L’acte de l’ancien candidat à la présidentielle place la justice devant ses responsabilités, de nombreuses zones d’ombre devant être éclaircies dans un environnement où les dénis de démocratie font le lit du pire.
Tout le monde l’a dit un jour. Chacun l’a redouté à un moment ou un autre : face à la confiscation de la souveraineté populaire, la violence finit toujours par apparaître comme une solution. Au-delà des interprétations divergentes et de l’unanime condamnation, l’initiative de Roland Désiré Aba’a Minko le rappelle de façon claire. Les faits sont connus. Vendredi 16 juin dernier, plusieurs rédactions de la presse audiovisuelle ont été prises d’assaut par des hommes encagoulés. Partout, les apprentis-terroristes ont eu la même exigence : obtenir la diffusion d’un message de l’ancien candidat à la présidentielle mettant en demeure Ali Bongo de quitter le pouvoir sous 72 heures, faute de quoi de nombreux bâtiments publics seraient détruits au plastic (lire «Un ultimatum à Ali Bongo»).
Le déroulement des événements suscite des interrogations quant aux motivations réelles de l’ancien candidat à la présidentielle. La sollicitude des médias publics et d’autres détails encore incitent à rechercher les complicités dont il a pu bénéficier. Réputées pour leur frilosité face aux activités de l’opposition, Gabon24 et Gabon Télévision ont, curieusement, fait montre de promptitude, couvrant et diffusant de surréalistes appels à la violence. Quelle explication donnée à leur présence au point-presse donné au mausolée Léon Mba ? Accusée de soutenir Jean Ping, l’Union européenne a vu son siège pris d’assaut par un quidam se réclamant de l’opposition. Quel sens donner à tout cela ? Pourquoi la délégation de l’UE n’a pas fait jouer la Convention de Vienne ? En un mot comme en mille, il faut faire toute la lumière sur ces événements.
Zones d’ombre
Sans chercher à dénigrer la justice, il faut exiger une enquête complète, impartiale et dénuée de toute arrière-pensée politicienne. Sans préjuger des conclusions, il faut se poser les bonnes questions. Il ne faut céder ni à la peur, ni à l’accusation gratuite encore moins au laxisme. Après tout, le Gabon se veut à la fois un Etat organisé et une démocratie fonctionnelle. Aux citoyens, les pouvoirs publics doivent explication, vérité et protection. De ce point de vue, l’opacité ou le mutisme aurait valeur d’aveu. L’introduction de la violence, voire des méthodes terroristes, dans le jeu politique commande une réaction ferme et tout aussi transparente. Le procureur de la République ayant annoncé l’ouverture d’une enquête, il faut exiger son aboutissement, même si le précédent de l’île Nendjé (lire «L’invraisemblable trouvaille») incite à la circonspection.
Pour avoir déjà laissé des affaires sans suite (lire «L’enquête impossible»), notre appareil judiciaire a un devoir de résultats. Régulièrement accusé de servir des intérêts particuliers, il n’a plus droit à l’erreur. Il doit, tout à la fois, rassurer les citoyens et garantir le vivre-ensemble. En ce vendredi de folie, tout s’est passé comme si les institutions n’avaient plus de prise sur le réel. Comment Roland Désiré Aba’a Minko a-t-il pu réunir autant de journalistes pour sa première déclaration ? Comment a-t-il pu proférer des menaces aussi graves et conserver sa capacité de mouvement ? Si certains plaideront l’effet de surprise, on ne peut laisser toutes ces zones d’ombre inexpliquées (lire «Que de zones d’ombre»). Si d’autres convoqueront les procédures, on ne doit céder à cet argument de facilité. A la fin des fins, il faut jeter un regard froid sur ces événements et sur le fonctionnement de notre Etat. Au-delà, il faut interroger le fonctionnement de notre démocratie.
Des comptes et des explications
De toute évidence, Roland Désiré Aba’a Minko ne croit ni en nos institutions, ni en notre démocratie. Sinon, il n’aurait jamais songé à de telles méthodes. Sa menace de faire sauter des bâtiments administratifs traduit un déficit de confiance dans l’Etat. Elle exprime un certain ras-le-bol face aux dénis de droit à répétition. Elle souligne une adhésion de certaines catégories de populations à la violence comme moyen de prise du pouvoir. Pour n’avoir pas su catalyser une alternance démocratique, l’appareil d’Etat est aujourd’hui perçu comme la source du retard de notre pays. Pour réconcilier les Gabonais avec leurs institutions, le droit de savoir et le droit à la justice doivent être respectés. Autrement dit, la justice doit aller au bout de l’enquête. Quand le gouvernement s’empresse de formuler des accusations (lire «Billie-by-Nzé indexe Jean Ping»), elle doit agir avec minutie, doigté et froideur, loin du tumulte médiatique et du fracas politique. Aux accusations tout à trac, à la nonchalance, elle doit opposer méthode et célérité. Surtout, elle doit faire montre de rigueur et d’impartialité dans la recherche dans la vérité.
Sauf à accepter de s’enfoncer dans les abîmes du discrédit, la justice est à l’épreuve des faits. Pour elle, c’est même l’heure de vérité. A la majorité et à l’opposition, elle doit demander des comptes. Au gouvernement, aux responsables des forces de sécurité, aux renseignements généraux, elle doit exiger des explications. Surtout, en cette période où la confiscation de la souveraineté populaire finit par exaspérer plus d’un. Qu’elle le veuille ou non, elle doit prendre l’acte de Roland Désiré Aba’a Minko pour ce qu’il est : un avertissement sans frais à tous les chantres des scrutins truqués. Même si cela peut paraître invraisemblable, les événements du 16 juin dernier montrent que face au déficit de transparence, tout peut devenir possible, y compris le pire : le recours à la violence pour faire respecter le verdict des urnes ou accéder au pouvoir.