Le 7 juin 2010, le chanteur gabonais Oliver Ngoma décèdait des suites d’une insuffisance rénale à Libreville. Vingt ans auparavant, il signait « Bane », son tout premier disque, pierre angulaire de l’afro-zouk, dont les titres évoquent une époque faste pour la musique africaine dépourvue du label « world ».
« Bane », c’est d’abord l’histoire, à la veille des années 90, d’une rencontre à Paris. Celle d’un étudiant en audiovisuel, Olivier « Noli » N’Goma, fraîchement débarqué de Libreville, et d’un producteur et arrangeur cap-verdien, Manu Lima. Ce dernier, ancien leader du groupe Cabo Verde Show est alors un grand nom de la production musicale africaine et caribéenne à Paris. Aux côtés d’Ibrahima Sylla, fondateur de Syllart Records, il fait office d’arrangeur pour Ismaël Lo, Babaa Mal, Pépé Kallé ou encore Koffi Olomidé, entre autres grands noms de la musique congolaise, sénégalaise ou camerounaise.
À son actif également, le triomphe de la chanteuse ivoirienne Monique Séka. À cette époque, la musique africaine produite dans la capitale française est à l’image d’une diaspora noire au sein de laquelle Africains et Caribéens mangent à la même table et dansent sur les mêmes pistes. Olivier N’Goma, guitariste amateur gabonais, né en 1959 à Mayumba, dans le sud-ouest du Gabon, rêve alors d’enregistrer un disque, obnubilé par la verve de zoukeurs antillais comme Phil Control – dont Manu Lima est également l’arrangeur. « C’est par l’entremise d’un de ses amis que j’ai fait sa connaissance, se souvient ce dernier, ému. Il m’a fait écouter ses démos où il chantait, accompagné d’un orgue et d’une boîte à rythmes. J’ai été marqué par sa voix angélique et spirituelle qui lui venait de son passé d’enfant de chœur. Il faisait preuve d’une véritable sensibilité. C’était un rêveur et un romantique ».
La naissance de l’afro-zouk
Kassav, Experience 7, Zouk All Stars… Aux côtés des stars du soukouss, du ndombolo ou de la rumba congolaise, ces groupes antillais connaissent un succès tout aussi fulgurant. Et fort d’une signature jonglant avec ces styles qu’il arrange en studio, Manu Lima accole aux mélodies d’Olivier Ngoma, chantée en langue vili ou en français, des rythmes de zouk, de musique cap-verdienne, de musiques africaines et de pop qui devraient marquer la naissance de l’afro-zouk. Les textures sont inédites. C’est que les synthés foisonnent…
« Il faut y voir l’influence du duo Quincy Jones – Michael Jackson ou de Stevie Wonder », indique Manu Lima. En 1990, « Bane » sort en cassette et vinyle sous le label SonoDisc. Olivier est devenu Oliver, casquette vissée sur la tête, tout de cuir vêtu. Les titres de son premier opus hypnotisent. Mais ce n’est qu’au bout de quelques mois que « Bane » (« Les enfants » en vili), titre éponyme de cet ovni, se hisse au rang de véritable hit.
« Bane », le hit absolu d’Oliver N’Goma
La télévision et les radios, dont Africa n°1 la gabonaise, diffusent le morceau en boucle. Les discothèques, que ce soit en Afrique, en France métropolitaine ou aux Antilles ne s’en lassent plus. Les morceaux « Icole », « Lusa » ou « Alphonsine » finissent de couronner Oliver N’Goma de succès. Le roi de l’afro-zouk est né. Et jusqu’aujourd’hui, sept ans après son décès, il ne semble pas avoir perdu son trône. « Si près de 30 ans après, les gens sont toujours marqués par ce disque, c’est à cause de la magie spirituelle qui s’en dégage », selon Manu Lima. « Oliver N’Goma est le porte-étendard d’un genre musical qui réunissait les Africains comme les Antillais », note la productrice Binetou Sylla, à la tête du label Syllart Records. « La diaspora noire, sans distinctions d’origines, donnait clairement le tempo à cette époque. L’afro-zouk était la musique du Paris noir ».
« Bane » est un disque intemporel, fait pour traverser les générations
Dans les années 2000, le fameux label Lusafrica, fondé par José Da Silva, réédite « Bane » en plus de publier les futurs disques d’Oliver N’Goma dont « Adia » en 1995 ou « Saga » en 2006, au retentissement moindre. « La production de « Bane » était extrêmement rodée et Oliver maîtrisait l’art de la mélodie », indique José Da Silva, fondateur de Lusafrica et actuel directeur de la branche ouest-africaine de Sony Music Entertainment à Abidjan. « Oliver était très timide, très introverti, il ne parlait pas beaucoup mais il était très intelligent et savait ce qu’il voulait », se souvient José Da Silva. « Pour moi, c’est l’un des seuls artistes africains qui prenait le temps de faire les choses et c’est sans doute en cela que ‘Bane’ est un disque intemporel, fait pour traverser les générations ».
Un disque intemporel
Et José Da Silva ne croit pas si bien dire. Établi au Ghana, le DJ Benjamin Lebrave peut en attester. « Je suis épaté de voir à quel point les morceaux d’Oliver N’Goma sont encore appréciés aujourd’hui dans toute l’Afrique alors même que le Ghana reste une bulle assez imperméable à la musique francophone ». En février dernier, le DJ passe quelques morceaux du chanteur au cours d’une soirée. « Là, tout le monde m’a regardé. Non seulement les gens connaissaient très bien sa musique mais encore ils savaient qu’il était gabonais ».
Les années 90 ont marqué le temps du mélange des genres
Dès lors, la température monte de plusieurs degrés, assure-t-il. Pour Binetou Sylla, « Bane » est un indétrônable classique de la musique africaine populaire. « Les années 90 ont marqué le temps du mélange des genres. J’ai découvert, il y a peu, que mon père, Ibrahima Sylla, a produit le chanteur antillais Tony Chasseur ! Quelque part, tout cela revient à la mode à travers l’afrobeats ou la naija music. Aujourd’hui, la diaspora noire danse autant sur la naija de Wizkid que sur la dance-hall de Popcaan ».
Et Manu Lima de renchérir : « Aujourd’hui, au Nigeria ou au Ghana, ce que l’on entend en termes de musique naît de la même démarche qu’à l’époque : transcender la musique africaine, la nourrir de différents styles en cultivant l’originalité ». Gage qu’Olivier N’Goma compte parmi ces artistes pionniers qui ne sauraient être oubliés.