La convocation devant les services spéciaux et l’incarcération systématique de militants de l’opposition, en réponse à leur activisme, accentuent les clivages politiques et la coupure du pays en blocs opposés.
«Le Gabon est un État de droit», «Force doit rester à la loi», proclament à l’envi les responsables du Parti démocratique gabonais (PDG), au pouvoir. À l’épreuve des faits, ils apportent la preuve du contraire. Même si pas grand monde ne croit en leurs assauts de bonnes intentions, leurs agissements de ces derniers jours l’attestent. À l’activisme politique des alliés et soutiens de Jean Ping, ils répondent systématiquement par des convocations devant les services spéciaux. Invariablement, ces interpellations se terminent par des mises en détention provisoire, après des auditions expéditives menées par le procureur de la République (lire «Massavala Maboumba en détention préventive»). Évidemment, les chefs d’accusation sont généralement tirés par les cheveux (lire «Pascal Oyougou à Sans famille»). Au final, tout cela renvoie l’image d’un pouvoir brutal, oppressif, manipulant la force publique et la justice pour sa survie. Exactement le contraire de cet État de droit tant proclamé.
Et pourtant, tout le monde connaît la situation politique nationale. Chacun peut se faire une idée des ressorts des agissements des alliés et soutiens de Jean Ping. Forts des réserves émises par l’ensemble des observateurs internationaux (lire «L’OIF émet des doutes sur les résultats»), ils entendent revendiquer leur victoire supposée, quitte à dérouler une stratégie de la défiance et du harcèlement. Au minimum, leurs actes s’inscrivent dans le prolongement des rapports publiés par les missions d’observation de l’Union européenne, de l’Organisation internationale de la francophonie et, pourquoi pas, de l’Union africaine (lire «Le rapport accablant des experts de l’UA»). Au maximum, ils procèdent d’une détermination à invalider les résultats officiels de la dernière présidentielle. Dans tous les cas, ils découlent d’une volonté de transformer à jamais notre pratique électorale ou, plus prosaïquement, de faire bouger les lignes au plan politique.
Préméditation de la répression
Cette combativité inattendue pousse le pouvoir à se réfugier dans la fuite en avant. S’étant, jusque-là, maintenu au moyen de scrutins truqués, il fait mine de ne rien comprendre, sombrant dans un raidissement préjudiciable à la bonne marche de l’Etat. Habitué à faire face à la contestation postélectorale, il bande les muscles, abusant de l’appareil judiciaire pour parvenir à ses fins. Au final, le pouvoir agit comme s’il n’avait vu le monde évoluer devant lui. Il se comporte comme s’il était incapable d’analyser le contexte de la dernière présidentielle. Surtout, il feint d’oublier des aspects déterminants : non seulement les réseaux sociaux concurrencent désormais la presse classique mais en plus, les observateurs de la dernière présidentielle n’ont pas fait dans la langue de bois. Là où certains s’attendaient à la constatation «d’anomalies ne pouvant fausser la sincérité du scrutin», on a eu droit à la remise en cause de «l’intégrité du résultat final de l’élection» (lire «Pour l’UE les doutes persistent sur les résultats de la présidentielle 2016»). Pis, l’ancienne puissance coloniale n’a pas couvert les résultats officiels d’une reconnaissance précipitée, se prononçant plutôt pour «l’établissement de la sincérité du scrutin» (lire «La France demande transparence et impartialité»). Dans ce contexte, les déclarations du ministre de la Justice au moment des faits en rajoutent à la complexité de la situation (lire «Pour Séraphin Moundounga, Ali Bongo a triché»).
Au lieu de regarder la réalité en face, le pouvoir fait dans le recyclage, reprenant les schémas éculés. En guise de stratégie, il choisit la répression, poussant la logique à l’extrême. Bien entendu, ses zélotes peuvent toujours se réfugier derrière une lecture spécieuse des textes ou une interprétation biaisée des faits pour légitimer cette judiciarisation de la vie politique tant dénoncée (lire «Pour une déjudiciarisation de la vie politique»). Ils ont même tout le loisir de s’abriter derrière le concept de violence légitime pour justifier la limitation des libertés individuelles. Mais, les frustrations naissent de la différence de traitement des forces politiques. La défiance découle d’un évident parti pris de l’appareil d’Etat. Les déclarations à l’emporte-pièce de certains responsables de la majorité ravivent les tensions et souvenirs douloureux (lire «Les hommes du président au front»). Tout cela vide l’argument de la violence légitime de tout sens. Au-delà, cela traduit une préméditation de la répression (lire «Jean Ping sera arrêté»).
Méthodes surannées
Faute de prendre le temps de la réflexion, le pouvoir se condamne à reprendre des méthodes surannées à l’efficacité sujette à caution. Par manque d’une stratégie adaptée, il instruit l’appareil judiciaire de régler les questions politiques. On l’a vu durant la dernière campagne présidentielle et au lendemain de l’annonce des résultats par le ministre de l’Intérieur. Depuis lors, Si de nombreux activistes et militants politiques furent incarcérés, l’infernale mécanique judiciaire ne s’est plus arrêtée depuis. En appelant la justice au secours, le pouvoir donne le sentiment d’être en incapacité d’apporter une réponse politique à une question politique. Dans le même temps, il accrédite l’idée d’une instrumentalisation de la justice.
Pour sûr, aucun homme politique sérieux ne peut faire l’apologie du trouble à l’ordre public. De façon certaine, personne n’est au-dessus de la loi ni à l’abri de la sanction juridique. Seulement, la loi doit valoir pour tout et s’appliquer à tous avec la même rigueur. Mieux, son application doit tenir compte du contexte afin de ne pas la transformer en instrument de domination du fort sur le faible. En s’exonérant de l’application de la loi, le pouvoir accentue la coupure du pays en deux blocs radicalement opposés. En livrant ses adversaires politiques à la justice, il apporte de l’eau au moulin de ses contempteurs, transformant de simples militants en héros voire en martyrs. L’effet pervers…