Pour un discours à l’international, pour une participation à un sommet de chefs d’Etat ou pour une visite à l’étranger, le Conseil des ministres félicite systématiquement le chef de l’Etat, depuis 2010. Étant lui-même le président du Conseil des ministres, cette manie procède de l’auto-congratulation. Mieux, elle ressemble à de l’auto-satisfaction. Cette posture est-elle vraiment nécessaire ? Quand rien ne bouge, doit-on verser dans l’autosatisfaction ? Quand rien ne se fait, comme l’a dit «Makaya», comment peut-on se permettre de se féliciter ?
Le Conseil des ministres «félicite», «se réjouit», «rend hommage», «salue l’action» ou «la décision» du chef de l’Etat. Un bel exercice d’auto-congratulation qui ne manque jamais d’orner les communiqués finaux du Conseil des ministres du Gabon, et dans lesquels on ne peut jamais manquer de citer à plusieurs reprises – parfois une dizaine de fois dans le même communiqué final – le joyeux groupe de mots «Son Excellence Ali Bongo Ondimba, président de la République, chef de l’Etat».
«Son Excellence Ali Bongo Ondimba, président de la République, chef de l’Etat»
Le Conseil des ministres du 21 décembre dernier n’a pas dérogé à la règle. Il stipule d’entrée que «suite à l’agenda diplomatique de S.E. Ali Bongo Ondimba, président de la République, chef de l’Etat, et à tous les succès engrangés (sans dire lesquels, ndlr), le Conseil des Ministres félicite très vivement le Président de la République qui a successivement pris part au 5e Sommet UE-UA, effectué une visite d’État en Guinée Équatoriale, et pris part à l’événement «One Planet Summit» en France». Au passage, on ignorera les fautes de français contenues dans le document original dudit communiqué final : «il s’est agit» au lieu de «il s’est agi» ; «aussi, le Conseil des Ministres s’est-il réjouit» au lieu de «s’est-il réjoui».
En fait, aussi loin que l’on remontera dans les communiqués finaux du Conseil des ministres, en 2010, 2011, 2013 ou 2014, cet exercice d’auto-congratulation y figure toujours. Le 8 mai 2014, par exemple, «le Conseil des ministres s’est félicité de la tenue, les 25 et 26 avril derniers, des premières Assises Sociales du Gabon, initiées par S.E. Ali Bongo Ondimba, président de la République, chef de l’Etat». Le 17 janvier 2017, «à l’entame des travaux, le Conseil des ministres a salué la participation de S.E. Ali Bongo Ondimba, président de la République, chef de l’Etat, à la cérémonie solennelle d’investiture de S.E. Nana Addo Dankwa Akufo, président de la République du Ghana, et au 27ème Sommet Afrique-France à Bamako au Mali».
La communication, fût-elle belle ou bonne, ne remplacera jamais l’action
Le compte-rendu du Conseil des ministres du 25 avril 2017 est le plus beau dans le genre. Tout d’abord, il «salue les efforts (une fois, ndlr) de Son Excellence Ali Bongo Ondimba, président de la République, chef de l’Etat, président en exercice de la CEEAC, pour les efforts (deux fois, ndlr) inlassables qu’il mène dans le cadre de l’intégration sous-régionale». Puis, «sur un tout autre plan, le Conseil des ministres a tenu à rendre hommage à Son Excellence Ali Bongo Ondimba, président de la République, chef de l’Etat, pour l’honneur fait une nouvelle fois aux femmes lors de la célébration de la Journée nationale de la femme». Enfin, plus loin, «le Conseil des ministres s’est félicité du démarrage de la deuxième phase dite «phase politique» du Dialogue Politique initié par Son Excellence Ali Bongo Ondimba, président de la République, chef de l’Etat». Les comptes-rendus des séminaires gouvernementaux sont souvent encore plus dithyrambiques. On croirait se trouver sous le parti unique où il devait être reconnu au grand timonier des actions et des réalisations et lui en rendre grâce. Les pays démocratiques, eux, évitent de consacrer un omniscient parfait et irréprochable.
Cette volonté permanente de s’auto-congratuler peut donner à penser à de l’autosatisfaction permanente. Elle est révélatrice d’une certaine immaturité, alors que le bon sens aurait commandé une certaine humilité des gouvernants dans le contexte économique et social que connaît actuellement le Gabon, au moment où les mauvaises nouvelles se ramassent à la pelle, et au moment où les experts du gouvernement et de l’administration travaillent, de leur propre aveu, avec «le frein à la main». Un brin intrigués par tant d’autosatisfaction, les Gabonais se demandent toujours s’ils vivent dans le même pays que leurs dirigeants. Les conflits sociaux épuisent le pays, la crise économique cause tant d’impayés (dette intérieure, subventions étatiques, émoluments de salariés,…), la crise post-électorale inachevée ne permet pas au pays d’atteindre ses objectifs. Pourtant, les gouvernants versent dans l’autosatisfaction, une autosatisfaction de mauvais aloi… Les ministres félicitent, se réjouissent, rendent hommage et saluent l’action du président du Conseil des ministres…
L’autosatisfaction quand «Makaya» estime que «rien ne tourne, il faut avoir l’honnêteté de le reconnaître» ?
Pendant ce temps, certaines voix s’élèvent pour dénoncer le peu d’entrain des dirigeants. Tout récemment publié, un billet Makaya du quotidien progouvernemental L’Union estime que «rien ne bouge, rien ne se fait, rien ne tourne». Quand rien ne tourne, peut-on s’autocongratuler ? Quand rien ne bouge, doit-on verser dans l’autosatisfaction ? Quand rien ne se fait, comment peut-on se permettre de se féliciter ? Le billet Makaya de L’Union s’est interrogé pourquoi tant de chantiers ouverts ou lancés ne vont pas à leur terme. Alors, face à un tel bilan, doit-on se satisfaire de si peu ? Quand à Abidjan, on parle de métro, qu’à Dakar, on va inaugurer dans deux ans un train express, et qu’à Libreville, on a du mal à faire fonctionner les bus de Sogatra durant deux mois consécutifs, y a-t-il vraiment matière à se réjouir ?
En fait, la communication – fût-elle belle ou bonne – ne remplacera jamais l’action. Or, c’est sur les chantiers de l’action que tout peuple attend ses dirigeants. On juge les gouvernants sur deux critères essentiels : leur capacité à transformer le pays et à le préparer pour le futur. Ceux d’aujourd’hui en sont-ils capables ? Comme dirait à ses élèves le professeur de Français de la classe de 4e au Collège Bessieux, «dans vos comptes-rendus, allez à l’essentiel, Messieurs»…