Une vingtaine de personnes ont été interpellées, dont le porte-parole de la présidence et le patron de la compagnie pétrolière nationale.
Des interpellations en série jusqu’au sein de la présidence, un procureur débarqué, des millions d’euros « volatilisés »… Une vaste opération anticorruption rebat brutalement les cartes du pouvoir au Gabon.
Dans ce pays régulièrement pointé du doigt dans des affaires de détournement de fonds, un nouveau feuilleton politico-judiciaire a éclaté il y a quelques semaines. Celui-ci est d’une ampleur inédite car il touche l’entourage de l’ancien homme fort de la présidence gabonaise, Brice Laccruche Alihanga. Son limogeage, le 7 novembre, du poste de directeur de cabinet de la présidence d’Ali Bongo Ondimba, fonction qu’il occupait depuis plus de deux ans, a sonné le coup d’envoi d’une vague d’interpellations sur fond de soupçons de corruption et de malversations financières.
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Une vingtaine de personnes ont été interpellées, notamment l’ancien directeur général de la Caisse nationale d’assurance maladie, Renaud Allogho Akoue, et le directeur de la communication présidentielle, Ike Ngouoni, considéré comme le bras droit de M. Laccruche. Aujourd’hui simple ministre, M. Laccruche fait profil bas, alors qu’il n’avait cessé de gagner en influence depuis l’accident vasculaire cérébral du président Bongo, en octobre 2018.
« Il y a une vendetta politique »
L’étau semble en tout cas se resserrer avec la publication, mercredi 27 novembre, d’une double page dans le quotidien pro-gouvernemental L’Union affirmant que plus de 85 milliards de francs CFA (129 millions d’euros) se sont « volatilisés » ces deux dernières années au sein de la Gabon Oil Compagny, une entreprise publique gérée par un certain Patrichi Tanasa, proche de M. Laccruche, en garde à vue depuis lundi. L’enquête de L’Union cible notamment la Dupont Consulting Compagny, une société privée dont les administrateurs se trouvent être l’actuel ministre de l’énergie, Tony Ondo Mba, et le frère de M. Laccruche, Gregory Laccruche. Ce dernier a été interpellé mercredi, a indiqué à l’AFP une source proche du pouvoir.
Selon l’avocat Anges Kévin Nzigou, qui représente une dizaine de personnes placées en garde à vue, ses clients ne sont pas informés des motifs de leur incarcération. Et pour Boris Rosenthal, qui représente le porte-parole de la présidence, M. Ngouoni, cela ne fait aucun doute : « Il y a une vendetta politique. » Mais la présidence appelle, elle, à « dépolitiser » l’enquête. « Quelle que soit votre place, s’il y a des soupçons, il n’y a pas d’impunité. Maintenant, c’est à la justice de faire son travail, de trancher », affirme Jessye Ella Ekogha, qui remplace M. Ngouoni. Selon lui, il s’agit surtout de la suite de l’opération « Mamba », lancée en 2017 par le président pour lutter contre la corruption.
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Vendredi, Ali Bongo Ondimba a présidé un conseil extraordinaire de la magistrature, une première en dix ans au pouvoir. Dans la foulée, le procureur de Libreville, Olivier N’Zahou, a perdu sa place au tribunal de première instance de Libreville pour être envoyé comme avocat général à Franceville, à l’autre bout du pays. « Aujourd’hui, M. N’Zahou se cache car il est suivi et il a l’impression qu’on veut en finir avec lui », assure Me Nzigou, qui le représente également. Le Syndicat des magistrats du Gabon a d’ores et déjà averti qu’il « s’opposera à l’arrestation [d’un magistrat] si celle-ci n’est pas faite dans les règles ».
« Monarchisation » du Gabon
La présidence a également procédé à plusieurs changements à des postes clés des services de renseignement et de sécurité ces derniers jours.
Face à ce bouleversement de la vie politique gabonaise, une partie de l’opposition continue, elle, d’affirmer que le président Bongo n’est plus en capacité de diriger le pays. Le collectif d’opposants Appel à agir, qui demande une expertise sur la santé du président depuis mars, estime que « les impostures se succèdent à la tête du pays ». Il dénonce « une monarchisation » du Gabon, affirmant, comme la presse d’opposition, que les récents bouleversements témoignent du « pouvoir grandissant de l’épouse et du fils d’Ali Bongo ».
« Parler d’inaptitude alors que le président a présidé un Conseil supérieur de la magistrature il y a quelques jours ne peut être pris au sérieux », rétorque le porte-parole de la présidence par intérim.
« Nous n’avons pas encore suffisamment de recul pour comprendre ce qui se passe », avoue, perplexe, le politologue gabonais André Adjo : « Qui pouvait imaginer il y a quelques semaines que la situation allait évoluer ainsi ? »
Le Monde avec AFP