Rencontre avec le leader de l’opposition du Gabon, de nouveau à Paris pour plaider sa cause un an après la réélection contestée de son rival.
Dans le patio déserté d’un hôtel parisien, Jean Ping affiche un calme olympien ce lundi matin. «Je vais aussi bien que possible», ironise-t-il d’emblée. Il est vrai qu’à Paris, le leader de l’opposition gabonaise est en terrain conquis : la diaspora de ce petit pays d’Afrique centrale manifeste en sa faveur tous les samedis sur l’esplanade du Trocadéro et poursuit de sa colère tout officiel qui ose s’afficher en public dans la capitale française.
«Bloquée»
Des «happenings» qui ont commencé il y a près d’un an : depuis ce 27 août où l’élection présidentielle a, officiellement, reconduit au pouvoir Ali Bongo, héritier d’une dynastie qui dirige le pays depuis cinquante ans. Un scrutin contesté de tous côtés, aussi bien par l’UE que, plus récemment, par l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), qui a dévoilé un rapport très critique après neuf mois d’attente. Pour ses partisans, très mobilisés à Paris, Jean Ping reste «le vrai président élu». Depuis août, il en est au moins à son troisième séjour en France, étape incontournable de ses tournées européennes. A chaque fois, il s’agit de mobiliser «la communauté internationale pour sortir d’une situation politique bloquée». Au Gabon, le temps n’est plus aux manifestations, elles sont systématiquement réprimées. Et personne n’a oublié la violence du bombardement du QG de Ping à Libreville, le 31 août. Justement, la Cour pénale internationale, sollicitée à la fois par le pouvoir et l’opposition dans deux plaintes contradictoires, vient d’effectuer sa première mission au Gabon. Mais la justice avance plus vite à Paris, où deux enquêtes ont été ouvertes après les plaintes de deux Franco-Gabonais présents dans le QG lors de l’attaque. Le 26 juin, la juge française en charge du dossier a requalifié l’une de ces enquêtes du motif de «crimes contre l’humanité».
Ex-beau-frère
Les déboires judiciaires du pouvoir en place font sourire Jean Ping, qui arrive de Genève, où il a lui aussi sollicité une audience au Comité des droits de l’homme de l’ONU. «Mais la justice, c’est une chose, et l’action de la communauté internationale, une autre», confie-t-il avec cette façon particulière d’énoncer des évidences de façon énigmatique.
A Paris, il y a désormais un nouveau locataire à l’Elysée et une nouvelle équipe que le challenger d’Ali Bongo souhaitait rencontrer. On n’en saura guère plus. «Je ne vous dirai pas qui j’ai vu. A eux de le faire s’ils le souhaitent», murmure Ping, qui balaye d’un haussement d’épaules les suggestions récentes d’un homme politique local de mettre en retrait Ping avec l’espoir qu’Ali en fasse autant. «L’important ce n’est pas moi, ce que le peuple veut c’est qu’Ali parte», rétorque l’intéressé.
L’histoire est connue : la bataille qui fait rage au Gabon depuis un an oppose, tel un «Dallas à l’africaine», deux ex-beaux-frères. D’un côté, Ali Bongo, au pouvoir depuis 2009, fils de l’indétrônable Omar. De l’autre, Jean Ping, que personne n’avait vu venir : un métis sino-gabonais de 74 ans qui fut le compagnon de Pascaline, fille aînée d’Omar et sœur d’Ali, et fit sa carrière à l’ombre du père avant de basculer dans l’opposition au fils en 2014.
«Le monde entier sait que j’ai gagné, Ali le sait. Il a triché mais son problème c’est qu’il s’est fait prendre la main dans le sac», souligne Ping sans jamais élever la voix. De plus en plus isolé, Ali Bongo se trouverait «face à un pays devenu ingouvernable», affirme son ex-beau-frère. Il évoque des grèves à répétition qui auraient plombé une économie déjà affaiblie par la baisse du prix du pétrole.
«Coup de force»
Difficile de savoir ce qui se passe réellement au Gabon, où Internet est régulièrement coupé. Mais les informations qui filtrent malgré tout font souvent état d’un climat de peur. Le député et opposant Bernard Zibi, arrêté dans la foulée de la répression post-électorale, est toujours en prison, dans l’attente d’un procès. Des familles n’ont toujours pas osé aller réclamer le corps de leurs proches à la morgue. Et des syndicalistes continuent d’être arrêtés, comme Marcel Libama, qui avait pris part à la grève des enseignants. «Ali a la force avec lui, mais il ne tient que par la terreur. Et nous sommes venus dire à nos partenaires qu’il est temps d’imposer des sanctions ciblées contre les responsables de ce régime», explique Jean Ping, qui estime avoir joué le jeu : «Quand la situation est devenue explosive après le scrutin, les chancelleries occidentales m’ont appelé pour me demander de ne pas tenter le coup de force. A elles de nous aider maintenant.» Et soudain, voilà qu’il martèle avec force : «La chute est proche. Ali va partir. J’en fais le pari. Et ce n’est pas ma bouche qui le dit, c’est l’état d’esprit dans lequel sont les Gabonais.» Avant de retrouver son sourire de sphinx en dégustant son lait chaud au miel.
Maria Malagardis