Comme si les forces sociales œuvrent «ensemble» depuis 2009, une affiche vante les vertus du rassemblement. Mais, la gouvernance actuelle s’éloigne toujours un peu plus des valeurs consignées dans la devise nationale tout comme elle rompt avec les fondamentaux de la démocratie.
Depuis son accession à la magistrature suprême, Ali Bongo s’est singularisé par une lecture partisane de la vie publique. Trois jours seulement après son investiture, il organisa une purge mémorable au sein de l’appareil d’Etat. S’ensuivit, la transformation de nombreuses administrations en établissements publics rattachés à la présidence de la République. Puis vint l’ère des «imberbes», caractérisée par des promotions au seul critère d’âge. Hors de toute considération administrative ou éthique, des personnalités en début de carrière ou aux états de service douteux se retrouvèrent ainsi au sommet de l’Etat. Depuis une semaine maintenant, une campagne de communication tente de réécrire cette séquence historique : «10 ans ensemble pour le Gabon», proclame l’affiche conçue pour la circonstance. C’est dire s’il convient de restituer les faits et d’évaluer la gouvernance actuelle à l’aune du pacte républicain.
De profonds stigmates
A minima, le pacte républicain renvoie aux valeurs consignées dans la devise nationale : Union – Travail – Justice. Pour coller aux défis de notre temps, on peut y adjoindre les fondamentaux de la démocratie : acceptation du principe de l’alternance ; inviolabilité des droits civils et politiques. Pour travailler «ensemble», il faut en faire un bréviaire. L’union ? Quelle entente volontaire, quelle conformité d’efforts et de moyens, quel but partagé, quand l’appartenance partisane prédomine ? Ou quand l’allégeance à un camp politique l’emporte sur le savoir-faire ? Le travail ? Quelle culture de l’effort et de la juste récompense quand le mérite importe peu ? Ou quand l’âge devient le seul élément d’appréciation ? La justice ? Quelle reconnaissance et quel respect pour les droits d’autrui quand on peut légiférer en opportunité ? Ou quand les relations sont envisagées sous l’angle du rapport de forces ? Sous couvert de rajeunissement ou d’une hypothétique rupture, la pratique politique d’Ali Bongo a sapé les fondements de la République.
Tout au long des 10 dernières années, le président de la République a été assimilé à un produit marketing, le citoyen au supporter, l’électeur au client, le projet politique à une stratégie commerciale et l’action gouvernementale à un plan de vente. Les charges publiques sont devenues des sinécures et leurs titulaires des sybarites. Cette conception hérétique de l’Etat s’est traduite par un évergétisme hors de saison : matches de football, course de motonautique, carnaval, fora divers et variés… Des années plus loin, on cherche toujours les retombées de ces évènements festifs et autres voyages de par le monde. On s’interroge encore sur la pertinence de certaines réformes. La Prime d’incitation à la performance (PIP) ? Tombée aux oubliettes. L’Agence nationale des grands travaux (ANGT) ? Au bord de l’asphyxie. Comme si l’action précédait la réflexion, l’appareil d’Etat a été balloté aux quatre vents. Aujourd’hui encore, il en garde encore de profonds stigmates.
Se satisfaire de demi-vérités
La démocratisation du pays a tout autant été compromise. Certes, le citoyen lambda continue de jouir d’une relative liberté de ton. Mais, la volonté de cadenasser le jeu politique n’a jamais été aussi forte. La dissolution de l’Union nationale, 10 mois seulement après sa naissance aux forceps, restera dans les annales comme l’un des moments marquants de cette période. Comptant alors sur l’aura de son regretté secrétaire exécutif, André Mba Obame, ce parti cristallisait les espoirs de changement. N’eut-été cette décision d’un rare cynisme politicien, il aurait sans nul doute obtenu des résultats probants aux législatives de décembre 2011. Mais, Ali Bongo avait besoin d’un Parlement monocolore, obéissant au doigt et à l’œil. Entre révisions constitutionnelles unilatérales et lois contraires à l’esprit de nos institutions, la XIe législature aura tout validé, y compris des ordonnances portant adoption de la loi des règlements.
Pourtant, une campagne de communication vante les vertus du rassemblement. Comme si les forces sociales œuvrent «ensemble» depuis 2009, elle fait même mine d’associer l’ensemble du pays aux 10 dernières années. Dans le meilleur des cas, il s’agit d’une omission trompeuse. Dans le pire, c’est de la communication mensongère. Pourtant, les quolibets entendus depuis de longs mois permettent de deviner les attentes d’une opinion demandeuse d’une gouvernance plus orthodoxe : sincérité et responsabilité. Pour mieux apprécier son bilan, le pouvoir en place gagnerait à intégrer ces principes dans sa grille d’évaluation. Autrement, il pourrait se satisfaire de demi-vérités, au risque de le découvrir bien trop tard.