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Le Gabon prend le risque de rompre le contrat le liant à Veolia

La filiale gabonaise de la multinationale française, seule entreprise à distribuer l’eau et l’électricité dans le pays, se dit victime d’une « expropriation brutale ».

Par Christophe Châtelot et Jean-Michel Bezat

Des militaires et des policiers sont intervenus sans prévenir, vendredi 16 février, au siège de la Société d’énergie et d’eau du Gabon (SEEG), filiale de Veolia, à Libreville, et en ont expulsé les dirigeants pour signifier que « l’Etat a mis fin à la convention de concession » le liant à cette entreprise, détentrice du monopole de la distribution de l’eau et l’électricité dans le pays. Après cette « expropriation brutale » et « manu militari », le géant français de l’environnement a annoncé qu’il « examine les conséquences juridiques de cette situation et attend du Gabon qu’il se conforme aux règles de droit et à ses engagements ».

C’est sans doute une page qui se tourne. Veolia est implanté depuis 1997 au Gabon, où il est l’employeur et l’investisseur français le plus important après le groupe pétrolier Total. Le ministre gabonais de l’énergie et l’eau, Patrick Eyogo, a justifié la rupture du contrat par la nécessité de « préserver la continuité et la qualité du service public ». Malgré les critiques récurrentes du gouvernement et des consommateurs, la concession avait pourtant été reconduite pour cinq ans en mars 2017.

Le Gabon et la multinationale se renvoient la responsabilité dans un dossier politiquement sensible. Les Gabonais ne pleureront pas sur Veolia. Les coupures d’eau et les délestages sur le réseau électrique sont très fréquents. Certains usagers se plaignent de recevoir des factures pour de l’eau qu’ils n’ont pas consommée. Ou d’attendre de longs mois pour obtenir la pose d’un compteur d’eau ou d’électricité. Ils reprochent à Veolia d’avoir sous-investi alors qu’il dégageait de confortables profits de son activité au Gabon.

Des millions d’impayés réclamés

Des accusations rejetées par le porte-parole du groupe. Il assure que Veolia a investi quatre fois plus que ne le stipulait le contrat de 1997, soit plus de 500 millions d’euros en vingt ans, alors que l’Etat gabonais, propriétaire des infrastructures (barrages, canalisations, centrales électriques, lignes à haute tension) n’a pas respecté son engagement de les développer. Comment dédouaner un Etat qui a encaissé durant des décennies des centaines de milliards de pétrodollars très injustement répartis entre les 2 millions de Gabonais ?

Au-delà des critiques des consommateurs, « il existait également un profond désaccord entre l’Etat et la filiale de Veolia », souligne Jean-Gaspard Ntoutoume Ayi, un économiste proche de Jean Ping, principal opposant au président Ali Bongo. « Le principal point d’achoppement concerne les arriérés de paiement de l’Etat vis-à-vis de la SEEG », rappelle cet inspecteur des finances sorti de l’ENA, qui juge cette réquisition « pour le moins cavalière ». Fin 2016, déjà, le directeur général de la SEEG réclamait 100 millions d’euros d’impayés ; le ministre de l’eau n’avait reconnu qu’une cinquantaine de millions de dette.

« L’Etat s’est arrêté d’investir dans le secteur pendant la première décennie des années 2000 [où le prix du pétrole a flambé], confirme l’analyste économique gabonais Mays Mouissi dans un entretien à La Tribune Afrique. L’investissement a repris entre 2010 et 2015, mais de façon insuffisante et des barrages en construction ou en projet, comme une grande usine d’eau potable proche de Libreville, ne sont jamais entrés en service.

« Un très mauvais signal »

La brutale rupture de contrat avec Veolia est aussi « un très mauvais signal envoyé aux investisseurs étrangers potentiels », regrette M. Ntoutoume Ayi. Cette décision « exceptionnelle et risquée » rappelle le précédent du Transgabonais, une ligne de chemin de fer destinée pour l’essentiel au transport de minerais exploitée par le groupe belge Transurb. L’affaire s’était dénouée en 2010 devant le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements. Ce tribunal arbitral de la Banque mondiale avait condamné le Gabon à 184 millions d’euros au profit de l’investisseur évincé.

« Je crains que les autorités gabonaises n’aient pas pris toute la mesure de leur décision », conclut M. Ntoutoume Ayi. Notamment leur capacité à gérer l’approvisionnement en eau et en électricité du pays alors qu’elles ne peuvent se substituer du jour au lendemain à un opérateur spécialisé comme Veolia. L’urbanisation mal maîtrisée, notamment dans la capitale Libreville, freine la construction d’infrastructures rendues nécessaires par l’accroissement de la population de plus de 2 % par an. La chute des prix du pétrole à partir de 2014 a aussi plongé le pays dans la crise. En octobre 2017, l’agence de notation Fitch a dégradé sa dette de B + à B, un pallier de plus dans la catégorie spéculative, en raison de ses arriérés intérieurs, de sa dette extérieure et de sa situation budgétaire.

Le Monde.fr avec AFP Le 19.02.2018 à 10h53 • Mis à jour le 20.02.2018 à 12h04

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