Trois cent vingt-cinq chefs-d’œuvre d’Afrique équatoriale atlantique invitent, au musée du Quai-Branly-Jacques-Chirac, à pénétrer dans « les forêts natales ».
Yves Le Fur sourit et se souvient : « Les masques montés sur échasses venaient saluer les Blancs en faisant une danse très étonnante, lente ou saccadée, on entendait le bruit de leurs costumes de raphia… » Le conservateur général et directeur du département du patrimoine et des collections du musée du Quai-Branly, commissaire de l’exposition « Les forêts natales » qui s’ouvre le 3 octobre, n’a rien oublié de son enfance gabonaise. Plutôt qu’intituler son exposition « Chefs-d’œuvre d’Afrique équatoriale atlantique », il s’est souvenu du vers d’Apollinaire, le poète ardent défenseur des arts alors dits « nègres » : « Du rouge au vert tout le jaune se meurt / Quand chantent les aras dans les forêts natales. » Le parcours artistique qu’il propose, du sud du Cameroun au nord de la République du Congo, traversé par le majestueux fleuve Ogooué, recouvre une région d’Afrique particulièrement créative. De là viennent les somptueux masques et figures de reliquaire, notamment des Fang (peuple venu du Cameroun vers le nord du Gabon au XVIIe siècle) et des Kota (environ 200 000 locuteurs répartis entre le Gabon et le Congo), deux grands ensembles culturels du monde bantou parmi les plus appréciés des artistes du début du XXe siècle, mais dont, paradoxalement, on ne sait pas grand-chose. Trois axes ont présidé à cette découverte des « forêts natales » de la création africaine : d’abord, le parti pris de n’exposer que des statues (statuettes, têtes seules) reliées au culte des ancêtres et des masques. Ensuite, celui de les réunir en nombre, pour permettre d’en percevoir les variations ou exceptions stylistiques à la lumière de plusieurs sources de savoir. Parmi elles, les études de migrations qui montrent les mouvements des populations, les échanges culturels entre les peuples, influences et singularités, « contre l’idée toute faite de groupes figés à tel endroit, produisant tel type d’objets, précise Yves Le Fur. Enfin et surtout, dessiner ici une histoire de l’art qu’on n’a pas l’habitude d’appliquer aux arts africains, le plus souvent considérés d’un point de vue purement esthétique ou ethnologique ».
Trésors cotés
À l’immense collection du Quai-Branly, en partie venue du pavillon des Sessions du Louvre et qui contient des pièces fort anciennes (90), s’est ajouté le prêt majeur de la Fondation Dapper, pionnière dans la connaissance des œuvres du Gabon (50). Mais encore les pièces du musée Barbier-Mueller (25), sans oublier celles, souvent remarquables, des musées de province ni les trésors des collectionneurs privés de ce panthéon d’œuvres de plus en plus cotées sur le marché de l’art. Dans la lignée des monographies du Quai-Branly (« Dogon », « Les maîtres de la sculpture-Côte d’Ivoire »), « Les forêts natales » offre au visiteur, selon Stéphane Martin, à la tête du musée depuis 1998, « une double entrée : un éblouissement, car on est au plus haut niveau, en sculpture, de l’humanité, et une passionnante leçon d’histoire ».
« Les forêts natales, arts d’Afrique équatoriale atlantique », du 3 octobre au 21 janvier 2018, au musée du Quai-Branly-Jacques-Chirac. Catalogue coédité par Actes Sud et le musée du Quai-Branly-Jacques-Chirac. 500 illustrations, 384 pages, 55 euros.
Confession d’un masque
Le pays des « masques blancs » s’étend de Libreville (Gabon) au nord à Pointe-Noire (République du Congo) au sud, et d’ouest en est. Ces masques, enduits de kaolin, que l’on trouve chez plusieurs peuples dont les Punu, sont des manifestations de la présence des défunts au sein du village. La couleur blanche a donné lieu aux légendes les plus fantaisistes, comme celle d’une cargaison de masques japonais naufragée sur ces côtes qui aurait inspiré les Africains ! © Thierry Ollivier, Michel Urtado La peau blanche est obtenue par le kaolin, qui recouvre les masques Punu. Elle est signe de deuil et marque la présence d’un esprit féminin à la beauté idéalisée. Le bandeau délimite le périmètre du front, juste avant la coiffe, qui peut varier d’un masque à l’autre. Les yeux clos aux paupières gonflées comme celles d’un cadavre indiquent le retour de la femme morte parmi les vivants. Le modèle pourrait être une des femmes Punu choisie pour sa beauté. Le masque comme portrait ?
(Bois, pigments noirs, rouges et kaolin. 25 x 17,5 x 11,5 cm, Punu, Gabon).
Le gardien des secrets
© Claude Germain Cette statuette creuse, figure de gardien de reliquaire Tsogo, est caractéristique des pratiques religieuses du rite bwiti, lié au culte des ancêtres et dont ce peuple a longtemps maintenu la pratique. La couleur bleue de ses yeux montre la liberté d’invention plastique.
(Bois peint en rouge, 40 x 9,5 x 9,5 cm, Gabon).