Tel que libellé, le décret du président de la République – n°00375 du 28 décembre – qui convoque le Congrès du Parlement en vue de l’examen et adoption du projet de révision de la Constitution, brûle les étapes préalables à cette assemblée parlementaire extraordinaire et viole la Constitution en vigueur. De ce fait, la modification dudit décret «paraît incontournable si l’on veut faire bonne figure grâce à une façade qui s’approcherait du droit», estime, à travers la tribune libre ci-dessous, le Dr Séraphin Moundounga, président de l’ONG UNITE, par ailleurs ancien vice-Premier ministre, ministre de la Justice, Garde des Sceaux.
Pour Séraphin Moundounga, «il n’est pas exclu que les Sénateurs et Députés soient sommés de passer outre les dispositions de la Constitution, qui, elle-même, n’est pas à l’abri d’une lecture volontairement biaisée pour assouvir l’obsession tyrannique.» Ici, le palais Omar Bongo, siège du Sénat. © senatgabon.com
Le Dr Séraphin Moundounga, ancien vice-Premier ministre, ministre de la Justice, Garde des Sceaux, président de l’ONG UNITÉ. © D.R.
Les étapes préalables au Congrès du Parlement sont insusceptibles de finalisation(A) pour imparfaite détermination de l’ordre du jour de la session extraordinaire, si celui-ci n’est pas modifié (B).
A – Les prochaines étapes de la révision constitutionnelle préalablement au Congrès du Parlement.
Au moment où l’Assemblée nationale intérimaire et le Sénat clôturaient la dernière session ordinaire 2017, le vendredi 29 décembre dernier, le projet, en débat, de révision constitutionnelle, était en examen au sein d’une commission ad hoc mise en place par la Commission des lois du Sénat, après que la première Chambre du Parlement l’ait adopté en première lecture.
Les étapes suivantes sont fonctions d’un vote du Sénat d’un texte identique à celui de l’Assemblée nationale (1) ou non identique au vote des Députés(2).
1– Les étapes avant Congrès en cas d’identité de textes.
Une fois la commission ad‘ hoc du Sénat aura terminé son examen, elle dresse un rapport à la Commission générale des lois. Cette dernière examine ce travail et prend en compte ou pas ses recommandations dans un rapport tirant des conclusions à soumettre à la réunion de tout les Sénateurs réunis en séance plénière publique ou à huis clos puisque c’est la mode, dans le cadre d’une première lecture.
Cette première lecture sénatoriale ne peut donner lieu à un texte identique à celui de la première lecture des Députés, que s’il en ressort ainsi dans le rapport de la Commission des lois, en phase ou en indifférence avec la Commission ad‘ hoc.
En effet, si la Commission générale n’est pas tenue de suivre les recommandations d’une commission ad hoc, celle-là, quoique insouveraine, ne saurait voir ses conclusions modifiées par une plénière souveraine, sans préalablement revenir à elle-même, ladite Commission générale, en application de l’article 59 alinéa 2 de la Constitution en vigueur.
Mais lorsque les Députés ont apporté des modifications au projet gouvernemental, comme c’est le cas avec l’Assemblée nationale intérimaire qui a édulcoré un peu le projet du Gouvernement sortant, il est fréquent et voire une manifestation d’existence que les Sénateurs apportent leur pierre à la construction de l’édifice. Cette perspective est d’autant probable que le Sénat reste la seule institution élective légitime du Gabon depuis plus d’un an.
Une telle évolution plausible amènerait le Sénat à voter un texte non identique à celui de l’Assemblée nationale; ce qui induirait des nouvelles étapes dans les deux Chambres.
2- Les nouvelles étapes induites par un vote non identique au Sénat.
Le Président de la République sortant n’est plus compétent, avec son Gouvernement d’expédition des affaires courantes, pour engager l’Etat encore moins modifier le statut dudit État mais tentent le faire par un passage en force constitutif de crime de haute trahison (supra).
L’Assemblée Nationale, quoique sans légitimité populaire, a essayé de redistribuer les pouvoirs de l’Exécutif entre le Chef de l’Etat et le Chef du Gouvernement même si celui-ci reste à l’écart de la détermination de l’ordre du jour et de la convocation du Conseil des Ministres même en cas de cohabitation.
Le Sénat qui est la seule institution à avoir une existence légitime et légale pourra-t-elle aller un plus loin que les Députés ?
Si le Sénat apporte quelques amendements à la révision constitutionnelle au lieu d’être une Chambre d’enregistrement au regard du prochain renouvellement des collectivités locales, le texte ne sera pas adopté en des termes identiques à ceux de l’Assemblée nationale.
Dans cette situation, le dernier mot à l’Assemblée nationale, de l’alinéa 3 de l’article 58a de la Constitution, n’étant pas concevable dans un domaine qui nécessite un consensus ou un quorum élevé et une majorité très qualifiée, la Commission mixte paritaire de l’alinéa 2 du même article 58a sera la seule issue.
Après que la Commission mixte, composée, à parité, du même nombre de Députés et de Sénateurs, se sera accordée sur un texte commun ayant élagué tous les points de désaccord, entre les deux Chambres, il reviendra à chacune d’elle de se réunir en séance plénière, séparément, pour s’approprier le texte de la Commission mixte partenaire, avant que le projet de loi de révision constitutionnelle ainsi modifié ne soit soumis à avis de la Cour constitutionnelle.
Mais avec ou sans Commission mixte, c’est-à-dire avec texte identique ou pas en première lecture, l’un ou l’autre des deux processus d’étapes préalables à la réunion des Chambres du Parlement en Congrès, requiert impérativement que cela soit expressément lisible dans l’ordre du jour de la session extraordinaire ; ce qui n’est pas le cas dans le décret 00375 du 28 décembre 2017 et dont la détermination imparfaite dudit ordre du jour est de nature à paralyser la réunion du Congrès, dans un État de droit, si un décret modificatif ou rectificatif n’est pas pris.
B- Une réunion du Congrès du Parlement paralysée pour une détermination imparfaite de l’ordre du jour de la session extraordinaire.
Si pour les deux sessions ordinaires, l’ordre du jour à l’Assemblée nationale comme au Sénat est fixé par l’instance appelée Conférence des Présidents (Bureau de la Chambre, Présidents et Vice-Présidents de Groupe Parlementaire ainsi que Présidents et Vice-Présidents de Commission générale), pour l’ordre du jour d’une session extraordinaire, l’article 43 dispose : « Les Chambres du Parlement se réunissent en session extraordinaire […] pour un ordre du jour déterminé […] ».
Or si le décret 00375 du 28/12/2017 fixe l’ordre du jour du Congrès, il ne le fait pas pour les étapes préalables à celui-ci (1) ; ce qui paralyse l’activité parlementaire en la matière si cet ordre du n’est pas corrigé (2).
Un décret fixant l’ordre du jour du Congrès sans celui d’étapes préalables.
Un ordre du jour déterminé signifie qu’il n’est pas indéterminé. Cela signifie également qu’il n’est pas imprécis ni implicite ni encore qu’il soit à déduire comme conséquence d’un fait ou d’un élément initial. Or l’article 2 du décret convoquant la session extraordinaire dispose : « Au cours de la session extraordinaire […], le Parlement sera réuni en Congrès conformément [… à] l’article 116 de la Constitution sur l’ordre du jour suivant : examen et adoption du projet de révision de la Constitution ».
Un tel libellé de l’ordre du jour ne concerne que le Congrès qui n’occupera qu’un seul jour et passe sous silence les autres aspects du travail parlementaire, pour une session extraordinaire qui dure 15 jours mais sans ordre du jour.
Cette formulation est acceptable si les deux Chambres du Parlement étaient parvenues à un texte identique avant la fin de la session ordinaire ; ce qui n’est pas le cas.
Ensuite, lorsqu’on donne au Congrès du Parlement la double compétence d’examiner et d’adopter le projet de révision constitutionnelle, on viole la Constitution car si le Constituant confère audit Congrès la prérogative de voter, pour ou contre, le texte commun aux deux Chambres, il n’est pas possible de procéder à un examen à ce stade. C’est le sens du terme «adoption» qu’on trouve aux alinéas 5 et 6 de l’article 116 de la Constitution. Il s’agit d’une adoption sans débat, celui-ci étant épuisé dans chacune des Chambres.
Ne peuvent être possibles, conformément au règlement intérieur du Congrès, que des interventions d’explication de vote de la part des groupes parlementaires. Il faut donc extirper du libellé de l’ordre du jour du Congrès, le substantif « examen » sauf si, sous les tropiques, un décret serait susceptible de modifier une disposition constitutionnelle !
Quid de l’ordre du jour des étapes avant-Congrès ?
Rien n’est dit car l’ordre du jour manque un deuxième tiret qui y serait consacré.
Si ces étapes préalables ne se déroulent pas, le Congrès du Parlement ne peut être réuni et la révision constitutionnelle serait paralysée; d’où nécessité d’un correctif de l’ordre du jour.
– Une révision constitutionnelle paralysée sans rectification de l’ordre du jour de la session extraordinaire.
Dans le silence de l’ordre du jour à l’article 2 du décret 00375 du 28/12/2017, la commission ad hoc du Sénat ne peut se réunir pour parachever son travail, pas plus que ne peut se réunir la Commission des lois ayant confié mandat à cette commission ad hoc et encore moins la séance plénière du Sénat, pour son vote, en première lecture, d’un texte, identique ou pas à celui de l’Assemblée nationale.
La modification du décret 00375 paraît incontournable si l’on veut faire bonne figure grâce à une façade qui s’approcherait du droit.
Non seulement cette modification élaguerait le mot « examen » en début du tiret unique de l’article 2 du décret susmentionné, mais procèderait à une réécriture de l’ordre du jour du Congrès en un point générique ou en deux points distincts.
En deux points, la session extraordinaire porterait sur l’ordre du jour suivant :
– poursuite des travaux des deux Chambres en vu de l’adoption d’un texte identique du projet de révision constitutionnelle ;
– réunion du Congrès en vu de l’adoption du projet de révision constitutionnelle.
En un point générique et unique, la session extraordinaire du Parlement porterait sur l’ordre du jour suivant : révision constitutionnelle conformément aux dispositions de l’article 116 de la Constitution.
Mais comme le Gabon marche sur la tête depuis le 31 août 2016, il n’est pas exclu que les Sénateurs et Députés soient sommés de passer outre les dispositions de la Constitution, qui, elle-même, n’est pas à l’abri d’une lecture volontairement biaisée pour assouvir l’obsession tyrannique.
Fait, à titre de vœux de nouvel an à tout combattant pour la libération nationale, ce premier jour ouvrable de l’année nouvelle, le mardi 02 janvier 2018.
Le Dr Séraphin Moundounga