Avec la «distraction», selon un Rapport de la Commission nationale de lutte contre l’enrichissement illicite, en début d’année, de plus de 2700 milliards de francs CFA des caisses de l’Etat entre 2006 et 2012, suivie des accusations portées sur le président du Conseil départemental de Bendjé et sur les maires des communes de Libreville et d’Akanda qui succèdent aux affaires Ngambia, Ngoubou, Wada et autres, tous issus du PDG, l’on arrive à penser que la corruption est la fille aînée du PDGsme, système mis en place par Omar Bongo en 1968.
Comme on dit que la France est «la fille aînée de l’Eglise», on pourrait dire que la corruption est la fille aînée du système PDG. En moyenne, 500 milliards de francs CFA s’échappent des caisses de l’État chaque année. Rentrant d’un séjour officiel à l’étranger, en 2006, Omar Bongo, répondant aux questions de la presse sur la gestion opaque de Romaine Amvoula, alors maire d’Owendo, des ressources budgétaires de la commune, avait affirmé : «Mme Amvoula est-elle la première personnalité à détourner les fonds publics dans ce pays ?» La fronde menée alors par les conseillers municipaux du parti démocratique gabonais (PDG) de cette ville sous la conduite de Marc-Antoine Ngueye, alors Premier adjoint au maire, s’estompa. Les conseillers municipaux d’Owendo avaient, en effet, été estomaqués par la réaction du premier citoyen du pays…
Autre lieu, autre événement : en visite à Ntoum en 2005, le président-fondateur PDG avait, très en verve, demandé aux populations si elles ne trouvaient pas normal que «si j’envoie Oye Mba vous porter un régime de banane, et que celui-ci, en chemin, a faim et mange quelques doigts de banane» ? Il était ainsi, Omar Bongo : il avait instauré un système de prédation des deniers publics, avec tout d’abord la prise de 10% d’intérêts dans toute entreprise créée au Gabon, pour la holding «Delta Synergie» dans laquelle il avait associé quelques éminences grises de son régime.
Fonctionnaires subitement milliardaires, non inquiétés par la CNLCEI
Aujourd’hui encore, et peut-être plus qu’auparavant, l’enrichissement illicite des élites gabonaises issues du moule PDG demeure vivace. Leur pratique favorite : les détournements de fonds publics, la concussion, l’enrichissement sans cause et sans limite. La proclamation maintes fois annoncée de la lutte contre les «comportements déviants» – ce bon mot que prononça Jean Eyéghé Ndong, alors Premier ministre, devant les députés à l’Assemblée nationale – n’a pas pu se concrétiser. Le «système» est bien en place, toujours en place.
La corruption et l’enrichissement illicite sont des actes graves de faillite morale et politique, des «anomalies évidentes» qui discréditent l’ensemble des acteurs politiques et des gestionnaires de deniers publics. Dans la ville d’Akanda, au nord de Libreville, le maire dont le mandat illisible s’achève dans exactement dix-huit mois, a été incapable, au cours de deux conseils municipaux successifs, tenus les 23 et 29 mai derniers, d’apporter des justificatifs aux sorties d’argent de l’année 2015. Idem pour Lucie Daker Akendengué, président de l’un des plus «riches» Conseils départementaux du pays, celui de Bendjé (Port-Gentil), tandis que le maire de la capitale gabonaise, Rose Christiane Ossouka Raponda, n’aurait pas hésité, de l’avis de certains de ses camarades du Conseil municipal, à mettre «les mains dans le sac». Elle s’est tirée d’affaire avec une (belle) pichenette démontrant sa hauteur d’esprit : «la presse peut en parler, je suis déjà vaccinée». Pitoyable probité ! Ainsi que l’a écrit Achille Mbembé, «le pouvoir en Afrique est un appareil de jouissance et peut susciter des conduites incompréhensibles» même chez des personnes à qui on aurait donné la communion sans confession.
Au Gabon, les histoires de «puissances mafieuses» bien établies dans certaines administrations et collectivités locales sont légion. Il y a, en fait, un impératif : la probité morale en toutes circonstances. La création de la Commission nationale de lutte contre l’enrichissement illicite (CNLCEI), en juin 2003, n’était pas seulement une nécessité, une simple exigence des institutions de Bretton Woods, c’était une grande chance, un grand besoin dans l’immense chantier de la moralisation de la vie publique. L’opinion avait aimé et apprécié la naissance de cette structure anti-corruption, mais la lune de miel fut de courte durée : «dans un pays où, affirmaient certains, les fonctionnaires devenus subitement milliardaires couraient les rues, la CNLCEI n’arrive pas à en trouver un seul». Aujourd’hui encore, près de quinze années plus tard, et après avoir usé trois présidents (Gabriel Ndzemba, Vincent Lebondo-Le Mali, Dieudonné Odounga Awassi), la CNLCEI fait du surplace pendant que la prédation prend une ampleur inégalée dans le pays. Cette institution n’a transmis que quatre dossiers au procureur de la République à Libreville, bien qu’elle ait noté, dans un rapport rendu public, que près de 2700 milliards de francs CFA avaient été «distraits» des caisses de l’Etat entre la fin de la présidence Bongo père et les quatre premières années de l’ère Ali Bongo Ondimba !
Le système PDG et la lutte contre la corruption : une chimère
Dans la capitale gabonaise, la puissance publique a du mal à construire des bâtiments administratifs dont le grand besoin se fait bien sentir. Mais, entre 2013 et 2016, des particuliers ont fait sortir de terre plus de 200 immeubles, dont des établissements scolaires cossus à Libreville, sa proche banlieue, et en province, notamment dans «la ville des TPG» d’Omar Bongo. D’où vient donc la fortune ayant permis de bâtir tout ceci ? N’y a-t-il pas eu d’enrichissement personnel, d’abus de biens sociaux ou de la prise illégale d’intérêts ?
Tant qu’ils sont dans le système, les prédateurs de deniers publis sont assurés d’une certaine immunité. N’allez pas demander aux magistrats du Parquet financier du tribunal de Libreville de diligenter une enquête… Trop peu pour eux ! La Cour des comptes, dirigée depuis 26 ans par Gilbert Ngoulakia, se contente, lorsque des délits de prévarication des fonds publics sont découverts, de faire des recommandations «pour que cela ne se répète plus». Tel a ainsi été le cas, à la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS), lors du départ d’une ancienne dirigeante de cette entreprise publique. De temps en temps, la Cour des comptes demande quelques mises en débet. Mais, le système PDG semble refuser de mener une lutte frontale contre la corruption, l’enrichissement illicite et les «puissances mafieuses» qui continuent de prospérer. Sinon, il encouragerait la désignation des juges pour cela.
Le chantier de la lutte contre l’enrichissement illicite et la corruption est donc en panne. On croyait que la mise en place de «l’Opération Mamba» sonnait le début de la traque. Il se raconte qu’à la Direction générale des recherches (DGR), il existerait une liste de près d’une centaine de personnes, dans laquelle figurent en bonne place 27 personnalités proches d’Ali Bongo, dont deux ministres d’État, mais peut-on les entendre, va-t-on seulement les entendre ? «Aujourd’hui, soupire un journaliste du quotidien L’Union, l’opération Mamba ne semble pas destinée à enrayer toute la vermine liée aux actes d’enrichissement illicite. Pour le grand public, pour l’opinion, l’opération Mamba est sélective.» Cette croisade vertueuse engagée par les autorités sur le front de la lutte contre la corruption et l’enrichissement illicite se résume, visiblement et essentiellement, à traquer quelques-uns des proches de Maixent Accrombessi, et quelques soudards malchanceux. Une tendance qui suscite beaucoup de critiques en raison de son ciblage très partial, de son caractère par trop sélectif.
Délabrement moral de la société
Etienne Dieudonné Ngoubou, Magloire Ngambia, Christian Nkéro Capito, Blaise Wada, Léon Ndong Nteme, Didier Armand Kimbiri, Landry Patrick Oyaya et Grégoire Bayima ont certainement péché, mais sont-ils les seuls ? Comment expliquer qu’aucun des membres les plus proches de certains cercles ne soit jusque-là inquiété ? Eux aussi ont fait de leur position et de l’administration un lieu de jouissance. Manifestant un attrait singulier pour le bling-bling, ils sont englués dans des scandales financiers et des marchés publics truqués et connus des «services». «En volant l’argent public, un grand nombre d’entre eux se disent qu’ils n’ont volé personne»… donc, ils ont l’esprit tranquille. «La société gabonaise est dans une forme de délabrement moral dans laquelle on ne sait plus faire la différence entre le bien et le mal», résume un sociologue enseignant à la Faculté des Lettres de l’Université Omar-Bongo.
Le délabrement moral de la société gabonaise conduite par le PDG depuis 50 ans mérite un grand redressement national. Mais comme le dit Bruno Latour, le philosophe, «les positions politiques sont comme les aiguilles d’une boussole, il faut une masse magnétique pour les faire bouger». Pour lutter contre la corruption et l’enrichissement illicite qui constituent un frein au développement du pays, il faudra être nombreux…