Au Gabon, l’actuel projet de réforme constitutionnelle qui accentue la concentration des pouvoirs entre les mains d’Ali Bongo rappelle un vieil épisode de l’histoire du pays. Admirateur du roi Hassan II du Maroc, l’ex président du Gabon Omar Bongo avait pensé créé un “Royaume du Gabon” dont il aurait été le monarque tout puissant. Une idée à laquelle la France s’était opposée.
La polémique enfle depuis qu’à fuité un énième projet de révision de la constitution conférant à Ali Bongo un peu plus de pouvoirs. A tel point que l’opposition emploie désormais clairement le terme de “monarchisation”. Ce que très peu de personnes savent c’est que le Gabon a vraiment failli devenir une monarchie absolue en 1986…
Arrivé au pouvoir suite à la mort de Léon Mba en 1967, suite à une élection où il s’est présenté comme colistier de Léon Mba sans adversaires en obtenant 100% des voix, Albert Bernard Bongo instaure officiellement le parti unique en 1968 et devient en tant que président-fondateur du parti unique, le « candidat naturel » aux élections du 25 Février 1973 où il obtient 100 % des suffrages. Le 30 décembre 1979, rien ne change, en dehors du fait qu’Omar a remplacé Albert Bernard, le « président fondateur », « l’arme du présent et du futur », en obtenant 100 % des voix.
Conforté dans son pouvoir, Bongo hésite à se proclamer « Président à vie » et caresse un vieux rêve : devenir roi comme Hassan II du Maroc qu’il admire tant. Si Omar Bongo ne met pas sur la table son « projet royal » c’est qu’il a été coiffé au poteau par Jean Bedel Bokassa, maréchal, « président à vie », qui se fait sacrer « empereur de Centrafrique » dans un style napoléonien.
Bokassa “napoléonisé”
Depuis la mort d’Hailé Sélassié, empereur d’Ethiopie renversé puis assassiné par les militaires communistes, il n’y a plus d’empereur en Afrique. Jean Bedel Bokassa président depuis 1966, grand admirateur de Napoléon, décide de se faire couronner empereur sur le modèle … du film de Sacha Guitry paru en 1955 ! Le sacre a lieu à Bangui le 4 Décembre 1977 dans un gymnase. On y voit Bokassa assis sur un trône en or de trois metres de hauteur pour plus de quatre metres d’envergure en forme d’aigle ! Il est revetu d’un manteau d’hermine de 12 mètres de long pesant 38 kilos et comportant 785 000 perles et 1,3 millions de boules de cristal et d’or! Comme Napoléon, Bokassa se couronne lui même et couronne « sa Joséphine » conformément au tableau de David. En tout, le sacre de Bokassa aura coûté plus de 7 milliards de Francs CFA (15 millions d’euros) soit le cinquième du budget centrafricain. En dehors de la France qui y envoie son ministre de la coopération Robert Galley, aucun chef d’État n’a osé prendre part à la mascarade qui n’avait, il est vrai, rien d’Africain ni de napoléonien d’ailleurs. Pendant ce temps, Omar Bongo ronge son frein.
La chute de Bokassa, Bongo aux premières loges
L’empire centrafricain durera moins de deux ans. Isolé, toujours avide d’argent, Bokassa décide d’imposer des uniformes aux élèves centrafricains qu’il fabrique et vend lui-même. Indignés par cet énième rançonnage, les élèves décident de descendre dans la rue. « Leur empereur » Bokassa réplique et leur fait tirer dessus. La France décide de lâcher cet empereur et c’est au Gabon qu’on le lui annonce.
Dans un entretien à Franceville, dans le Haut Ogoouée au Gabon, dans la demeure d’Omar Bongo, le 1er Aout 1979, Réné Journiac successeur de Jacques Foccart aux affaires africaines demande sans détours à Bokassa de quitter le pouvoir. Dans un premier temps, Bokassa demande à réfléchir. Après « réflexion » et quelques verres de Chivas, Bokassa donne sa réponse : il ne partira pas. Journiac le met en garde, Bokassa répond à coups de canne ! Bongo le résonne et sent à ce moment que pour son impérial visiteur les carottes sont cuites. Le 20 septembre 1979, l’armée française renverse Bokassa et met fin à son sinistre empire. Au Gabon, plus question de royaume, en tout cas pour l’instant, Omar Bongo se contente d’une « élection » au cours de laquelle il est réélu avec 100 % des voix le 30 décembre 1979.
Le Royaume du Gabon
Omar Bongo n’a pas oublié son vieux rêve. Malgré l’exemple centrafricain, Bongo veut toujours faire du Gabon une monarchie. En 1986, il pense que son heure est venue. Après une autre élection à laquelle il est l’unique candidat et obtient « seulement » 99,97 % , Omar Bongo projette de soumettre le passage de la république gabonaise au « Royaume du Gabon » à un référendum constitutionnel pour ensuite se faire proclamer « roi des Tékés » (son ethnie) et enfin « Roi du Gabon ».
Même s’il nie lorsqu’il est interrogé, Omar Bongo décide d’envoyer le futur « prince héritier » Ali Bongo à Paris sonder les autorités françaises à qui il doit son pouvoir. La réponse de Paris est sans appel : « hors de question de faire du Gabon un royaume ! ». Même « l’ami » Jacques Chirac alors premier ministre de François Mitterrand n’apporte pas son soutien au projet. Lors d’un entretien – raconté par Jacques Foccart dans ses mémoires – avec Ali Bongo à Matignon, ce dernier fait montre d’une fermeté opiniâtre pour l’instauration au Gabon d’une monarchie héréditaire.
Le refus de la France
Jacques Chirac reste ferme dans ses réserves en évoquant notamment le cas Bokassa. Face à cette levée de boucliers Omar Bongo renonce à son projet de devenir le premier « Roi du Gabon ». Mais « le prince héritier » Ali Bongo n’abandonne pas. Il presse son père de passer outre l’avis de la France. Le Gabon après tout n’est-il pas un pays indépendant ? Parmi les proches collaborateurs qui sont contre « le projet royal » se trouve Jean Ping. Lors d’un entretien avec Omar Bongo, il émet des réserves auxquelles Omar répond : « Tu es contre? Dis-le donc à Ali! ». Jean Ping ne dira rien au prince héritier. Omar Bongo transmet : « Tu vois, même ton copain Mao [surnom de Jean Ping, dont le père est Chinois et la mère Gabonaise] n’y croit pas ».
Omar Bongo restera président du Gabon jusqu’à sa mort en 2009. Son « règne » durera 42 ans. S’il n’a jamais été roi du Gabon, il l’a dirigé comme tel et a tout fait pour que son fils Ali lui succède. Quant à Ali Bongo, président du Gabon depuis 2009, nul doute qu’il n’a pas oublié le vieux projet de son père. Le dernier projet de révision de la Constitution du Gabon qui prévoit notamment que les membres du Gouvernement et les commandants de forces de défense et de sécurité prêtent serment devant le président de la république (Art.15 et 20 nouveaux) rappelle l’hommage lige réservé aux grands monarques.
Par Jocksy Ondo Louemba