Au pouvoir depuis 1980 dans l’un des pays les pauvres de la planète, le dictateur de 93 ans pourrait voir sa carrière politique s’achever après l’intervention de l’armée.
Il avait promis de présider aux destinées du Zimbabwe jusqu’à 100 ans. Mais c’est à l’âge honorable de 93 ans que la carrière politique de l’indéboulonnable Robert Mugabe pourrait bien s’arrêter.
Dans la nuit de mardi à mercredi, l’armée a quitté ses casernes pour, déclare-t-elle, traquer les « criminels » de l’entourage du président « qui commettent des crimes à l’origine de souffrances économiques et sociales » dans ce petit pays de l’Afrique de l’Est.
« Dès que nous aurons accompli notre mission, nous pensons que la situation reviendra à la normalité », a promis le général SB Moyo, chef d’état-major logistique, lors d’une allocution à la télévision.
Crise de succession
Si l’armée récuse tout coup d’Etat et a assuré que Robert Mugabe, placé en résidence surveillée, était sain et sauf, la confusion est totale dans le pays ce mercredi. L’intervention de l’armée est le dernier épisode d’une crise politique qui a commencé la semaine dernière avec l’éviction « pour déloyauté » du vice-président Emmerson Mnangagwa, un des héritiers présomptifs de Robert Mugabe.
Ce limogeage avait immédiatement relancé les spéculations sur une potentielle succession de l’épouse du président, Grace Mugabe, 52 ans, qui affiche de plus en plus clairement ses ambitions politiques.
Une mise sur la touche définitive de Robert Mugabe par l’armée serait en tout cas à marquer d’une pierre blanche tant l’histoire du Zimbabwe se confond avec celle du plus vieux chef d’Etat en exercice de la planète.
Héros de l’indépendance
Fils d’un charpentier, Robert Mugabe voit le jour en 1924 à Kutama en Rhodésie du Sud, un territoire qui doit son nom à Cecil Rhodes, héros de l’impérialisme britannique du XIXe siècle en Afrique australe.
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, au cours de laquelle les soldats asiatiques et africains ont joué un rôle de premier plan, la tutelle coloniale est vivement contestée en Rhodésie du Sud. Aussi le jeune Robert Mugabe, qui a étudié au Royaume Uni et en Afrique du Sud, devient-il l’un des principaux acteurs de la lutte pour l’indépendance.
Nourri des thèses marxistes en vogue dans les pays du tiers-monde, il participe à la guerre de libération contre le pouvoir de Ian Smith, chef de file de la minorité blanche qui a proclamé unilatéralement l’indépendance de la colonie en 1965. Ce qui vaut à Mugabe d’être jeté en prison pendant 10 ans.
Il faudra 15 ans à la guérilla nationaliste du Z.A.N.U pour arracher l’indépendance. Libéré en 1975, Robert Mugabe y contribue largement et deviendra l’une des icônes de la lutte anticolonialiste. De quoi lui ouvrir un boulevard politique.
En 1980, le pays est officiellement rebaptisé Zimbabwe et les statues de Cecil Rhodes déboulonnées. Après la victoire éclatante de son parti lors des premières élections du pays, Robert Mugabe s’installe logiquement au poste de Premier ministre.
Dérive dictatoriale
Le début du règne de celui qui est surnommé affectueusement « Comrade Bob » commence sous de bons auspices. Robert Mugabe oeuvre à la réconciliation entre les noirs et les blancs et mène une politique progressiste. En 1987, il accède à la présidence et, sept ans plus tard, il sera même anobli par la reine Elizabeth II !
Pendant les années 90, le régime du « libérateur » va cependant prendre une tournure dictatoriale avec un contrôle accru sur les médias et des intimidations répétées contre l’opposition.
Le despotisme de Robert Mugabe se double d’une incapacité à faire décoller l’économie du pays. Après un référendum constitutionnel perdu en 2000, le chef de l’Etat procède à l’expropriation sans indemnisation de 4.000 exploitants agricoles blancs, provoquant une grave crise alimentaire dans ce pays jadis grenier à blé de l’Afrique australe.
Economie aux abois
Résultat : l’inflation atteint des sommets vertigineux, conduisant les autorités à procéder à la dollarisation de l’économie en 2009. Après 37 ans de règne, le Zimbabwe de Robert Mugabe est en piteux état.
Le PIB par habitant stagne à environ 1000 dollars, le taux de chômage touche plus de 80 % de la population et l’espérance de vie n’est que de 57 ans, contre 60 ans en 1990. Le pays est également massivement touché par le sida. Selon l’ONU, 1,3 million de Zimbabwéens étaient séropositifs en 2016 .
Les dernières années au pouvoir de Robert Mugabe ont été marquées par la question brûlante de sa succession et des grandes manifestations contre le régime, réprimées par la police .
Candidat à l’élection présidentielle
Pas question toutefois pour Robert Mugabe de lâcher les rênes. Le président est en effet déjà candidat à sa succession en 2018. Il aura alors 94 ans… Mais l’armée pourrait faire voler en éclats son rêve présidentiel, tout comme celui de son impopulaire épouse.
Alors que les puissances occidentales ont appelé ce mercredi au respect de la légalité constitutionnelle, il ne faudrait cependant pas enterrer tout de suite le « vieux lion », dont la fin politique a été si souvent annoncée. Après tout, son épouse Grace Mugabe n’avait-elle pas déclaré en février dernier : « Un jour, Dieu finira par rappeler Mugabe à lui. Depuis sa tombe, nous pourrions proposer son nom sur les bulletins de vote… il gagnerait haut la main les élections de 2018. »
Adrien Lelièvre