Envisagé dans le projet de révision constitutionnelle, le passage du Conseil national de la communication (CNC) du statut d’institution constitutionnelle à celui d’autorité administrative indépendante est d’abord une offense à son actuel président, Jean-François Ndongou, même si on peut y voir d’autres dimensions.
Jamais, depuis sa mise en place, le Conseil national de la communication (CNC) n’avait vu son statut remis en cause. En un quart de siècle d’existence, il a été critiqué, attaqué, vilipendé. Personne n’avait cependant eu l’outrecuidance d’envisager son retrait de l’ordre institutionnel défini par la Constitution. Depuis la fin du dialogue politique d’Angondjé et, pire encore, depuis le 28 septembre dernier, c’est chose faite : dans le projet de révision constitutionnelle, le titre consacré à l’institution en charge de la régulation de la communication a tout simplement été supprimé. En clair, le Conseil des ministres milite pour une mutation du CNC en une autorité administrative indépendante sous tutelle du Premier ministre (lire «CNC adios»). Pour Jean-François Ndongou et ses pairs, c’est un véritable affront, une authentique offense, un camouflet à nul autre pareil.
Appendice du gouvernement
Pourtant, le président du CNC avait pris soin de prévenir la nomenklatura dirigeante. Intervenant durant la phase citoyenne du dialogue d’Angondjé, il avait plaidé pour le statu quo (lire «Ne touchez à rien, c’est parfait»). N’ayant pas été entendu, il doit normalement le vivre comme une humiliation personnelle. En toute lucidité, il doit, en premier lieu, le tenir pour un manque de considération pour sa personne. Ayant opportunément cumulé les fonctions de ministre de l’Intérieur et ministre de la Défense nationale durant l’intérim consécutif au décès d’Omar Bongo Ondimba, Jean-François Ndongou est l’un des principaux artisans de l’arrivée d’Ali Bongo au pouvoir. S’étant empressé de dissoudre l’Union nationale, au plus fort de la contestation en légitimité du pouvoir, il a longtemps cherché à réduire au silence toutes les voix discordantes. Son zèle partisan, sa propension à instrumentaliser l’administration et son usage immodéré de la force ont énormément contribué à imposer l’ordre politique né de la présidentielle anticipée d’août 2009. Logiquement, ses états de service le prédisposent à être un des hommes forts de l’actuel pouvoir. Le voir avaler de telles couleuvres traduit finalement une réalité : l’ancien super-ministre en charge des questions sécuritaires est, en fait, un séide ordinaire, un exécutant sans influence réelle sur la marche des choses.
L’humiliation est aussi politique pour Jean-François Ndongou. Impuissant à défendre le rang de son institution, il l’a laissé dériver. Incapable d’en revendiquer ou d’en assumer le mandat constitutionnel, il n’a pris aucune initiative allant dans le sens de la défense de «la liberté et de la dignité des citoyens». Bien au contraire, il a fortement contribué à brider l’exercice des droits civils et politiques, notamment le droit à la liberté d’expression. A trop jouer la loyauté au pouvoir politique, il a assisté, impuissant, à la formulation puis à l’adoption d’une loi sur la communication tout à la fois rétrograde et liberticide. Tout compte fait, il a œuvré pour la transformation du CNC en appendice du gouvernement. Même s’il affirmera avoir chaussé les bottes de ses prédécesseurs, l’hypothèse d’un rattachement à la Primature apparaît paradoxalement comme une avancée pour son institution, désormais ravalée au rang d’organe sous tutelle du ministère de la Communication. On croit rêver !
Police de la pensée
Ayant surtout eu à cœur de défendre les intérêts du pouvoir politique, Jean-François Ndongou doit aussi prendre acte de l’humiliation au plan technique. Ayant confondu régulation et censure, il a totalement ignoré les considérations civiles et professionnelles. Jamais, il ne s’est posé en défenseur du droit à la liberté d’expression. A aucun moment, il n’a œuvré pour la pleine et entière participation des acteurs du monde la communication à la vie publique. Ni le renforcement des capacités, ni l’adoption d’une charte éthique, ni le contrôle des programmes, ni le respect de l’équité dans le temps d’antenne, ni le soutien à la mise en place d’un organe d’autorégulation ou d’une commission indépendante de la carte de presse n’ont fait partie de ses priorités. Trop occupé à veiller à la vulgarisation de la doxa bien-pensante, il a donné de l’institution l’image du père-fouettard (lire «Echos du nord» , «Le Douk-douk», «Le Mbandja», «Mibana» et «RTN» suspendus). Même s’il peut, avec une rare facilité, se réfugier derrière le cadre juridique, il a accentué le fossé entre le CNC et le monde la presse, pourtant son premier public.
Peu importent les raisons avancées par les participants au dialogue d’Angondjé, ils sont parvenus à une conclusion identique à celle du citoyen lambda : en l’état actuel des choses et au regard de ses agissements, le CNC ne mérite nullement le statut d’institution constitutionnelle. Ironie du sort, sa relégation au statut d’autorité administrative apparaît comme un juste rééquilibrage des choses, un ajustement conforme à la compréhension de ses animateurs. Sous l’autorité du Premier ministre, ils auront, au moins, de bonnes raisons de faire de la protection du gouvernement leur mission première. Même si on peut en dire autant de la Cour constitutionnelle, il devenait, en effet, gênant de voir une institution fouler systématiquement au pied des droits fondamentaux pourtant garantis par la Constitution. Il n’était plus tolérable d’assister à la transformation volontaire d’une institution dédiée à la liberté d’expression en police de la pensée. Sauf à miser sur une improbable reculade des initiateurs du projet de révision constitutionnelle voire sur un échec de cette entreprise, Jean-François Ndongou devrait y réfléchir. A moins de se préoccuper de son seul sort ou de n’avoir cure de l’opinion publique, il devrait en tirer les conséquences. Toutes les conséquences.