Libreville, début octobre. Difficile pour le visiteur lambda, en cette petite saison des pluies où alternent éclaircies et averses, de percevoir une quelconque tension politique. On est en tout cas à des années-lumière de la grave crise décrite à longueur de colonnes dans les journaux locaux.
Toujours les mêmes interminables embouteillages sur le front de mer en semaine. Les Gabonais vaquent tranquillement à leurs occupations quotidiennes : les uns se rendent au travail, les autres tirent le diable par la queue. Un peu plus d’un an après le déclenchement du maelström né de la réélection au forceps – et fortement contestée – d’Ali Bongo Ondimba (ABO), où en est le Gabon ? Réponse : entre deux eaux.
Il sort d’une longue période de transition au cours de laquelle les deux camps, les soutiens de Jean Ping d’un côté, ceux d’ABO de l’autre, ont passé plus de temps à jouer aux échecs (deux « dialogues nationaux », ce qui est somme toute assez ahurissant) et à remobiliser leurs troupes qu’à véritablement guerroyer. Une année de perdue, en définitive, puisque le Gabon ne peut s’offrir le luxe de l’inertie. Mais ce temps-là semble révolu : voici venu celui des grandes manœuvres.
Côté pouvoir, qui a senti le vent du boulet, les défaillances ont été légion. L’heure est donc à la remise en ordre de bataille. Ali Bongo Ondimba a remanié son gouvernement, débauché quelques lieutenants de l’opposition (dont le nouveau vice-président du pays, Pierre-Claver Maganga Moussavou), renouvelé de fond en comble son cabinet à la présidence, notamment avec la nomination d’un nouveau directeur, Brice Laccruche Alihanga, et procédé à un nouveau « TsunAli » dans l’Administration, marqué du triple sceau de la jeunesse, de la féminisation et de la fidélité, présumée en tout cas.
Réformes
Priorité, enfin, aux réformes économiques et à la réduction du train de vie de la nation. L’État providence, aux mamelles duquel des générations de Gabonais se sont abreuvés, c’est fini. « Nous n’avons pas le choix, nous a expliqué un proche du président, monté en grade après la déconfiture d’août 2016. La masse salariale dans l’Administration a doublé, pour quel résultat ? Les voitures de luxe, alors que certains n’ont pas de quoi manger, qu’il n’y a pas de bancs dans les écoles, que nous disposons d’hôpitaux flambant neufs sans médecins ni personnel pour les faire tourner… Ce n’est plus possible ! »
Et de poursuivre le voyage à Canossa sur lequel semble engagé son camp : « Nous avons commis trop d’erreurs. Les projets pharaoniques qui n’aboutissent pas, le bras de fer avec notre partenaire privilégié qu’est la France sans qu’il soit remplacé – et nous avons vu ce que cela nous a coûté pendant l’élection –, les faucons arrogants, l’usage du bâton sans la carotte, les guerres d’ego parmi nous pour être plus près du soleil, les jeunes dont on parle à longueur de discours sans s’en occuper concrètement… » L’objectif, clairement identifié, est de revenir à la dynamique en vigueur lors de la première partie du septennat précédent d’ABO, entre 2009 et 2012. Quand la rupture était engagée, quand les projets, conçus à la présidence et mis en œuvre par le gouvernement, avançaient.
Côté opposition, la situation est inverse. Jean Ping semble avoir perdu la main. Tenir ses troupes en rangs serrés pendant plus d’un an, alors que se profilent des législatives d’ici à six mois, était, il est vrai, loin d’être une sinécure. Ses alliés se sont petit à petit lassés de sa stratégie jusqu’au-boutiste. Son discours du 18 août appelant à la mobilisation populaire, voire à l’insurrection, n’a pas porté ses fruits.
Horizon bouché avec Jean Ping ?
Ceux qui l’ont accompagné dans l’extraordinaire aventure de la présidentielle – l’opposition unie derrière un seul homme pour la première fois de son histoire – commencent à se dire qu’avec lui leur horizon est bouché. Ils entendent pour la plupart concourir aux législatives. Ce que nous a confirmé l’une des figures de proue de l’alliance qui s’est formée autour de l’ancien président de la Commission de l’Union africaine : « Ping a été choisi parce qu’il avait commencé sa campagne bien avant nous et qu’il disposait de moyens que nous n’avions pas. C’était le meilleur choix. Mais c’était le choix de la raison, pas celui du cœur, c’est évident. Or la raison, avec un Ali Bongo Ondimba plus que jamais solidement installé au Palais du bord de mer et qui gouverne à sa guise, voudrait que l’on arrête de s’entêter à ne pas vouloir dialoguer avec lui, compte tenu de la situation grave dans laquelle se trouve notre pays. Surtout, la raison voudrait que l’on poursuive sur notre élan de la présidentielle, unis donc, pour conquérir désormais l’Assemblée nationale et diriger le Gabon. La politique de la chaise vide n’est pas une option. Le refus de tout dialogue avec Bongo non plus. En politique, il ne faut jamais dire “jamais”… »
Comme l’explique Casimir Oyé Mba, ancien Premier ministre et actuel vice-président de l’Union nationale, principal parti de l’opposition, « le temps qui passe joue en faveur d’Ali Bongo Ondimba ». Reste que du temps, compte tenu de la situation économique et sociale, le Gabon n’en a guère. Il est plus qu’urgent que les politiques, dont les joutes ont fait tant de mal à ce pays, s’en rendent compte…
Marwane Ben Yahmed
Marwane Ben Yahmed est directeur de publication de Jeune Afrique.