interdire de rechercher et d’organiser une convergence entre ces deux réflexions ?
Ayant la légalité pour lui, c’est-à-dire exerçant l’effectivité du pouvoir, M. Ali BONGO pourra certes transcrire les idées de son dialogue dans des textes, qui s’imposeront à tous. Mais « les gens de PING » n’étant pas à Angondjè, il manquera à ces échanges la capacité d’enclencher dans les esprits le processus de l’apaisement, qui, à mes yeux, doit demeurer le but à rechercher. J’espère que cette donnée politique sera correctement appréhendée par le Pouvoir.
Que peut-on faire pour éviter cet écueil ?
Je ne cesserai pas de le dire : il faut se parler ; les Gabonais doivent se parler.
Il s’agit de NOTRE pays. C’est à nous d’inventer « ensemble » les solutions à NOS problèmes, de trouver les pistes de sortie de crise. C’est à nous aussi de convenir du cadre et des modalités de nos échanges. Nous devons montrer que nous sommes majeurs.
Je ne pense pas qu’il faille s’en remettre à d’autres, charger la communauté internationale « d’inventer » des solutions à notre place. Je ne suis d’ailleurs pas sûr qu’ils y soient disposés. En revanche, je suis sûre que la communauté internationale est prête à nous accompagner, à jouer le rôle de facilitateur, de médiateur en quelque sorte. Nous devons donc le leur demander ; ils ne peuvent pas s’y refuser.
Comme cela se fait toujours dans ce genre de situation, on peut comprendre aisément que de tels échanges ne puissent pas dès leur entame se faire devant micros et caméras, mais dans une stricte discrétion.
On peut comprendre aussi que les premiers contacts se nouent à des niveaux qui préservent les RESPONSABLES SUPERIEURS.
De quoi va-t-on parler ?
Je dirai simplement : on va parler de tout ce qui fait problème entre nous, de tout ce qui a conduit au blocage du pays.
C’est évidemment très vaste et complexe, car il s’agit en fait de repenser les fondements de notre vivre-ensemble, pour éviter de voir les mêmes maux réapparaître demain matin.
Des réflexions utiles ont été menées depuis longtemps dans les cercles divers (administrations, partis politiques de tous bords, syndicats, associations, corps religieux, etc…)
On peut, on doit s’y référer.
Il ne m’appartient pas de fixer tout seul et dans les détails les sujets qui doivent être traités entre Gabonais. Mais j’ai le devoir de signaler des questions qui me paraissent importantes pour apaiser les esprits et permettre le déblocage.
La conscience nationale peut-elle accepter que les personnes, jeunes pour la plupart, qui ont été blessés gravement, tuées ou emprisonnées à la suite des troubles postélectoraux de 2016 soient « passées par pertes et profits ? » Non ! Ces exactions appellent une enquête minutieuse et impartiale et des mesures d’indemnisation, de prise en charge et de libération.
De nombreux enseignants ont été sanctionnés pour avoir, à un moment ou un autre, cessé de faire cours. Ils ont été privés de leurs salaires ou radiés de la fonction publique. Il est opportun de les rétablir dans leurs droits.
De tels gestes de mansuétude lanceraient des signaux forts d’apaisement.
Au plan du fonctionnement de l’Etat et de l’ordonnancement des institutions, je me permets aussi d’énoncer quelques idées.
Léon MBA dirigeait le Bloc Démocratique Gabonais (BDG) avec Paul – Marie GONDJOUT. Omar BONGO a créé et présidait le PDG. Ali BONGO préside ce même PDG.
Ce cumul crée pour le moins des « distorsions » dans la vie du pays. N’est-il pas préférable de prévoir dorénavant que le Chef de l’Etat ne soit pas en même temps chef d’un parti politique ?
Dans presque tous les pays on observe qu’une intimité fusionnelle entre l’exercice de la Responsabilité suprême et la conduite des entreprises pose immanquablement problème.
En Afrique, parce que la démocratie et l’état de droit sont encore peu assurés, les errements constatés sont parfois grossiers. Pour essayer de limiter les dégâts éventuels, ne peut-on, en plus de la déclaration de fortune – à faire vérifier, du reste – imposer à celui ou celle qui parvient à la tête de l’Etat de se dégager juridiquement dans un délai raisonnable de ses intérêts dans les entreprises ?
Les organismes en charge des élections, l’appareil judiciaire, n’ont pas une place de choix dans l’esprit du Gabonais lambda. Sans entrer dans les détails ici, je dirai que leur organisation, leur fonctionnement, tout spécialement la désignation de leurs membres doivent être repensés, pour qu’ils soient plus conformes à l’exigence démocratique générale et, de la sorte, bénéficier de la confiance de la population.
Par rapport au vécu de notre pays, nous ne pouvons pas éluder le problème de la durée d’occupation des hautes fonctions.
Le temps est une dimension de l’existence qu’on ne peut ignorer. Des hommes ont quelquefois marqué positivement l’Histoire sans forcément passer des années et des années dans l’exercice de telle ou telle responsabilité. On ne peut pas nier non plus que l’action a besoin quand même d’un certain temps pour prendre corps utilement, surtout dans des pays jeunes comme le nôtre. L’on sait aussi qu’on ne peut pas être performant et créatif éternellement.
L’extrême longévité de la présidence d’Omar BONGO a fait que dans l’esprit de nos compatriotes, surtout les plus jeunes, s’est introduite l’idée qu’il est préférable que « les gens ne restent pas trop longtemps au pouvoir ».
S’agissant précisément du mandat du Président de la République, la Constitution de 1991, qui s’inspirait des idées de la Conférence Nationale, avait prévu une seule possibilité de renouvellement. Je pense qu’il serait bon de revenir à cette disposition. Un président ne pourrait exercer qu’un mandat, renouvelable une seule fois.
Evidemment, bien d’autres idées et propositions peuvent être et ont été émises sur plusieurs questions à traiter (la carte électorale, l’organisation judiciaire, le rôle des forces de sécurité, l’organisation des élections, la gouvernance économique et financière, la politique de décentralisation…)
La situation du pays est urgente. De sérieux dangers nous menacent. N’attendons pas trop pour réagir.
Winston CHURCHILL disait « qu’il faut prendre l’événement par la main, avant d’être saisi par lui à la gorge. »
Je lance donc un appel à Ali BONGO et Jean PING d’abord, pour qu’ils se dépassent et se hissent au niveau des exigences de la situation actuelle, qui appelle un déblocage.
Je lance aussi un appel à tous les Gabonais, notamment aux décideurs, à la classe politique, à la société civile. Ce pays attend d’eux qu’ils soient des citoyens, des PATRIOTES.
VIVE LA REPUBLIQUE VIVE LE GABON