Onze mois après son entrée au gouvernement, le symbole de la main tendue d’Ali Bongo a été limogé en raison de ses coups de gueule à répétition. Son départ met en lumière la survivance de la géopolitique à la gabonaise et une mauvaise compréhension des enjeux politiques.
Il était la caution d’ouverture du gouvernement. Il incarnait la main tendue d’Ali Bongo. D’une certaine manière, il symbolisait la volonté d’apaiser les tensions nées de la présidentielle chaotique d’août 2016. Onze mois après son entrée au gouvernement et moins de trois semaines après sa reconduction, Bruno Ben Moubamba vient d’être limogé. Tel un malpropre, l’ancien vice-Premier ministre, devenu ministre d’Etat, a été prié d’aller voir ailleurs. Pour quelle raison ? Du fait de sa propension à hausser le ton, à livrer crûment le fond de sa pensée et à s’épancher sur les réseaux sociaux.
Le résumé des faits… Le 21 août dernier, le secrétaire général de la présidence de la République rendait publique la composition du gouvernement post-Dialogue politique (lire «Le gouvernement nouveau est arrivé»). Plusieurs jours après, le ministre d’Etat à l’Habitat et à l’Urbanisme marquait son territoire. A travers un post sur son compte Facebook, il revendiquait sa responsabilité sur la conduite de la politique foncière (lire «Nouvelle sortie de Bruno Ben Moubamba»). Il ne fallait pas être grand clerc pour y voir l’expression d’un malaise. On n’avait pas besoin de sortir de polytechnique pour conclure au conflit de compétences. Au lieu de clarifier les choses, les principaux responsables de l’exécutif – président de la République et Premier ministre – décidèrent de se séparer du truculent ministre. Dans la foulée, un remaniement technique consacra le retour de Josué Mbadinga au gouvernement, précisément au ministère de l’Habitat.
Coups de gueule à répétition
Comment comprendre un tel enchaînement d’événements ? Quel sens lui donner ? Bruno Ben Moubamba est entré au gouvernement au terme d’une élection extrêmement contestée. Officiellement arrivé troisième, il fut l’un des rares candidats à répondre positivement à la main tendue d’Ali Bongo. Malgré les doutes, il reconnut les résultats de l’élection (lire «Le tango ubuesque de Ben Moubamba»). En dépit des réserves formulées par les observateurs (lire «L’UE pour la publication des résultats par bureau de vote»), il se rangea aux côtés du vainqueur désigné. Tout cela lui valut inimitiés, critiques et fatwas diverses. Auréolé d’un rang protocolaire de vice-Premier ministre, il accepta de faire face, prenant ses quartiers au très technique département de l’Habitat et de l’Urbanisme.
Sitôt son entrée au gouvernement consommée, Bruno Ben Moubamba s’illustra par des sorties tonitruantes et des attaques en règle contre ses anciens camarades de l’opposition (lire «La fierté en bandoulière» ). Nonobstant ses coups de gueule à répétition, il s’efforçait de donner des gages à Ali Bongo, son nouvel allié (lire «Je ne suis pas en guerre contre les Bongo»). Un an plus tard, tout cela s’est envolé. Le soutien d’hier est le pestiféré d’aujourd’hui. Si sa déchéance est officiellement le contrecoup des luttes d’influence, elle relève davantage d’une mauvaise architecture gouvernementale voire d’un amateurisme sidérant. Récemment, le Premier ministre a publié un décret fixant le champ d’intervention du ministre délégué en charge des Affaires foncières et du Domaine public. De toute évidence, ce dernier reprend toutes les attributions du ministre en charge de l’Habitat et de l’Urbanisme. Hors de toute base légale, il aura désormais un droit de regard sur les travaux topographiques, l’urbanisme, le cadastre, la conservation foncière, les hypothèques et même, l’aménagement du territoire.
“Géopolitique” à la gabonaise
On ne peut, en conséquence, se réjouir d’une telle distribution des rôles. Pour la clarté des choses, on doit exiger des explications. Pourquoi confier des tâches dévolues à des ministres bien précis à un ministre délégué ? Pourquoi le rattacher à la Primature ? Par souci d’efficacité, nécessité de service ou tout juste pour convenances personnelles ? Depuis quand le Premier ministre s’occupe-t-il de questions pointues ? L’animation et la coordination du travail gouvernemental lui laissent-ils le temps de faire autre chose ? Les questions domaniales et foncières sont très techniques et trop sensibles. Elles se rapportent à la gestion de l’espace et des ressources (eau, forêts, mines, pétrole). Elles concernent l’exploitation forestière, l’agriculture, les aires protégées, les infrastructures et l’aménagement du territoire. Chez nous, les ressources en eau, les infrastructures de transport (ports, aéroports, routes, voie ferrée), les parcs nationaux et les permis miniers ou pétroliers, notamment, relèvent du domaine public. Emmanuel Issoze Ngondet en a-t-il conscience ? Quelle est sa compréhension du domaine public ? Limite-t-il les questions foncières à la seule attribution de parcelles ? Comment le ministre délégué aux Affaires foncières va-t-il cohabiter avec la Commission nationale d’affectation des terres, logée au ministère de l’Economie ? Manifestement, il faudra faire place nette. Visiblement, il y a encore du monde à virer du gouvernement, le ministre délégué aux Affaires foncières et au Domaine public pouvant très vite se retrouver en conflit avec plusieurs de ses collègues.
La cohésion d’un gouvernement dépend de la bonne circulation de l’information et d’une compréhension partagée des défis. Elle ne procède ni de la docilité des ministres, ni des arrangements provinciaux, familiaux ou tribaux encore moins de calculs à la petite semaine. La présence au gouvernement du président de l’Alliance pour le changement et le renouveau (ACR) répondait à une logique politique double : la main tendue de l’après-présidentielle et la mise en œuvre des actes du Dialogue politique. Si son remplacement était une nécessité, cela n’aurait jamais dû se muer règlement de comptes. Normalement, un ministre d’ouverture se remplace par un ministre d’ouverture et non par un second couteau du parti dominant. Pour demeurer fidèle à la logique politique, Bruno Ben Moubamba aurait dû être remplacé, au choix, par Dieudonné Minlama Mintogo, Augustin Moussavou King ou Gérard Ella Nguéma. Sauf à légitimer cette “géopolitique” à la gabonaise, la nomination de Josué Mbadinga ne se justifie pas. Ou alors, elle est simplement l’expression d’une politique de gribouille.