Lecture, avec quelque retard, du texte de l’un des leaders de l’opposition, de surcroît ancien magistrat, ancien Garde des sceaux et ancien président de l’Assemblée nationale. Ogouliguendé a rompu, en effet, le silence qu’il observait depuis la fin du processus électoral de l’année dernière. Les «frappes chirurgicales» du leader du Congrès pour la démocratie et la justice (CDJ) visent particulièrement Marie-Madeleine Mborantsuo, la Cour constitutionnelle, les organisateurs du dialogue d’Angondjé et certains éléments des Forces armées.
Dans une tribune parue il y a 10 jours dans l’hebdomadaire Le Temps, Jules Aristide Bourdès Ogouliguendé décoche ses flèches. Après Jacques Igoho qui, en mars dernier, disait ne pas croire au dialogue d’Angondjé et Etienne Guy Mouvagha Tchioba qui appelait au changement de certaines pratiques politiques et à un sursaut patriotique au début du mois, l’ancien président de l’Assemblée nationale, comme les autres dignitaires de l’ère Omar Bongo sus cités, a haussé le ton devant la situation actuelle du Gabon, notamment marquée par la multiplication des interpellations et mises en détention provisoire des responsables de l’opposition et de la société civile.
«La vérité des urnes et le Droit n’ont pas été dits»
À l’instar de Roxane Bouenguidi indiquant il y a quelque temps sur ces mêmes pages web, que les actes posés par les autorités ces derniers semaines donnent l’image d’«un pouvoir brutal, oppressif, manipulant la force publique et la justice pour sa survie», Jules Bourdès Ogouliguendé a tout d’abord dénoncé le rôle joué par Marie-Madeleine Mborantsuo lors du contentieux électoral. «La Cour constitutionnelle, pour des raisons qui sont propres à sa présidente, a refusé de procéder à l’examen du recours déposé par Jean Ping (…). Elle a été plus encline à donner suite à l’examen d’une demande conventionnelle du camp d’Ali Bongo, l’autre candidat impliqué dans le contentieux électoral, mais qui ne présentait aucun recours ! La validation de cette procédure par la présidente de la Cour Constitutionnelle est illégale, voire scélérate. On comprend mieux son refus quant à l’assistance proposée par les experts africains et internationaux mandatés par la Commission de l’Union africaine et l’Organisation internationale de la Francophonie».
«La Cour constitutionnelle a délibérément violé la loi ainsi que son propre serment»
Bien que «les rapports de ces institutions (UA, OIF) auxquels il faut ajouter ceux de la Mission d’observation électorale de l’Union européenne (MOE-UE), aient tous fait état de la nécessité du recomptage des suffrages exprimés dans la province du Haut-Ogooué», en raison de la révélation de «cas de fraude» et de la mise à nu des «acteurs», «la vérité des urnes et le Droit n’ont pas été dits». Par ailleurs, pour le Secrétaire général du CDJ, «les liens familiaux incontestables constituaient des cas manifestes de conflit d’intérêt auraient du contraindre la présidente de la Cour à se démettre parce qu’un cas de conscience se posait à elle. Le soupçon de fraude et de parti pris étant manifeste et l’honneur entaché de la présidente de la Cour lui commandait cette attitude de dignité, mais elle a estimé ne pas être tenue à une réserve honorable». Le magistrat à la retraite ajoute : «si, par hasard, le Gabon était un Etat de droit, il s’est, à l’occasion, transformé en dictature du système judiciaire où la présidente d’une institution judiciaire, la plus haute en matière constitutionnelle, dont les décisions et jugements sont sans appel, a délibérément violé la Loi, ainsi que son propre serment». «Il y a un qualificatif à cette situation : forfaiture et trahison -tous deux passibles de la Haute Cour de Justice de la République !» «En sortant du rôle que la Loi lui assigne pour s’immiscer dans la sphère politique, elle a fait preuve de partialité. Elle n’a plus agi au nom du Peuple gabonais. Elle s’est fourvoyée en s’arrogeant le pouvoir d’agir à la place du peuple. Elle a proclamé l’élection d’un candidat non plus sur la foi des suffrages incontestables exprimés dans les urnes et attestés par des procès-verbaux originaux tels que transmis par les responsables des bureaux de vote, mais sur la base de résultats doublement manipulés». Poursuivant, Bourdès Ogouliguendé note que «l’institution dont elle a la charge a entériné les tricheries et manipulations constatées dans cette province». L’ancien député de Bendjé pointe «une faute technique et morale qui a consisté, pour la Cour, à annuler les élections dans une vingtaine de bureaux de vote dans le 2ème arrondissement de Libreville conduisant à priver le candidat Jean Ping de plus de 10.000 suffrages, (…) prétextant des tricheries que nul autre qu’elle-même n’a observé, et sans appeler à l’organisation d’élections partielles tel que le lui commande la Constitution dont elle est le garant, est une violation flagrante et délibérée de celle-ci».
Abordant le rôle des forces armées qui se sont transformées, selon lui, en une milice au service d’un homme, Jules Aristide Bourdès Ogouliguendé dénonce «les actes de barbarie et les tueries perpétrés par des forces armées aux ordres non plus de la République, mais mises au service d’un homme, qui constituent, pour lui, des actes de guerre qui détruisent paix civile et cohésion de la Nation». «Le peuple gabonais n’est pas en guerre, mais des dirigeants et politiciens petits pieds veulent l’y entraîner». «Rien ne se fait sans que le peuple ne soit en butte à ces éléments armés jusqu’aux dents ?». Il se demande ensuite «comment une population traumatisée par une agression armée dans le Quartier Général d’un candidat sorti vainqueur par la volonté des urnes peut-elle être rassurée et retrouver une paix qu’on lui dénie chaque jour ?»
Saluant «la qualité des responsables de la Cour suprême du Kenya, David Maraga et ses collègues, qui, malgré les nombreuses pressions et intimidations de toutes sortes, ont su faire honneur à leur serment et se montrer à la hauteur de la situation», le patron du CDJ affirme : «Quand le président de la Cour suprême du Kenya estime n’être soumis qu’à Dieu et à la Constitution, la présidente de la Cour constitutionnelle du Gabon, elle, s’arroge le Pouvoir de Dieu et de la Constitution, en faisant allégeance à un homme, une famille, un clan.» Voilà la différence !
«En quoi la non-limitation du mandat présidentiel est-elle une avancée démocratique ?»
Sur le dialogue politique tenu en mars-mai dernier à Angondjé, Ogouliguendé affirme : «la mauvaise gestion de cette situation post-électorale et l’organisation sur commande d’un surréaliste dialogue politique sans objectifs stratégiques d’envergure ne peuvent pas aboutir à ce qu’ils appellent “tourner la page”. Ce qui leur a été rétorqué à la Commission des Droits de l’Homme des Nations-Unies est d’une vérité aveuglante, et constitue, face à cette politique brouillonne et sans fondements un cinglant et honteux désaveu». Le leader du CDJ se pose, de même, des questions sur les résolutions d’Angondjé. «En quoi, s’interroge-t-il, la non-limitation des mandats présidentiels peut-elle être présentée comme une avancée démocratique ? (…) Une élection à deux tours, la modification de la dénomination de la Cenap constitueraient des avancées de la démocratie ? En quoi ces faits seraient-ils de nature à calmer une population de citoyens flouée dans le choix de ses dirigeants ? Est-ce que ces accords apportent une réponse aux familles sur leurs disparus et les morts escamotés ? Qu’en est-il des opposants et des autres jeunes manifestants toujours emprisonnés ?»
«La page ne peut pas se tourner, tant que rien n’est réglé» : le dialogue d’Angondjé n’a rien résolu
Pour l’ancien ministre d’Etat, ceux qui «estiment que les élections sont passées et que c’est tourner la page qui devrait garantir la paix dans notre pays se trompent lourdement et font fausse route. Jamais la paix ne se construit en violant la Constitution ! On ne construit pas la paix en posant des actes de guerre contre la Constitution ! Ce n’est pas en devenant Dieu et le Peuple que l’on construit la paix. Le mépris de la Constitution, le mépris du peuple par le non-respect de l’expression de sa souveraineté est un acte de guerre qui ne conforte aucune paix». «C’est dans ce contexte qu’à bout d’arguments et face à une résistance de la diaspora qui ne faiblit pas et celle de l’intérieur qui tente de s’organiser dans un environnement difficile et périlleux que le pouvoir organise la répression face à ceux qui refusent de se soumettre à son diktat».
Jules Bourdès Ogouliguendé conclut en affirmant qu’il n’a rien à faire avec «ce régime illégitime et en mal de reconnaissance internationale». La sortie médiatique de l’ancien président de l’Assemblée nationale a été publiée au moment où on sent remonter les tensions politiques après l’incarcération à la prison de Libreville de deux principaux animateurs de la Coalition pour la nouvelle République : Frédéric Massavala Maboumba et Pascal Oyougou.
Ancien dignitaire du régime Omar Bongo, Jules Bourdès Ogouliguendé avait démissionné, en mai 1993, du poste de président de l’Assemblée nationale qu’il occupait alors, et du Parti démocratique gabonais pour dénoncer «certaines dérives». Il s’était présenté à l’élection présidentielle de décembre 1993.