Selon la tendance des 20 % de votes dépouillés, l’ex-buteur du Paris-Saint-Germain devrait affronter le vice-président sortant, Joseph Boakai, au second tour.
Passé le temps de la ferveur d’une campagne électorale pacifique mais animée pour la présidentielle et les législatives, le Liberia traverse une période de langueur mâtinée d’angoisse depuis la fermeture des bureaux de vote, mardi 10 octobre au soir, dans l’attente de la publication des résultats du scrutin.
Quarante-huit heures après le vote, la NEC a enfin communiqué, jeudi soir, ses premiers résultats partiels portant sur environ 20 % des bureaux de vote et des électeurs inscrits. Il ressort que l’ancienne star du football, George Weah devance le candidat du pouvoir, Joseph Boakai, vice-président sortant dans l’administration d’Ellen Johnson Sirleaf, qui ne se représentait pas à l’issue de ses deux mandats.
Pour certains supporters de George Weah réunis nuitamment dans la cour du siège de son parti, le Congrès pour le changement démocratique (CDC), il n’en faut pas plus pour tirer des conclusions pourtant prématurées. « Mister George est notre nouveau président, un second tour n’est pas à notre agenda ! », explique Prince Bestman, lecteur en droit pénal à l’université de Monrovia.
Quelques heures avant l’annonce de ces premiers résultats, Catherine Samba Panza, ancienne présidente de la République centrafricaine qui dirigeait la mission d’observation du Centre Carter, s’était inquiétée de cet état d’esprit. « Certains, y compris parmi les dirigeants du CDC, sont convaincus de gagner au premier tour, ce qui paraît improbable avec vingt candidats. Nous lui avons demandé d’appeler ses partisans au calme et de maîtriser leurs réactions. Il s’y est engagé », nous disait-elle.
« Moment sensible du processus »
C’est dans cette optique que les différentes missions d’observations déployées dans le pays – telles que celles de l’Union européenne (UE), de la Communauté économique des pays d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) ou encore du National Democratic Institute (NDI) – ont rappelé à la NEC que « la publication rapide des résultats est un moyen efficace pour construire la confiance dans l’électorat et prévenir la confusion et la tension ». « Les résultats provisoires devraient être annoncés dès qu’ils sont disponibles et qu’ils donnent une indication claire par comté et pourcentage de bureaux de vote », ajoutait le Centre Carter.
« C’est un moment sensible du processus, c’est maintenant que ça peut déraper si certains en viennent à penser à l’existence d’une “boîte noire” », insiste un diplomate de l’Union européenne qui avait déployé près de 90 observateurs sur le terrain aux côtés d’un bataillon de 5 000 autres observateurs locaux.
Jeudi soir, le taux de participation était encore inconnu, même si chacun avait constaté que les Libériens s’étaient déplacés en masse pour voter. « La NEC poursuit sa phase de numérisation des procès-verbaux de résultats », indique une bonne source. « Certains ont été mal rédigés, non par mauvaise intention mais par un gros manque de formation des agents électoraux chargés de le faire, cela retarde le processus », ajoute-t-elle.
Le chef des observateurs de la Cédéao, l’ancien président ghanéen John Dramani Mahama, juge toutefois que le décompte des voix s’est déroulé jusqu’à présent de manière « transparente et crédible ». A ce jour, compte tenu d’un cadre légal très perfectible portant notamment sur les conditions requises pour se porter candidat ou l’utilisation des moyens de l’Etat par les candidats du pouvoir, aucune irrégularité majeure n’a été relevée.
A l’exception de problèmes d’organisation dans ce pays pauvre en infrastructures et en ressources humaines qualifiées. Le président de la NEC, Jérôme Korkoya, a ainsi reconnu que certains agents électoraux chargés de canaliser les électeurs avaient fourni des indications erronées dans les files d’attente. Cela a causé des « retards et des tensions », a-t-il regretté. Moore Allen, un porte-parole du candidat Joseph Boakai, a également dénoncé les problèmes d’organisation, redoutant qu’ils ne « puissent peser sur le résultat ». Un représentant de George Weah, Ansu Suny, a lui aussi noté que de tels problèmes ont « découragé certaines personnes, au point de partir sans voter ». Mais il estime que « l’ampleur de ces incidents n’est pas très importante ».
Défiance totale envers les institutions
Une éventuelle manipulation des résultats est dans la tête de tous les Libériens qui entretiennent une défiance totale vis-à-vis des institutions publiques. Phénomène auquel la NEC n’échappe pas, même si les partis politiques et les observateurs internationaux ont été – et sont encore – étroitement associés à tout le processus électoral. L’un des slogans préférés des partisans de George Weah n’était-il pas : « No cheat », « pas de triche » ?
En 2011, le « ticket » présidentiel sur lequel l’ancien footballeur concourrait pour le poste de vice-président, après avoir échoué à la présidence en 2005 face à Ellen Johnson Sirleaf, s’était retiré de la course entre les deux tours dénonçant des « fraudes massives ». Des manifestations avaient alors été violemment dispersées provoquant la mort d’au moins deux personnes.
« Cette fois-ci, on ne se laissera pas faire », affirme Johanna Montgomery, supportrice de « Mister George » rencontrée dans une venelle boueuse et insalubre de West Point. « Worst Point » (« le pire endroit »), comme le surnomment eux-mêmes ses habitants, est l’un des principaux bidonvilles de Monrovia, toujours prompt à s’enflammer, et où le candidat fait figure de héros.
La NEC dispose jusqu’au 25 octobre pour annoncer les résultats définitifs du premier tour, le second intervenant le deuxième mardi suivant cette publication.
Par Christophe Châtelot (Monrovia, envoyé spécial)
Le Monde.fr avec AFP Le 13.10.2017 à 00h23 • Mis à jour le 13.10.2017 à 11h16