Le Premier ministre gabonais Emmanuel Issoze-Ngondet affiche sa satisfaction quant au déroulement du dialogue politique et détaille les multiples réformes engagées par son gouvernement ces derniers mois.
Pendant les assises du Dialogue politique dont il conduisait les travaux, il n’était pas rare de voir arriver Emmanuel Issoze‑Ngondet au stade de l’Amitié d’Angondjé avec les yeux fatigués de celui qui dort peu. Dans le bureau aménagé pour la circonstance, son téléphone vibrait sans arrêt. C’est qu’à l’évidence, au cours de ce dialogue, des liens se sont tissés avec certains adversaires qui, hier encore, faisaient partie de l’opposition la plus radicale. Avec les journalistes, c’est autre chose. Sa parole est pesée et contrôlée.
Nommé Premier ministre le 28 septembre 2016, c’est-à-dire en pleine contestation post-électorale, il veut pouvoir travailler pour le Gabon. Mais l’entreprise est délicate. Ce diplomate madré de 56 ans, passé à la politique depuis son entrée au gouvernement en 2009, essaie donc de dire les choses sans langue de bois mais il rencontre un succès relatif. Pourtant, l’auteur du roman Un ascète dans la cour, publié en 2007 (L’Harmattan), ne manque pas de profondeur, lui qui fait dire à son héros que « la pratique du pouvoir reste prisonnière de l’esprit de cour »…
Jeune Afrique : Le Dialogue politique d’Angondjé s’est clos le 25 mai dernier. Ses conclusions sont-elles susceptibles de sortir le Gabon de la crise politique qu’il traverse ?
Emmanuel Issoze-Ngondet : La crise postélectorale née de la contestation violente des résultats de l’élection présidentielle du 27 août 2016 par certains candidats n’a pas pour autant précipité le pays dans une crise politique. Ni institutionnelle ni de régime, encore moins dans une révolte populaire. Néanmoins, les violences postélectorales ont permis de mettre en lumière l’urgente nécessité d’une revitalisation profonde de notre démocratie, en y faisant contribuer l’ensemble des forces vives de la nation.
C’est le sens du Dialogue politique convoqué par le président de la République, qui a marqué les retrouvailles entre des acteurs qui ne s’étaient plus réellement parlé depuis des mois, voire des années. Comme dit l’adage : « Il n’y a pas deux personnes qui ne s’entendent pas, il y a seulement deux personnes qui n’ont pas discuté. » Après une élection très disputée, et les tumultes qui en ont résulté, il nous fallait bien discuter du présent et de l’avenir de notre pays.
De manière générale, estimez-vous que ces conclusions comportent une plus-value démocratique ?
Incontestablement ! à l’instar de la Conférence nationale de 1990, des accords de Paris de 1994, des accords d’Arambo de 2006, ce Dialogue politique fera date dans l’histoire de notre pays. Je voudrais souligner l’impact de certaines réformes sur l’évolution de notre démocratie. Je pense notamment à la réforme des scrutins politiques, à la non-fixation d’un âge plancher, autre que celui de la majorité politique [18 ans], pour la participation aux élections et l’accès aux responsabilités exécutives.
L’application des réformes contribuera à l’apaisement du climat politique
C’est une ouverture notable en faveur de la jeunesse, notamment. Je pense également à la réforme des organes chargés de la gestion des élections. Le nouvel organe proposé à la place de la Commission électorale nationale autonome et permanente [Cenap], le Centre gabonais des élections [CGE], reposera sur un mode de fonctionnement qui vient renforcer la participation paritaire de la majorité et de l’opposition et, en conséquence, l’intégrité et la transparence des scrutins.
À Angondjé, nous avons travaillé à nous accorder sur les mesures visant à conforter le peuple dans son rôle de source de légitimité du pouvoir, à renforcer les conditions de transparence des scrutins et à améliorer la représentativité politique des citoyens. La pleine application de ces réformes contribuera certainement à l’apaisement du climat politique, afin de préparer au mieux les prochaines échéances électorales.
Y a-t‑il un calendrier pour la mise en œuvre des mesures issues du Dialogue politique ?
Le protocole d’accord prévoit, en son article 256, la mise en place d’un nouveau gouvernement chargé notamment de mettre en œuvre les actes du Dialogue politique. De même qu’il sera mis en place, selon l’article 259 dudit protocole, une commission ad hoc paritaire chargée du suivi-évaluation de cette mise en œuvre. Nous nous attelons à satisfaire très prochainement à ces deux exigences. Tout le reste en dépend.
La participation a été suffisante pour faire oublier les absents
Que dites-vous aux absents, à ceux qui ont boudé ces assises ?
D’abord un constat : la participation a été suffisante pour faire oublier les absents. Mais la possibilité est offerte à ces derniers d’adhérer aux accords, dans la mesure où la démarche qui a présidé à la convocation du Dialogue politique privilégie la recherche collective des solutions aux problèmes du Gabon, par conséquent l’adhésion de l’ensemble de la société aux réformes proposées.
L’économie gabonaise souffre de la baisse des prix du baril. Comment compte-t‑elle rebondir ?
Cette baisse, amorcée courant 2014, a des effets négatifs sur notre économie, en particulier le taux de croissance, le niveau du déficit budgétaire, le volume de la dette, le déséquilibre de la balance des paiements courants et, dans une certaine mesure, l’état de nos réserves de change. Il en a résulté un ralentissement disruptif de la mise en œuvre du Plan stratégique Gabon émergent [PGSE].
Pour y faire face, le gouvernement a entrepris, dès 2015, d’accélérer le rythme des réformes structurelles afin de récréer une dynamique de croissance inclusive. C’est pour donner une nouvelle impulsion au rythme desdites réformes qu’il a été décidé d’élaborer un plan de relance économique (PRE) pour la période 2017-2019, adopté le 19 mai et présenté à l’Assemblée nationale le 27 juin 2017.
Quelles sont ses articulations ? Quelles initiatives le Gabon va-t‑il mettre en œuvre dans les prochains jours ?
Les principales mesures visent à améliorer la gestion des finances publiques et l’ajustement budgétaire, la poursuite du développement des infrastructures et la promotion du secteur privé comme leviers de la diversification et de la transformation de l’économie, à travers la promotion de l’investissement privé dans les filières porteuses de croissance.
Ce plan de relance comporte cinq programmes. Le premier vise à optimiser les ressources et à créer les conditions pour un financement optimal de l’économie, à travers l’élargissement de l’assiette fiscale, et la réforme des administrations fiscale et douanière pour améliorer la performance. D’où la création à terme d’un Office gabonais des recettes.
Il y aura un gel des recrutements de fonctionnaires, à l’exception des secteurs prioritaires
Le deuxième programme porte sur la maîtrise des dépenses publiques, en ramenant le niveau des dépenses liées à la rémunération des agents publics de 65 % à moins de 40 % des recettes fiscales. Il y aura par exemple un gel des recrutements de fonctionnaires, à l’exception des secteurs prioritaires : éducation et santé. Le troisième programme consacre le renforcement de la compétitivité des filières motrices de croissance : BTP et habitat, forêt et pêche, mines, numérique, tourisme, agriculture et énergie.
Le quatrième programme est axé sur l’amélioration du cadre des affaires pour faciliter l’initiative privée. Enfin, le cinquième programme concerne l’amélioration de la qualité des services aux citoyens, d’où la réforme de la gouvernance du système de santé et la mise en œuvre d’un plan d’urgence de l’eau et de l’énergie.
La vie chère est-elle une fatalité au Gabon ?
Il n’y a aucune fatalité en la matière. Des mesures fortes ont été prises récemment, aussi bien par les pouvoirs publics que par certains opérateurs économiques, en particulier pour baisser les coûts portuaires. Une nouvelle liste de produits a été arrêtée pour y faire appliquer une baisse significative des coûts de l’ordre de 15 %. Les effets positifs sont attendus dans un ou deux mois.
L’application des sanctions contre les opérateurs qui contournent la réglementation est nécessaire
Une campagne de sensibilisation s’avère nécessaire, ainsi que l’application des sanctions contre les opérateurs qui contournent la réglementation, à l’instar de tous ceux qui ont pris prétexte de l’instauration d’une nouvelle taxe [la contribution spéciale de solidarité] pour augmenter le prix des denrées alimentaires dans des proportions déraisonnables.
Les licenciements se poursuivent à Port-Gentil. Comment le gouvernement compte-t‑il limiter la casse ?
L’ampleur y est plus marquée du fait d’une dépendance très forte de l’économie locale au secteur pétrolier. Mais ces licenciements concernent aussi d’autres localités. Dans l’immédiat, nous comptons sur l’effet de levier de l’amélioration de la trésorerie des entreprises consécutive à l’apurement des arriérés dus au titre du remboursement de la TVA [87 milliards de F CFA, soit près de 133 millions d’euros] et des instances du Trésor [249 milliards de F CFA], et ce grâce à l’appui des partenaires techniques et financiers. À moyen et long termes, tout repose en réalité sur le retour d’une croissance forte.
Par Georges Dougueli