Contraint à la démission par la Cour constitutionnelle, il a finalement été reconduit par le président. De l’organisation des législatives au plan de relance économique, le Premier ministre gabonais défend mordicus son action.
Nommé en septembre 2016 à la primature, au lendemain de la réélection contestée du président Ali Bongo Ondimba, Emmanuel Issoze Ngondet savait qu’il était voué à recevoir des coups. Ce diplomate a fait le dos rond quand il a été pilonné par l’opposition. Une partie de celle-ci a d’ailleurs finalement accepté de prendre part au dialogue politique qu’il conduisait.
La dernière avanie en date a toutefois été rude : il a été contraint par la Cour constitutionnelle de démissionner. Mais ce politicien madré de 57 ans, passé par les ministères du Budget et des Affaires étrangères, a été reconduit dans ses fonctions par le président, dont il est un proche.
Jeune Afrique : Le 30 avril, la Cour constitutionnelle a renvoyé les députés à la maison, estimant que le gouvernement était incapable d’organiser les élections législatives dans les délais impartis. Comment cela a-t-il été possible ?
Emmanuel Issoze Ngondet : Le gouvernement nommé le 21 août 2017, à l’issue du dialogue politique, avait pour mission de traduire dans l’ordre juridique les décisions arrêtées lors de ces assises. Conscient que les délais étaient courts, nous nous sommes tout de suite attelés à rédiger le projet de loi modifiant certaines dispositions de la Constitution. Nous devions le faire voter lors de la session parlementaire consacrée en principe à l’examen de la loi de finances.
Mais, dans ce contexte, l’Assemblée nationale, qui était débordée, n’est parvenue à envoyer le texte au Sénat qu’à la fin de décembre. Trop tard aussi pour ce dernier, qui n’a pu boucler l’examen du texte avant le terme de sa session. Cela nous a contraints à organiser une session extraordinaire assortie d’une commission mixte paritaire pour permettre aux deux chambres d’adopter un texte identique.
Au lieu d’évaluer le bilan du gouvernement, certaines personnes ont fait de moi une cible
Pourquoi a-t-on tant tardé à mettre en place le Centre gabonais des élections (CGE) ?
La session parlementaire étant achevée, le gouvernement n’avait d’autre choix que de légiférer par ordonnance pour adopter les autres textes, notamment ceux relatifs au CGE. Et les partis politiques ont attendu la mi-avril pour en désigner les membres. Le délai du 30 avril fixé par la Cour constitutionnelle pour la législature en cours n’a pas pu être respecté. J’ai saisi la Cour pour solliciter la meilleure interprétation possible de ce que prévoit notre Constitution dans ce cas. La suite est connue : elle a constaté la vacance de l’Assemblée nationale et en a tiré les conséquences.
Vos détracteurs ont estimé que le gouvernement était incompétent !
La décision de la Cour a suscité un certain nombre de commentaires parfois injurieux à l’endroit du gouvernement et de ma personne. Ils étaient le fait de personnalités que je ne nommerai pas ici, qui étaient notoirement en mission. Au lieu d’évaluer le bilan du gouvernement, ils ont fait de moi une cible. Ces pratiques n’honorent pas la classe politique.
Le président vous a donc confié le soin de reformer un nouveau gouvernement, désormais responsable devant lui. L’opposition dénonce un « coup d’État institutionnel ». Que lui répondez-vous ?
Cette accusation outrancière traduit chez certains acteurs la volonté de faire perdurer la situation délétère qu’ils entretiennent au Gabon depuis la présidentielle. Ils ont essayé de faire croire à la population que la Cour avait outrepassé ses compétences alors qu’elle n’a fait qu’assumer ses responsabilités. J’ai assumé les miennes en déposant ma démission.
C’est la participation qui va crédibiliser notre processus électoral
Le président vous a aussitôt reconduit…
Oui, coupant court au procès en incompétence intenté par certains. Car qui apprécie en définitive le travail fait par le Premier ministre si ce n’est le président lui-même ? Et cela sur la base des missions qui lui sont confiées. La confiance qu’il vient de m’accorder dément l’idée que mon gouvernement est composé d’incompétents. Et je l’en remercie.
Mais plusieurs poids lourds ont été remerciés, dont Paul Biyoghe Mba, Pacôme Moubelet, Blaise Louembe…
La classe politique a besoin d’être renouvelée. D’ailleurs, le chef de l’État a consacré ce septennat à la jeunesse. Dès lors, il était tout indiqué que de nouvelles figures arrivent et que des personnalités plus expérimentées quittent l’équipe.
Vous avez nommé plusieurs ministres issus de l’opposition. Quel signal souhaitiez-vous envoyer ?
Cette ouverture est le signe que nous sommes sur la bonne voie. Nous devons organiser des législatives avec la participation le plus large possible. C’est elle qui va crédibiliser notre processus électoral et fera adhérer la population aux résultats des urnes.
Le plan de relance économique a été élaboré pour répondre à la crise qui frappait les pays de la sous-région depuis 2014
Y aura-t-il un partage des circonscriptions avec les partis d’opposition qui vous ont rejoints ?
Les partis qui composent la Majorité républicaine et sociale pour l’émergence sont connus, et c’est avec eux que nous travaillons. Nous verrons s’il y a lieu de faire des tickets ou de présenter le parti qui aura les meilleures chances de victoire. Mais certains des partis qui sont récemment entrés au gouvernement se réclament toujours de l’opposition…
Avez-vous peur de perdre les législatives, comme le dit l’opposition ?
Non, nous n’avons peur de rien ni de personne. Il est vrai qu’aucune élection n’est gagnée d’avance. mais nous disposons sur le terrain d’hommes et de femmes capables de nous conférer une confortable majorité parlementaire. Au sein du PDG, les instances provinciales et les responsables locaux ont été renouvelés par un vote démocratique. Ils ont la légitimité nécessaire.
En quoi consiste le plan de relance économique (PRE) que vous pilotez ?
Ce plan a été élaboré pour répondre à la crise qui frappait les pays de la sous-région depuis 2014. Il a quatre axes : l’assainissement des finances publiques, avec l’objectif de rééquilibrer le déficit budgétaire ; la diversification de l’économie, avec la nécessité de renforcer les filières hors pétrole pour qu’elles augmentent leur contribution ; l’amélioration du climat des affaires, pour rendre le pays plus attractif ; la lutte contre la pauvreté.
Au bout d’un an, quel bilan tirez-vous ?
Nous l’avons évalué, et cela a fait ressortir des avancées et des aspects à améliorer. Nous y travaillons. Chaque ministre va recevoir une feuille de route claire pour accélérer sa mise en œuvre.
Les fonds d’initiatives départementales vont permettre de financer des projets collectifs qui peuvent avoir un impact réel sur la vie des populations
Le PRE prévoyait des contrats aidés pour les jeunes. Cela fonctionne-t-il ?
Les résultats sont encourageants. Mais donnons-nous du temps pour rendre publics les chiffres. Nous incitons les entreprises à user de ce dispositif avantageux en matière d’exonération de charges patronales. Elles peuvent aussi obtenir un crédit d’impôt en fonction du nombre d’emplois créés, au terme de l’année fiscale.
Le président a annoncé la mise en œuvre d’un fonds d’initiative départementale. Qu’en est-il exactement ?
C’est une initiative qui accorde aux 48 départements du pays une enveloppe budgétaire de l’ordre de 1 milliard de F CFA (environ 1,5 million d’euros) chacun. Ces fonds vont permettre à ces unités administratives de financer des projets collectifs qui peuvent avoir un impact réel sur la vie des populations.
Ne craignez-vous pas des détournements massifs, à l’instar de ceux qui ont discrédité les fêtes tournantes ?
Nous avons pris des précautions pour que cela ne se reproduise pas. Le mécanisme d’identification des projets est différent. Le processus de décaissement des fonds et les contrôles aussi.
Le partenariat entre notre pays et les institutions financières internationales s’intensifie
Il était question de payer la dette intérieure. Où en est-on ?
Le président a demandé au gouvernement de procéder de façon progressive à l’apurement de la dette. Deux mécanismes ont été mis à contribution. Le premier à travers la loi de finances, notamment les budgets 2016, 2017 et 2018, qui prévoient une dotation destinée à couvrir le paiement de la dette. Le second fonctionne parallèlement, à travers le groupe d’intérêt économique Le Club de Libreville, avec lequel nous avons signé une convention d’apurement de la dette. Affiner ces procédures a pris du temps. Et c’est maintenant à la banque qui a été retenue [BGFIBank] de mobiliser les fonds. Mais ces retards ne sont pas de nature à compromettre cette initiative.
Est-il vrai que le FMI s’est opposé à cette initiative ?
Non, le FMI nous avait accordé des appuis budgétaires au terme de sa première revue. Ces fonds – 552 millions de dollars – nous ont permis de régler une partie importante de notre dette extérieure, rétablissant ainsi la confiance avec nos partenaires.
Le Gabon n’est-il pas perçu comme un pays à risque par les investisseurs ?
Non, malgré la crise, le Gabon reste attractif. D’abord, le partenariat entre notre pays et les institutions financières internationales s’intensifie. Cela nous incite à améliorer le climat des affaires. Nous constatons aussi un afflux important d’investisseurs privés étrangers.
Nous ne pouvons pas continuer de fermer les yeux face aux dérives des entreprises
Le groupe français Veolia dénonce des pratiques abusives à la suite de son éviction de la Société d’énergie et d’eau du Gabon (Seeg)…
Il n’existe aucune volonté d’entraver les investissements français. Il y a plus de 125 entreprises françaises établies chez nous. Mais nous les invitons à se conformer à la loi et à s’adapter aux mutations de notre pays. Nous passons d’une économie fondée sur l’extraction et l’exportation des ressources naturelles à une économie diversifiée, privilégiant la transformation. Nous ne pouvons pas continuer de fermer les yeux face à des dérives qui ne sont pas, du reste, l’apanage des seules entreprises françaises. Nous devons prendre les décisions qui vont dans le sens des intérêts nationaux.
Vous avez dû gérer une crise postélectorale pleine de rebondissements. On peut rêver mieux…
Après l’élection présidentielle de 2016, il fallait apaiser les tensions. Cela nous a pris quasi deux ans. Une partie de l’opposition nous a accompagnés. Une autre, plus radicale, est restée campée sur ses positions. Le dialogue a été utile car il a permis de moderniser nos institutions, de toiletter notre code électoral, de calmer les esprits et de créer ainsi les conditions nécessaires au développement de notre économie. Ces efforts ont conforté le chef de l’État et le gouvernement dans la conviction que rien ne passe avant la cohésion nationale.
Reste quand même un sentiment de gâchis…
En effet, on peut dire que ces deux années nous ont fait perdre du temps dans l’accomplissement de notre mission principale. Mais, malgré la crise, nous avons des atouts pour nous en sortir. Le gouvernement tient le bon bout.