REPORTAGE. Alors que la première dame vient de sortir de son silence avec un tweet de remerciements pour les « nombreuses prières et les messages de soutien », les Gabonais sont dans l’expectative.
PAR PIERRE-ERIC MBOG BATASSI , À LIBREVILLE
Il est 19 heures à Libreville ce mardi. Les travailleurs effectuent les dernières courses. Le trafic est encore fluide. C’est à ce moment qu’une vidéo peu ordinaire est postée dans les réseaux sociaux. Elle met en scène le journaliste Jean Pascal Ndong et le diplomate gabonais en poste à Paris, Flavien Onongoué. Celui-ci annonce sur le plateau de Gabon 24 le décès du président Bongo Ondimba le 31 octobre 2018. Panique générale à Libreville. Ça y est. C’est la folie dans les rues de la capitale. Les commerces ferment et chacun court vers son domicile. Les taximen garent leurs véhicules alors que d’autres personnes s’empressent déjà d’acheter des provisions, dans la perspective de jours critiques. Cette vidéo publiée sur YouTube et Facebook totalise plus de 83 000 vues dans les deux réseaux. Quelques heures auparavant, des messages circulant sur les réseaux demandaient aux Gabonais de rester chez eux, car « quelque chose de grave allait se passer dans la ville ». À 20 h 15, une coupure générale d’électricité d’une cinquantaine de minutes met en panique les Gabonais.
Les Gabonais inquiets
Pierre Ovono, taximan, raconte : « Nous avons vécu une cinquantaine de minutes pénibles ma famille et moi. Dès la coupure d’électricité, nous avons fermé la maison et on s’est mis à prier, afin que Dieu préserve le Gabon d’un sort tragique. On croyait que le coup d’État annoncé dans les réseaux sociaux était déjà en passe d’être réalisé. Nous avons cru que les militaires avaient pris le pouvoir. Nous vivons dans le stress et personne ne sait exactement ce que sera le Gabon demain et ce qu’est devenu le président de la République. »
Plus les jours passent, plus les Gabonais s’interrogent sur l’avenir de leur pays et « le vrai état de santé » du patron qu’ils n’ont plus revu depuis bientôt deux semaines. « Nous avons l’impression qu’on nous cache la vérité et que le président est décédé. Il semble qu’on ait interdit aux membres du gouvernement de sortir du pays et personne ne sait ce qui se passe vraiment en ce moment. Si le chef de l’État est vivant, qu’on nous le montre et qu’il parle à la nation. Les activités sont en berne depuis quelques jours, car les gens vivent dans l’incertitude », souligne Jeanne Mihindou, commerçante au marché de Nkembo, dans le 2e arrondissement de Libreville.
Le 5 novembre 2018, le secrétaire général du parti démocratique gabonais, Éric Dodo Bounguendza, a dénoncé l’attitude cynique des opposants gabonais face à l’état de santé du président Ali Bongo : « Considérant la politique comme le dernier refuge des aventuriers, ces compatriotes ne cessent de s’abaisser par leur comportement dégradant et ignoble, et par leur expression, déshonorante et déraisonnable, à l’endroit du distingué camarade président, président de la République, chef de l’État, son excellence Ali Bongo Ondimba, ses proches et bien d’autres personnalités gabonaises. »
En effet, le secrétaire général du parti au pouvoir voulait condamner, sans le dire ouvertement, l’attitude du président de l’Union nationale Zacharie Myboto et du président de l’Arena, Richard Moulomba, lesquels ont dénoncé un déficit de communication sur la gestion du dossier de la santé du chef de l’État. La présidence gabonaise a parlé d’une « fatigue passagère », puis « sévère », alors que les réseaux sociaux et les médias internationaux, eux, parlaient d’AVC. En fait, pour l’opposition, il y a une volonté manifeste de dissimulation d’information de la part de l’exécutif.
La société civile met la pression sur l’exécutif
Dans la même veine, l’ONG Tournons la page Gabon a exigé le 7 novembre qu’un compte rendu journalier de l’état de santé du président de la République soit fait par le gouvernement. Elle a aussi demandé qu’une délégation gouvernementale se rende avec des représentants de l’opposition, de la société civile, du Sénat et de la Cour constitutionnelle au chevet du chef de l’État, et rende compte à la nation de son état de santé. Ce qui permettrait de mettre fin aux rumeurs qui perturbent actuellement le climat social au Gabon. Certains opposants plus pessimistes demandent déjà que la vacance du pouvoir soit constatée et que le processus de transition soit enclenché. Mais cette option, selon la présidente de la Cour constitutionnelle, Marie Madeleine Mborantsuo, n’est pas encore à l’ordre du jour.
Appel aux prières pour le rétablissement d’Ali Bongo
L’archevêque de Libreville, Monseigneur Basile Mvé Engone, a, lui, invité les curés à prier en vue du rétablissement de la santé du président de la République. Dans le même sens, les jeunes affidés au régime en place ont organisé le 3 novembre dernier une veillée de prières, assistés par les maîtres Bwiti, un rite traditionnel local. Le but des invocations, selon les initiés, était de demander aux esprits des ancêtres de faire en sorte que le président de la République rentre au Gabon sur ses deux pieds.
Dans une interview accordée à Jeune Afrique, le Premier ministre gabonais, Emmanuel Issoze Ngondet, a déclaré que le chef de l’État était toujours attendu à Paris le 11 novembre prochain au Forum sur la Paix où plus de 120 dignitaires étrangers, dont 60 chefs d’État et de gouvernement représentant les États belligérants de la Grande Guerre, les institutions européennes, les Nations unies et plusieurs autres organisations internationales, seront réunis à l’Arc de triomphe.
Tous les regards fixés au sommet de la paix
Beaucoup de Gabonais croisent les doigts et attendent de voir. « Si Ali Bongo ne participe pas au forum de Paris, nous allons exiger la vérité. Il faut que le suspense soit levé. Le peuple est inquiet. Le président de la République en exercice n’appartient pas à sa famille ou à ses amis, mais à toute la nation », a souligné Hervé Mapangou, membre du syndicat de Dynamique unitaire. Et de soutenir que les Gabonais ont le droit de savoir la vérité sur l’état de santé de leur président et que ceux qui gèrent les affaires courantes ont le devoir de communiquer, ne serait-ce que pour apaiser les esprits qui craignent un bouleversement brutal des institutions et des hypothèses chaotiques.
Dans ce déferlement de rumeurs, l’opposant Jean Ping est sorti de son silence le 3 novembre. En qualité de « président élu », il a appelé les Gabonais à la mobilisation, à la réconciliation et au rassemblement. Selon le professeur de philosophie et analyste politique Christ Olivier Mpaga, cet appel s’inscrit dans une logique de revendication du pouvoir dont l’ancien président de la Commission de l’Union africaine estime toujours être le dépositaire légitime du fauteuil présidentiel, puisque ce dernier se considère comme « le président élu » par les Gabonais lors du scrutin présidentiel de 2016. Un signal fort dans cette période d’incertitudes.