Depuis son accession à l’indépendance, le Gabon n’a connu, ni guerre civile, ni guerre ethnique. Qu’ils soient larvés ou féconds, les conflits inter-ethniques n’ont jamais eu lieu ni dans les hameaux, ni à tout autre endroit du Gabon. Il peut cependant apparaître quelques rivalités sourdes ou bruyantes…
Comme Jean-Pierre Lemboumba Lepandou ou Alfred Nguia Banda, Ludovic Ognagna se trouve actuellement en France. Mais, contrairement aux deux autres, il compte rentrer au Gabon «très prochainement» en dépit de menaces d’arrestation qui pèseraient lui contre dans le pays. On note, à la lecture de son interview au bihebdomadaire La Loupe, le vendredi 18 août 2017, des questions, des allusions, des non-dits et des demi-révélations laissant entrevoir des dissonances ou rivalités entre les deux principales ethnies de la province du Sud-Est du Gabon.
«Il faut reconnaître, estime un spécialiste de Philosophie politique enseignant à la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de l’Université Omar Bongo, que «Ludovic Ognagna a su manœuvrer pour contourner les questions de son interlocuteur : il n’a pas parlé d’un problème entre les Tékés et les Obamba, mais le lecteur a pu tout de même y déceler ou relever le fait que tout n’est pas parfait dans cette relation»…
Interrogé sur le fait que, dans le domaine diplomatique, le Haut-Ogooué dispose de sept ambassadeurs sur les 32 que compte le Gabon, et que tous ces plénipotentiaires altogovéens sont Téké, l’ancien directeur général des Douanes réplique : «Je ne peux pas commenter cela, mais je pense effectivement que le Haut-Ogooué est habité par plusieurs communautés et peut-être que cela compte dans la nomination à des postes de responsabilités ; dans une République digne de ce nom, les tenants du pouvoir doivent faire très attention à gérer ces subtilités-là, mais bon si le pouvoir pense que ce sont les seuls compétents, moi je n’ai vraiment pas de commentaire à faire là-dessus». La question de l’intervieweur n’est pourtant pas dénuée de sens, si l’on compte, entre autres, Hortense Ngoubili à Genève, Abdul Razzaq Guy Kambogo à Rabat, Sosthène Ngokila à Ottawa, Carlos Boungou à Séoul, John Daniel Bibiga à Brazzaville… tous Téké.
Marginaliser les cadres Obamba ?
«Tout de même un Téké à la DGR, un Téké à la DGDI, un Téké au Conseil national de Sécurité, un Téké à la direction de cabinet d’Ali Bongo, un Téké partout-partout, vous ne commentez pas cela aussi», lance le journaliste. Et Ludovic Ognagna de répondre : «Ce n’est pas sain qu’une seule communauté puisse occuper des postes de responsabilité à ce niveau-là sans penser aux autres communautés du pays. Moi je ne parle pas forcément des autres communautés du Haut-Ogooué, mais le pays, notre Gabon à tous, est fait de plusieurs communautés». Plutôt tacticien l’ancien patrons des Douanes, même s’il ajoute plus loin : «Je peux dire que dans le Haut-Ogooué, il y a des individus qui ont des comptes à régler avec d’autres, et qui présentent ce problème-là comme si c’était des tensions entre communautés».
Certes imprécise, une frange de l’opinion publique laisse entendre que de nombreux cadres Obamba dénonceraient une certaine marginalisation et un éloignement des centres de décision dont ils seraient victimes. La récente incarcération, de mars à juillet dernier, d’Alain Paul Ndjoubi Ossamy à la prison centrale de Libreville, et l’éviction de Célestin Embinga du poste de directeur général de la Documentation et de l’Immigration en novembre 2016 sans qu’il soit affecté ailleurs, sont, pour beaucoup d’entre eux, la preuve de cette volonté de les marginaliser, au profit de cadres issus d’une autre ethnie de la province du Haut-Ogooué qui se montrerait hégémonique.
Ali Bongo : «Ce Gabon, nous devons l’aimer plus que notre ethnie, plus que notre province»
Haut fonctionnaire à la retraite, Ludovic Ognagna, personnalité membre de la Coalition pour la nouvelle République, donc proche de Jean Ping, a occupé, sous Omar Bongo, les fonctions de directeur général des Douanes (1989-1999) et de directeur général de l’Agence de promotion des investissements privés (APIP, 2001-2005). D’ethnie Obamba, originaire d’Omoï (dans le département de la Lékabi-Léwolo) prône un vivre ensemble meilleur et une plus grande solidarité entre les filles et fils du Haut-Ogooué et du Gabon. Son discours sonne comme une «invite» à Ali Bongo à encourager un meilleur partage des postes de responsabilité au Gabon. Cela tombe bien : le chef de l’Etat vient, dans son allocution du 17 août 2017, d’affirmer que «le Gabon, nous devons l’aimer plus que nous-mêmes, plus que notre ethnie, plus que notre province».