Le «Collectif Gabon Démocratie», le Rassemblement Héritage et Modernité, le 6e vice-président du Sénat et certainement ce week-end Zacharie Myboto. Tout ce beau monde affiche des craintes quant à la révision constitutionnelle annoncée par le gouvernement, sans l’ouverture d’un débat public à ce sujet. Qu’y a-t-il à craindre dans ce projet ? Morceaux choisis d’un projet de ringardisation démocratique du Gabon.
6e vice-président du Sénat, Jean-Christophe Owono Nguema, a jeté un pavé dans la marre, le 19 octobre, alors qu’il répondait aux questions de Tatiana Mossot sur le plateau de TV5Monde. Pour le Sénateur d’Oyem, la révision constitutionnelle en préparation est «la forfaiture de trop d’Ali Bongo !». Sa déclaration a eu un certain retentissement du fait de l’annonce d’une croisade contre le projet de constitution annoncé. Avant lui, Alexandre Barro Chambrier indiquait, le 13 octobre dernier, que «le projet de révision constitutionnelle actuelle est inopportun, car il consacre un recul de la démocrate en instituant un régime présidentiel qui concentre le pouvoir exécutif dans les mains du président de la République, faisant fi de la séparation des pouvoirs et cherchant à prendre avantage d’une possible cohabitation». Le Rassemblement Héritage et Modernité, a-t-il précisé, reste attaché au régime semi-présidentiel et exige le retour à la Constitution de 1991. Une sortie, sur le même sujet, de Zacharie Myboto, président de l’Union nationale (UN), est annoncée pour ce samedi 21 octobre.
Comme dans le Zaïre de Mobutu
Selon Jean-Christophe Owono Nguema le projet de révision de la Constitution annoncé par le Conseil des ministres ne vise rien d’autre que la «disparition de la République gabonaise» pour «une monarchisation de la République». À y regarder de près, toutes ces opinions concordantes ne se méprennent pas vraiment. Le projet portant révision de la Constitution de la République Gabonaise comporte des aspects donnant froid dans le dos lorsqu’ils ne rappellent pas des pratiques tristement célèbres du Zaïre de Mobutu consacrant littéralement la déification du président de la République. Mobutu recevait en effet le serment des membres du Bureau politique et du Conseil Exécutif, des magistrats de la Cour Suprême de Justice, des Commissaires de région, des officiers des forces armées, etc. «Le maréchalat du Roi-Dieu», annonçait un célèbre graffiti sur les murs de Libreville. On s’en rapproche visiblement.
D’abord analysée dans le trihebdomadaire Echos du Nord à travers un article du «Collectif Gabon Démocratie», le projet de Constitution a été éventé et a largement circulé ces deux derniers jours sur les réseaux sociaux gabonais. Quelques morceaux choisis confirment les craintes de l’opposition. On note par exemple, dans l’article 15 nouveau de la Constitution en préparation, qu’«avant leur entrée en fonction, les membres du Gouvernement prêtent serment devant le Président de la République et en présence de la Cour Constitutionnelle, selon les termes ci-après : “Je jure de respecter la Constitution et l’Etat de droit, de remplir consciencieusement les devoirs de ma charge dans le strict respect de ses obligations de loyauté et de fidélité à l’égard du Chef de l’Etat, de garder religieusement, même après la cessation de mes fonctions, la confidentialité des dossiers et des informations dont j’aurais eu connaissance dans l’exercice de celles-ci”.» Ahurissant ! les ministres vont avoir des «obligations de loyauté et de fidélité à l’égard du Chef de l’Etat». Si ce n’est pas un petit bond vers la monarchisation, ça y ressemble étrangement.
Prémonitoire, le graffiti d’André Ondo Mba ?
On peut également lire, à l’article 20 nouveau, qu’avant leur prises de fonctions, les commandants en chef des forces de défense et de sécurité, donc les officiers supérieurs et généraux, prêtent un serment devant le Président de la République. Il est également question ici d’«obligations de loyauté et de fidélité à l’égard du Chef de l’Etat». Conséquemment, des militaires jurant fidélité au président de la République ne pourront toujours et toujours que le défendre, même contre le peuple qu’ils sont censés défendre. On vogue résolument à la lisière de l’armée personnelle du Chef de l’Etat. «Le maréchalat du Roi-Dieu», annonçait le graffiti d’André Ondo Mba, l’homme qui prétendait entendre les voix des mythologies.
Plus étonnant est l’article 78 nouveau disposant que «Le Président de la République qui a cessé d’exercer ses fonctions ne peut être mis en cause, poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé pour les faits définis par la loi organique sur la Haute Cour de Justice.» Ici, on va beaucoup plus loin que les Accords de Paris à l’issue desquels le Président de la République ne pouvait être poursuivi avant une durée égale à celle de deux mandats présidentiels d’alors (dix ans) après la cessation de ses fonctions. Autrement dit, il bénéficiait de dix ans d’immunité absolue. Dans la constitution projetée, l’immunité devient absolue et perpétuelle.
Patron du PDG, le parti des démocrates gabonais, Ali Bongo est-il vraiment un démocrate ? la formation politique au pouvoir dont est issue l’ensemble des artisans de ce projet est-elle démocratique, ainsi qu’elle le proclame dans son appelation ? On devrait en douter. Sinon, comment comprendre une telle ringardisation de la loi fondamentale d’un pays dont les dirigeants clament haut et fort l’aspiration à «l’Émergence».