Interrogé sur le développement de l’Afrique au G20, le chef de l’État a ciblé les « 7 à 8 enfants » des femmes africaines comme un problème « civilisationnel ». Si ces propos choquent sur les réseaux sociaux, ils sont loin de heurter les spécialistes.
« Le défi de l’Afrique, il est civilisationnel aujourd’hui », a déclaré Emmanuel Macron, samedi 8 juillet, en conférence de presse lors du G20 à Hambourg. « Quels sont les problèmes ? Les États faillis ou les transitions démocratiques complexes, la transition démographique qui est l’un des défis essentiel de l’Afrique”, a-t-il énuméré avant d’ajouter : “Dans un pays qui compte encore sept à huit enfants par femme, vous pouvez décider d’y dépenser des milliards d’euros, vous ne stabiliserez rien.”
Selon le président, la fécondité serait donc un facteur essentiel du sous-développement du continent africain. Les subventions destinées à doper la croissance économique seraient vaines car le problème du continent est avant tout démographique.
Face à de tels propos, les réseaux sociaux n’ont pas tardé à réagir pour dénoncer ce que les Internautes considèrent comme un faux-pas du président français qui cite des chiffres erronés.
Chiffres éloignés de la réalité
Il faut dire que les données avancées par Emmanuel Macron sont éloignées de la réalité. Selon une étude de l’ONG Population Reference Bureau datée de 2016, le taux de fécondité en Afrique s’élèvait à 4,7 enfants par femme contre 2,5 en moyenne dans le monde. En 1950, il était de 6,5.
Seul un pays affiche un taux de fécondité proche de celui évoqué par le président : le Niger avec 7,6 enfants. « Les propos d’Emmanuel Macron ne tiennent pas compte de l’aspect très composite du continent africain », commente Youssef Courbage, démographe à l’Institut national d’études démographiques (INED).
Selon le démographe et ancien expert des Nations unies, la déclaration du président ne concerne en fait que les pays francophones de l’Afrique subsaharienne, où la transition démographique n’a pas encore opéré, comme au Mali (6 enfants par femme) ou au Niger qui affiche le taux de fécondité le plus élevé au monde. « Dans ce pays fortement rural, les enfants sont sortis de l’école pour être utilisés comme une main-d’œuvre gratuite ou à bas coût », poursuit Youssef Courbage.
Selon lui, les pays du Maghreb central, comme le Maroc, la Tunisie ou encore l’Algérie, qui affichent respectivement un taux de 2,4, de 2,4 et de 3,1 – contre 2 pour la France – ne sont pas concernés par cette déclaration, au même titre que les pays subsahariens anglophones comme l’Afrique du Sud (2,4), le Botswana (2,8) ou encore la Namibie (3,6).
Vision anglo-saxone
Reste que la théorie avancée par Emmanuel Macron de réduire la fécondité pour amorcer le développement reflète la pensée de nombreux spécialistes africains. À commencer par Laurent Chalard, géographe de la population et membre du think tank European Centre for International Affairs. « Cette vision détonne car elle s’éloigne du discours habituel français selon lequel le développement économique passe par la lutte contre la corruption, explique-t-il. Le président a choisi de se rapprocher de la vision anglo-saxone, selon laquelle la politique de planning familial est indispensable pour créer un terrain favorable à la croissance ».
La France, qui fait figure des pays natalistes, a tendance à se détourner de la question du planning familial. « Il est difficile d’appliquer ailleurs ce qu’il ne se fait pas dans son propre pays », relève Laurent Chalard.
Mais le constat est sans appel, selon le géographe : aucune ancienne colonie française ne peut se targuer d’une croissance économique forte, affirme le chercheur, qui cite en contre-exemple le cas de l’Éthiopie : 10 % de croissance et 4 enfants par femme.
Facteur d’enrichissement
Autre argument avancé par les spécialistes : la baisse de la fécondité est un facteur favorable à la croissance économique. « Elle permet tout simplement d’augmenter la richesse moyenne par habitant », explique Youssef Courbage. Pour que l’Afrique sorte de la misère, « les pays doivent maintenir leur taux de croissance à 10 % pendant trois décennies, tout en réduisant leur taux de fécondité », surenchérit Laurent Chalard.
Sauf que sur ce point, un travail reste à faire sur les mentalités. D’ici à 2050, la population de l’Afrique devrait doubler, atteignant ainsi 2,4 milliards de personnes, avant de s’établir à 4 milliards vers 2100.