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Ali Bongo aux Gabonais absents

Ali Bongo à Ayemi, au Gabon, en juin 2016, quelques semaines avant sa «réélection» contestée à la tête du pays. Photo David Honl. ZUMA. REA
Rumeurs et intox circulent dans le pays depuis l’accident vasculaire cérébral présumé du chef de l’Etat le 24 octobre. Une course à la succession semble s’engager au cœur du clan présidentiel, au pouvoir depuis plus de cinquante ans.

Mais pourquoi donc Sylvia a-t-elle changé mercredi sa photo de profil sur les réseaux sociaux ? Et pourquoi, désormais, l’épouse du président gabonais Ali Bongo affiche-t-elle une photo de son couple, en noir et blanc ? Voilà bien la dernière question qui agite les réseaux sociaux, prompts à relayer depuis dix jours toutes les rumeurs sur l’état de santé de l’homme fort du Gabon. La dernière en date peut bien sembler relever du pur registre «people» : le soupçon implicite de ce noir et blanc affiché par la première dame du Gabon, c’est bien un deuil caché. Lequel, dans l’immédiat, semble un peu prématuré.

Une chose est sûre : Ali Bongo, 59 ans, reste invisible depuis le 24 octobre. Arrivé la veille à Riyad, en Arabie Saoudite, il était l’un des rares dirigeants africains à assister au «Davos du désert», le Future Investment Initiative, organisé par le prince héritier Mohammed ben Salmane, en pleine tourmente après le séisme suscité par l’affaire Khashoggi. Et c’est le lendemain dans la matinée que le président gabonais aurait été soudain victime, non pas d’un simple «malaise» comme l’affirmera plus tard le porte-parole de la présidence à Libreville, mais bien d’un accident vasculaire cérébral (AVC), comme l’ont confirmé à Libération de multiples sources. L’une d’elle rappelle d’ailleurs qu’Ali Bongo avait déjà connu une attaque «tout début septembre, ce qui l’avait empêché d’aller assister à la cérémonie d’investiture du président malien, Ibrahim Boubacar Keïta, à Bamako».

Table d’opération

Mais cette fois-ci, le «malaise» semble bien plus grave. Et nombreux sont les observateurs gabonais ou étrangers qui confirment, en off, que le président gabonais, opéré après son transfert en urgence à l’hôpital roi-Fayçal à Riyad, pourrait ne pas en sortir indemne. Serait-il «aveugle et tétraplégique» comme le soutiennent certains ? «Maintenu dans un coma artificiel», comme le soulignent d’autres ? Impossible de trancher, alors même que l’opacité entretenue par les tenants du régime à Libreville renforce les rumeurs les plus alarmantes.

Après quatre longs jours de silence, les autorités sur place ont finalement admis le 28 octobre «une fatigue sévère». Depuis, c’est silence radio du côté du Palais du bord de mer, l’immense forteresse construite par Omar Bongo, au pouvoir pendant quarante et un ans, jusqu’à sa mort en 2009. Date à laquelle son fils Ali lui a alors succédé. Déjà, cette année-là, la maladie puis le décès d’Omar Bongo, à Barcelone, avaient donné lieu à une communication extrêmement verrouillée.

Mais c’était avant l’ère des réseaux sociaux qui décuplent les rumeurs face au silence. Or non seulement l’état de santé du Président ne fait plus l’objet d’aucun commentaire officiel depuis le 28 octobre, mais aucune photo ne filtre non plus, ouvrant ainsi la voie à un torrent de spéculations et de fake news. En début de semaine, on a ainsi vu, diffusées sur Twitter, des images truquées d’un corps supposé être celui d’Ali Bongo gisant sur une table d’opération. Images suivies dans la foulée, par une fausse interview attribuée à l’ambassadeur du Gabon en France, confirmant un pseudo-décès d’Ali Bongo. Deux jours plus tard, c’est un conseiller municipal de la ville de Lens qui en rajoute une couche, prétendant lui aussi savoir de source sûre que le président gabonais est bien mort.

L’hystérie est donc réelle, mais Sylvia Bongo ne l’entretient-elle pas elle aussi en ayant diffusé un tweet jeudi, accompagné d’une photo où seule la main d’Ali Bongo est visible ? Au-delà de cet emballement médiatique, une course contre la montre s’est peut-être déjà engagée au cœur d’un régime qui tient le pays depuis plus d’un demi-siècle. Non seulement Ali Bongo n’a pas de successeur évident, mais les conditions douteuses de sa réélection en août 2016, qui avaient plongé le pays dans une crise sans précédent, rendent toute transition imposée par ses proches assez compliquée. Réélu, officiellement, avec à peine plus de 5 000 voix d’avance au cours d’un scrutin contesté, y compris par les observateurs de l’Union européenne présents sur place, Ali Bongo n’a jamais été reconnu comme le «vrai» président par une partie de la population, encore traumatisée par l’assaut meurtrier livré au QG de son rival Jean Ping le 31 août 2016, à la veille de la proclamation des résultats.

Rupture de ban

Et comme souvent au Gabon, le rapport de forces qui se dessine désormais a des allures de drame shakespearien au sein duquel les liens familiaux tissent les alliances et rivalités possibles. Dans le rôle du challenger d’Ali Bongo à l’élection de 2016, on retrouve ainsi Jean Ping qui, à Libreville, se considère toujours comme «le président de la République élu». C’est aussi un homme du sérail en rupture de ban et «ex-beau-frère» de Bongo puisqu’il fut aussi le compagnon de Pascaline, sœur aînée d’Ali. Que compte faire Jean Ping désormais ? Muet depuis le début de cette crise, il n’est sorti de son silence, le week-end dernier, que pour inviter au «rassemblement» sans mentionner une seule fois le nom ou l’état de santé du Président.

Mais il est probable qu’il ne fera aucune démarche du côté du Conseil constitutionnel, en principe seul habilité à constater officiellement une vacance du pouvoir, temporaire ou définitive. La présidente de cette institution, qui avait validé les élections de 2016, est en effet une ancienne maîtresse d’Omar Bongo, dont elle a eu deux enfants. Au sein de l’opposition, Marie-Madeleine Mborantsuo reste donc considérée comme une indéfectible alliée du clan au pouvoir.

Un clan qui semble également divisé. Entre, d’un côté, le demi-frère d’Ali, Frédéric Bongo, un ancien de Saint-Cyr à la tête des services de renseignements et, de l’autre côté, l’actuel directeur de cabinet du Président, Brice Laccruche Alihanga, qui serait soutenu par Sylvia Bongo. Sauf qu’aucun d’eux n’a la légitimité ou la popularité pour s’imposer immédiatement à la tête du pays. Selon nos informations, Frédéric Bongo, qui se trouvait à Paris au moment de l’AVC de son frère à Riyad, aurait d’ailleurs tenté en vain de se faire recevoir à l’Elysée avant de repartir à Libreville… Les tenants du régime peuvent-ils au moins s’en remettre à la présidente du Sénat ? Selon l’article 13 de la Constitution, c’est bien elle qui doit assumer la transition en cas de vacance du pouvoir. Et Lucie Milebou-Aubusson, personnalité plutôt effacée, s’est jusqu’à présent toujours montrée fidèle à la dynastie régnante. Mais elle est aussi la belle-mère de Franck, le très discret fils de Jean Ping. Sera-t-elle fiable jusqu’au bout, au cas où le rapport de force bascule ?

Dérapages

Derrière cette ambiance digne des Borgia, il y a aussi la réalité d’un petit émirat pétrolier ruiné par une famille qui disposerait en France, d’un patrimoine immobilier d’une valeur de 47 millions d’euros, alors que les écoles de ce pays de deux millions d’habitants, «accueillent souvent plus de 100 élèves par classe, faute d’infrastructures», rappelait en août le site d’actualités Gabon Media Time. «Le pays n’a même pas les moyens d’organiser un nouveau scrutin présidentiel, tant les caisses sont vides», affirme un juriste proche de l’opposition. Le dernier scrutin, législatif et local, a certes eu lieu en octobre et s’est traduit par une nette victoire pour le parti d’Ali Bongo, alors qu’une fraction de l’opposition derrière Jean Ping avait appelé au boycott.

«Mais cette situation renforce le vide actuel du pouvoir, constate Alain Ogouliguende, un des représentants de la diaspora gabonaise en France. En raison de ces élections, l’Assemblée a été dissoute. Et même le Sénat n’a plus de légitimité puisqu’il doit être renouvelé avec les conseillers municipaux à peine élus.» Face à cet imbroglio aux dérapages imprévisibles, c’est donc vers la communauté internationale que se tournent, une fois de plus, comme après la présidentielle de 2016, ceux qui espèrent tourner la page des Bongo : «Nous avons saisi en février la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples sur le contentieux électoral de 2016. Mais aussi, en juin, l’Union africaine et le Conseil de sécurité de l’ONU. Nous attendons leur verdict qui permettrait, s’ils nous donnent raison, de refaire uniquement les élections dans les bureaux de vote contestés», explique le représentant de la société civile. Ces jours-ci, à Libreville, note un habitant, «il règne un calme inquiétant, tout le monde attend».

Maria Malagardis

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