Observateur actif de la vie politique du Gabon, Mathurin Mengue Bibang développe ici ce qu’il qualifie de nouveau mode de désignation du président de la République apparu dans l’opinion et approprié par une frange des leaders politiques : Ni le vainqueur, Ni le perdant (« NI-NI »). Quelles sont les motivations réelles des concepteurs du « Ni-Ni » ? Et où cela peut-il mener ? Deux questions auxquelles répond sans langue de bois cet ancien cadre supérieur d’entreprise et ancien directeur de publication d’un journal d’entreprise.
Depuis l’avènement des élections présidentielles organisées au Gabon en août 2016, un nouveau mode de désignation du Président de la République est apparu dans l’opinion et approprié par une frange des leaders politiques de ce pays, sans que cela soit consigné dans la constitution : Ni le vainqueur, Ni le perdant (« NI-NI »).
Cette nouvelle trouvaille m’amène à deux interrogations : quelles sont les motivations réelles des concepteurs du « Ni-Ni » ? Et où cela peut-il nous mener ?
Pour tenter de trouver réponse à la première interrogation, il n’est pas besoin de revenir sur l’histoire politique du Gabon qui veut que, depuis les indépendances, les élections n’ont jamais été correctement organisées. Pour faire court, au terme de chaque élection depuis cette période, un coup de théâtre savamment orchestré a fait toujours en sorte, à quelques exceptions près, que c’est n’est pas toujours le vainqueur des urnes qui est déclaré vainqueur et investi comme Président de la République. Bien entendu, comme explication, on a toujours désigné un bouc émissaire : la France qui serait à la manœuvre.
Les motivations des concepteurs du « Ni-Ni »
C’est le même scénario qui a été servi aux gabonais qui se sont massivement prononcés ou non pour les dernières élections, dans le but d’expliquer la forfaiture actuelle. Laquelle forfaiture qui est soutenue par une partie de Gabonais, y compris d’une certaine opposition. Mais en voulant à nouveau mettre en œuvre ce scénario, les metteurs en scène de cette tragédie ont oublié d’anticiper ou d’intégrer trois aspects : le candidat choisi par la majorité des Gabonais, la détermination de ce candidat et la volonté du peuple de voir leur candidat prendre les rênes du pays. Une omission de taille, qui fait que plus d’un an après ces élections jugées chaotiques par la population et la communauté internationale, le Gabon vit une situation jamais connue par le passé.
Pour expliquer les motivations des concepteurs du « Ni-Ni », il ne faut pas sortir de Sciences Po ou de X-polytechnique pour comprendre que ceux qui proposent cette nouvelle grille de lecture ne sont pas de vrais dirigeants politiques. Car la mise en place d’un tel concept ne peut caractériser que les dirigeants politiques qui ont toujours brillé par le passé, mus par ce que Jean-François Bayart a appelé « la politique du ventre ». Leur objectif, c’est de tromper le peuple qu’ils sont sensés gouverner, c’est aller à la soupe, c’est se servir et non servir… Sinon comment expliquer cette nouvelle trouvaille qui veut qu’après une compétition de football, aucune des deux équipes qui se sont affrontées en finale ne monte au podium ? Et qu’il suffit d’aller chercher une équipe au quartier qui a été battue dans les phases antérieures pour qu’on lui remette le trophée. Comprenne alors qui pourra.
Et les concepteurs du « Ni-Ni » désignent comme responsable de cette situation de blocage bien sûr la France. De quelle France s’agit-il ? Est-ce la France des droits de l’homme qui respecte les droits de ses citoyens ? Certains me diront la France des ingérences ; mais peut-on s’ingérer dans les affaires d’un pays sans que les responsables de ce pays en soient complices ?
En effet, depuis la proclamation des résultats, les dirigeants politiques gabonais de tous bords n’ont cessé d’effectuer des allers et retours à l’hexagone, sans qu’on sache réellement ce qui en découle. Et les plus zélés d’entre eux sont venus livrer au Gabonais le message suivant : « la France reconnaît que Ping a bien gagné les élections, mais elle ne veut pas de lui comme Président de la République ». Stupeur !
Du plus loin que je peux remonter le temps, c’est la première fois que j’entends une telle hérésie. Comment est-ce possible ? Pourquoi avoir alors organisé une élection au Gabon pour avoir un Président désigné et choisi par la France ?
N’en déplaise à certains esprits mal tournés et aux manipulateurs, dans la désignation d’un Président, il ne faut pas confondre légalité et légitimité. La première est celle qu’a cru dire la Cour Constitutionnelle qui ne s’est fondée que sur ses pratiques habituelles. La seconde, la légitimité, est le reflet des résultats des urnes à l’issue d’une élection transparente. La crise actuelle est donc liée à la non-coïncidence entre légalité et légitimité.
En réalité, les concepteurs du Ni-Ni et leurs partisans proposent un autre coup d’Etat électoral, mais sans élection. Ils veulent se situer non seulement au-delà de la légalité, mais aussi en-deçà de toute légitimité. Manipulateurs de l’opinion, ils pensent que l’attente est trop longue. Convaincus que la victoire de Ping était acquise (et c’est vrai), et surtout qu’en s’affichant à ses côtés pendant la campagne, ils allaient être les premiers bénéficiaires pour le ‘’partage du gâteau’’, un an plus tard, ils ont perdu leurs illusions pour accéder au pouvoir. C’est pourquoi ils ont créé une diversion, soit pour installer la confusion au sein des populations, soit pour se vendre dans le camp d’en face qu’ils n’ont d’ailleurs cessé de vilipender pendant la dernière campagne électorale. Pour preuve, certains sont allés à la soupe, suivez mon regard. Il reste encore d’autres qui sont hésitants, qui ne savent pas bien de quoi demain sera fait. Mais ceux-ci sont désormais bien identifiés.
Mais où cela peut-il nous mener ?
Imaginons un seul instant que ce schéma du « Ni-Ni » se réalise, quelle sera la légitimité de ce prétendu Président sorti de je ne sais où ? Et d’ailleurs sur quelle base sera-t-il désigné ? Devra-t-on alors organiser de nouvelles élections ? A-t-on une idée du coût de ces élections dont la campagne, pour certains candidats, est financée par le contribuable ? Les partisans du « Ni-Ni » sont dans l’impasse. Ce sont de bricoleurs de la politique fiction. Ils doivent se réveiller.
Les gabonais sont matures. Ils ont fait le pari de la démocratie et de la liberté, ils ont soif de liberté et de changements. Ils savent que les systèmes politiques qui leur ont été imposés sont limités car ils ne leur permettent pas de désigner librement et sans interférence aucune leurs élus. Mais au même titre que les autres peuples de la planète, ils savent que c’est par le vote démocratique et par non la désignation constitutionnelle ou les élucubrations des apprentis politiciens qu’ils deviendront maîtres de leur avenir. Le Gabon est un pays normal, ne vous en déplaise. Il n’est pas un pays atypique.
A bon entendeur, salut…