Après le retrait de l’opposant Raila Odinga du nouveau scrutin prévu le 26 octobre, y aura-t-il une élection quand même ou bien Uhuru Kenyatta peut-il être déclaré président, comme le prétend le camp du parti au pouvoir ? Les spécialistes de la Constitution et du droit se déchiraient sur cette question dès l’annonce fracassante de Raila Odinga mardi 10 octobre.
Un nouveau processus électoral sera-t-il lancé ? D’après les juristes contactés par RFI, c’est ce que prévoit un arrêt de la Cour suprême de 2013. Tout retrait d’un des deux candidats avant le déroulement d’un nouveau scrutin entraîne l’organisation d’une nouvelle élection.
Tout reprendre depuis le début et nommer de nouveaux candidats dans les 90 jours. Cela repousserait l’échéance électorale à janvier 2018. L’opposition en profite pour appeler à profiter de cette période pour poursuivre les manifestations appelant à une réforme de la commission électorale.
Un point d’interrogation, et pas des moindres : le 1er novembre prochain expirent les pouvoirs du président en exercice. Et la loi kényane ne prévoit rien dans le cas où aucun président n’a été élu avant ce terme. Un vide constitutionnel dont se passeraient bien les Kényans après l’incertitude de ces derniers mois. A moins, rêvent certains habitants désabusés, qu’un accord politique entre les deux camps ne vienne éclairer l’horizon.
« La Constitution n’envisage pas le cas de figure actuel, c’est-à-dire l’annulation d’une première élection et la contestation de la seconde avant qu’elle ait lieu, analyse Murithi Mutiga, chercheur sur le Kenya pour International Crisis Group. Il faut donc en référer à des décisions de la Cour suprême en 2013 et 2017, mais à l’heure actuelle, chacun les interprète en fonction de ce qui l’arrange. Certains estiment qu’il faut commencer par nommer les candidats pour un tout nouveau scrutin qui se tiendrait plus tard, possiblement 90 jours après décision de la Cour suprême, c’est l’interprétation du camp Odinga. Mais côté Kenyatta, on considère que si un candidat se désiste, le candidat restant devient président. Ce sont deux interprétations radicalement différentes. Il faut donc s’attendre à ce que l’un ou l’autre camp, sûrement les deux, aillent devant la justice pour qu’elle rende une décision qui fasse autorité et détermine la suite des évènements. »
■ Pourquoi Odinga se retire ?
Certes, Raila Odinga avait envoyé à la commission électorale mi-septembre un document d’une dizaine de pages intitulé « Minima requis indispensables avant la tenue d’une nouvelle élection » dans lequel il listait toutes les réformes nécessaires selon lui à la tenue d’un scrutin transparent, des réformes réclamées aussi quasi-quotidiennement par ses partisans dans la rue.
Mais peu imaginaient que l’opposant historique, remis en selle par la décision inédite de la Cour suprême d’annuler la réélection d’Uhuru Kenyatta, prendrait le risque de se retirer du scrutin.
Car si Raila Odinga estime que son retrait est légalement synonyme d’organisation d’un nouveau processus électoral, Uhuru Kenyatta n’a pas la même lecture des textes et a d’ores et déjà affirmé que l’élection se tiendrait le 26 comme prévu, avec ou sans Odinga.
C’est donc une fois encore la justice qui risque de devoir trancher ce nouveau bras de fer. « La Cour suprême avait pris une décision forte et courageuse, mais les deux candidats ont gâché ce moment historique avec leurs discours et positions radicales et tout est à refaire : cette nouvelle période d’incertitude n’est bonne ni politiquement ni économiquement », souligne un analyste kényan. « Quant à la population, elle est épuisée par ces mois de tensions électorales. Seul point positif : peut-être que son aspiration à un retour à la normale permettra de réduire le risque de violences », ajoute-t-il.
Reportage : la population dans l’incertitude
Pour Peter, un jeune partisan de Raila Odinga, l’annonce de son retrait est une grande perte. « Nous, l’opposition, nous n’avons pas d’autre personne comme lui, assez forte pour nous faire entendre avec la confiance qu’il a et qu’il a toujours eue en lui-même. »
Mais pour Judith, sexagénaire, le vieux Raila Odinga aurait dû décrocher depuis longtemps. « Il aurait dû partir oui, dit-elle. Après tant de tentatives, sans succès, il devrait s’asseoir et se demander : « Est-ce que vraiment Dieu a décidé que je serai le président de cette nation ? » Si c’est non, alors, qu’il s’en aille et qu’il cesse d’ennuyer les Kényans. »
Ce mercredi, l’opposition manifestera dans le centre-ville, où les commerces n’en peuvent plus de devoir fermer leurs grilles par peur du vandalisme. « La situation nous met mal en point. C’est assez pathétique. On perd des emplois. Et c’est en partie à cause de lui », confie Mohamed, qui tient une papeterie.
Les étudiants aussi – deux établissements ont fermé après des manifestations – s’inquiètent. « Il faut qu’on puisse retourner étudier, dit Coretie. Tout le calendrier est bouleversé. Il faut en finir. »
Si les personnalités de Raila Odinga et Uhuru Kenyatta divisent, les Kényans se retrouvent sur une chose, la peur de l’enlisement.