Même si on ne peut préjuger de la suite, la mission de la Cour pénale internationale en terre gabonaise préfigure une ère nouvelle.
La vérité finira-t-elle par éclater ? Le droit parviendra-t-il à triompher ? La démocratie va-t-elle finalement s’installer ? Depuis le 20 du mois en cours, une mission de la Cour pénale internationale (CPI) est dans nos murs (lire «La CPI à Libreville»). Elle entend vérifier «si les critères imposés pour l’ouverture d’une enquête sont réunis». Neuf mois après leur survenue, les violences postélectorales de septembre 2016 font de nouveau l’actualité. Pour la première fois depuis 1990, les victimes et leurs familles peuvent espérer voir leurs droits reconnus. Pour la première fois aussi, elles peuvent nourrir l’espoir de les voir respectés. Volens, nolens, c’est une avancée décisive sur les sentiers escarpés de l’Etat de droit. C’est aussi une étape importante sur les chemins tortueux de la démocratie libérale. Chacun est libre de rappeler les conditions de saisine de l’instance judiciaire internationale. Tout le monde peut indexer l’un ou l’autre des camps politiques. Mais, là réalité est là : avec cette mission, 26 années de brutalité politique gratuite et cinq vagues de violences postélectorales défilent dans les esprits.
Les exactions commises après l’annonce des résultats de la dernière présidentielle ne devraient pas être les seules concernées par cette mission. Au-delà des faits, l’enquête devrait théoriquement s’intéresser aux causes et sous-causes. Elle devrait rechercher les déclencheurs immédiats et lointains, directs et indirects. Même si on ne peut préjuger de la suite, la mission de la CPI en terre gabonaise annonce une ère nouvelle. Comme le discours de François Mitterrand à La Baule en 1989, comme la Mission d’observation électorale de l’Union européenne (MOE-UE), elle préfigure des changements majeurs dans l’attitude de la communauté internationale (lire «Sous les anomalies, la France»). N’importe comment, elle modifiera notre conception des élections. D’une manière ou d’une autre, elle influencera durablement notre pratique politique. De quelconque façon, elle transformera notre rapport aux droits fondamentaux et à la démocratie.
Comme toute action de justice, le travail de la mission de la CPI devrait reposer sur deux exigences essentielles : la reconnaissance et le respect des droits. Sur ces deux points, l’ensemble de la communauté nationale devra être vigilante. Déjà, l’Union du peuple gabonais (UPG) se dit prête à y mettre du sien, invitant les citoyens à faire de même (lire «Moukagni-Iwangou appelle à la coopération»). En son temps, André Mba Obame avait aussi misé sur la justice internationale (lire «Mba Obame annonce une mission de la CPI»). Sans succès. Ce précédent suffit pour inciter les parties prenantes à une franche collaboration. A lui seul, il place la mission actuelle face à ses responsabilités et à une exigence d’efficience. Face au gouvernement, aux institutions, aux forces de sécurité, à la majorité au pouvoir, à l’opposition et à la société civile, elle devra faire montre d’un sens de l’écoute et de méthode. Elle devra surtout chercher à comprendre les tenants et aboutissants de deux événements majeurs : l’attaque du quartier général de Jean Ping et la répression des manifestations populaires du 31 août 2016.
Depuis 1990, des sièges de partis ou leaders de l’opposition ont été attaqués. Depuis 1993, le verdict des urnes a systématiquement été inversé. Pis, la contestation de cet état de fait a toujours donné lieu à une vague de répression. Jamais, la communauté internationale ne s’en est émue. Invariablement, elle a appelé au calme et au respect de l’ordre établi, avalisant des dénis de démocratie et passant outre le respect des droits fondamentaux. Cette fois-ci, la CPI envoie une mission sur le fondement de requêtes formulées par le gouvernement et le camp Ping. Le rapport de la MOE-UE a-t-il pesé dans sa décision d’y répondre ? On peut légitimement le penser. Au grand soulagement des démocrates de tout bord, l’enquête internationale tant rêvée va, peut-être, s’ouvrir. A partir du moment où chacun des deux camps a initié une saisine, il y a des raisons d’espérer. L’on ose raisonnablement penser que tout sera mis en œuvre pour faciliter le travail de la mission. Logiquement, l’on est fondé à s’attendre à l’éclosion de la vérité. Légitimement, on peut envisager des répercussions, notamment sur la gouvernance démocratique.
Au demeurant, tous les animateurs de la vie publique doivent réfléchir à la portée de la présence de la CPI dans nos murs. Au-delà de la suite de cette mission, les partis politiques doivent se résoudre à respecter les règles du jeu démocratique. Les institutions, notamment la Cour constitutionnelle, gagneraient à se mettre au service de la République, c’est-à-dire de la chose publique, du bien commun et de l’intérêt général. Les forces de défense et de sécurité ont intérêt à refuser toute immixtion dans le débat politique. Faute de s’y résoudre, la justice internationale se rappellera à chacun, tôt ou tard. Le dossier Gabon ayant été ouvert, tout sera désormais possible. De ce point de vue, la mission actuelle peut avoir valeur de mise en garde ou de piqûre de rappel. Dès lors il faut se le tenir pour dit : dans un environnement globalisé, où la transparence et la reddition des comptes sont érigés en principes sacro-saints, le transfèrement de n’importe lequel des dignitaires de notre pays vers La Haye ne relève plus de la chimère.