En mettant en doute la sincérité du combat de l’ancien secrétaire exécutif de l’Union nationale, le leader de la Coalition pour la nouvelle république a, tout à la fois, ramené le débat politique au niveau des considérations personnelles et semé le venin de la discorde dans ses rangs.
Jean Ping est gêné aux entournures. Depuis son retour, il est au cœur d’une polémique interne à l’opposition (lire «Jean Ping crée la polémique sur les relations AMO-ABO» ). Le bilan et les perspectives de sa dernière tournée internationales sont brusquement occultés par le contenu de son interview à Jeune Afrique. Si ses plus proches collaborateurs et même certains de ses soutiens ont tôt fait de rejeter la faute sur l’hebdomadaire panafricain, accusé d’avoir tronqué ses propos et de rouler pour la présidence de la République, d’autres parmi ses alliés ne l’entendent pas de cette oreille. À leurs yeux, les propos attribués à l’ancien président de la commission de l’Union africaine (UA) ne relèvent pas du simple dérapage. Ils sont plutôt révélateurs d’une volonté de minimiser le combat du regretté secrétaire exécutif de l’Union nationale (UN).
Sur les réseaux sociaux, le leader de la Coalition pour la nouvelle république est sommé de s’expliquer ou de publier un démenti. Cherchant à faire porter le chapeau à l’hebdomadaire panafricain, ses proches ont manifestement du mal à convaincre. Bien au contraire. Feignant de confondre compte rendu d’une conférence de presse et retranscription d’une interview, ils laissent transparaître une certaine gêne, mêlée d’une volonté d’enfumage. Dans certains cas, ils établissent une hiérarchie des priorités, essayant de contourner le débat en alléguant de la nécessité de raffermir l’unité de l’opposition. Si on peut douter de l’efficacité de leur méthode, on doit bien chercher à comprendre comment en est-on arrivé là. S’étant jusque-là posé en continuateur voire en héritier politique d’André Mba Obame, Jean Ping doit bien des explications à sa base. Déjà, le silence de l’UN sur la question semble éloquent, lourd de sens. «Le plus corrosif des acides est le silence», enseigne Andreas Frangias, journaliste et écrivain grec.
En réalité, la situation actuelle est l’aboutissement d’une stratégie de l’escalade verbale. Depuis des mois, Jean Ping multiplie les déclarations, les unes plus tonitruantes que les autres. Espérant galvaniser sa base ou la convaincre de sa capacité à venir à bout du régime en place, il bande les muscles à la moindre occasion. Autrement dit, il s’efforce de se présenter sous les traits d’un chef de guerre et non d’un leader politique classique. Du coup, il franchit toutes les lignes, y compris les jaunes. Comment prouver que «2016 ne sera pas 2009» sans tomber dans une lecture partiale et orientée de l’histoire ? Comment convaincre de l’imminence d’un aboutissement heureux du combat actuel sans trop en faire, sans minimiser le travail des prédécesseurs ? Comment éviter le parallèle avec Paul Mba Abessole, Pierre Mamboundou et André Mba Obame sans se singulariser, sans remettre en cause leurs stratégies respectives voire leur engagement ? Dans la tentative de réponse à ces questions, la ligne jaune est vite franchie.
L’évocation d’une supposée volonté d’André Mba Obame de se «rabibocher avec Ali Bongo» ne relève pas seulement d’une réécriture de l’histoire. Elle ne procède pas non plus de la simple faute politique ou morale. Elle en dit long sur la stratégie de Jean Ping. Elle souligne sa tendance à forcer le trait pour mieux se draper des oripeaux de sauveur du petit peuple. Au lieu de se prononcer sur le sens du combat des autres, il aurait été mieux inspiré de rendre hommage au travail de ces derniers. Il aurait gagné en faisant remarquer que la candidature unique fut mise en œuvre par Zacharie Myboto, que le soutien de l’UN ne lui a jusque-là pas fait défaut et surtout que nombreux parmi ses proches collaborateurs, notamment son directeur de cabinet et son porte-parole, sortent des écuries d’André Mba Obame. Une telle démarche n’aurait manqué ni de panache ni de liant.
En mettant ouvertement en cause la sincérité du combat d’André Mba Obame, Jean Ping s’est laissé emporter par la force du préjugé. Sans le vouloir, il a semblé donner raison à ceux qui affirmaient que les relations entre André Mba Obame et Ali Bongo furent si cordiales qu’une opposition entre les deux ne pouvait l’être que de façade. Par ricochet, il a pris un double risque : soulever un débat sur les relations des ténors de l’opposition avec la famille Bongo et, susciter la défiance dans sa famille politique. On avait pourtant imaginé l’homme suffisamment madré pour éviter le piège consistant à ramener le débat politique national aux relations interpersonnelles ou à une affaire de famille. S’il entend éviter un effet boomerang ou s’il espère conjurer le risque d’une désunion de son camp, une seule solution s’offre désormais à lui : clarifier son propos.