Il était perçu, depuis l’AVC du président Ali Bongo Ondimba, comme l’homme le plus puissant du Gabon mais il a été arrêté un an après, cible d’une vaste opération anticorruption. Au sommet du pouvoir, le Franco-Gabonais Brice Laccruche Alihanga, ex-directeur de cabinet de la présidence, semble s’être brûlé les ailes.
Sa fulgurante ascension politique a été stoppée net début novembre, quand, à la surprise générale, M. Laccruche, 39 ans, a été limogé du poste de directeur de cabinet du chef de l’Etat, qu’il occupait depuis plus de deux ans.
Sa révocation a marqué le coup d’envoi d’une vague d’interpellations touchant plus d’une vingtaine de ses proches pour des faits présumés de détournements de fonds publics. M. Laccruche a finalement été interpellé mardi, au lendemain d’un remaniement qui a acté son éviction du gouvernement où il occupait encore la tête d’un ministère sans pouvoir.
Après des années passées dans le privé, il s’engage en politique relativement tard, comme un des responsables les plus actifs de la jeunesse gabonaise soutenant Ali Bongo lors de la présidentielle de 2016, que le chef de l’Etat, au pouvoir depuis 2009, remporte au terme d’un scrutin très contesté par l’opposition et marqué, selon l’Union européenne, par un « manque de transparence ».
Remarqué à cette occasion par la famille Bongo, Brice Laccruche est nommé par le chef de l’Etat, un an plus tard, en août 2017, chef de cabinet de la présidence.
Le poste devient crucial en octobre 2018: le président, au pouvoir depuis 10 ans après avoir succédé à son père Omar Bongo, resté 42 années à la tête du Gabon, est alors considérablement affaibli par un accident vasculaire cérébral (AVC) et disparaît de longs mois, en convalescence au Maroc puis s’affichant en public à de très rares occasions mises en scène par un service de communication cornaqué indirectement par M. Laccruche.
En quelques mois, ce dernier place ses proches à des postes clefs au sein du gouvernement au gré de nombreux remaniements, des administrations publiques, et jusqu’à la tête des services de sécurité et de renseignement. Plusieurs caciques du régime sont évincés.
– « Des courbettes de ministres » –
« Les autorités administratives, politiques, les membre du gouvernement se sont couchés devant lui », affirme à l’AFP un ami de longue date de M. Laccruche, qui a souhaité garder l’anonymat.
« On a vu des ministres qui faisaient des courbettes, d’autres qui se faisaient rabrouer en public », décrit-il. Au même moment, l’opposition dénonce sa mainmise sur le pouvoir, assurant que M. Bongo n’est plus aux commandes.
A l’été 2019, M. Laccruche se lance dans une tonitruante « tournée républicaine » dans tous le pays, présenté comme le « messager intime » de M. Bongo. Loin du rôle et du rang d’un chef de cabinet.
Il harangue les foules, pose en costume local, instruments traditionnels à la main.
Lors de son dernier meeting début octobre à Libreville, debout sur la scène, il pointe du doigt des membres du gouvernement, assis en silence, et tonne: « Celui qui déconne, il sera sèchement écarté. Et à ceux qui ne sont pas contents, on leur dira: celui qui boude, il bouge ».
Une partie de la presse se déchaîne alors contre lui, et lui prête toutes les ambitions.
Lui n’a jamais caché sa fascination pour le pouvoir.
Dans un essai publié quelques semaines avant la présidentielle de 2016, il égrène la liste de ses modèles: Napoléon, Nicolas Sarkozy et Barack Obama en tête…
– « Le white, l’étranger » –
Il en profite pour répondre, déjà, à ceux qui voient sa montée en puissance comme une preuve de l’influence de l’ancienne colonie, la France, dans la vie politique gabonaise.
« Aux yeux de certains, j’étais et je reste encore le +white+, l’+étranger+ », écrit-il, mais lui se présente comme « un pur produit de l’école républicaine gabonaise ».
L’occasion, aussi, d’évoquer la « fin de l’aventure BGFIBank », groupe bancaire d’Afrique centrale dont il dirigeait la branche gabonaise en 2013 quand il a été remercié et entendu comme témoin dans une affaire de malversations.
« Une histoire abracadabrante » dans laquelle il a été « très rapidement innocenté », affirme-t-il dans un ouvrage.
Sans convaincre l’opposition. Notamment Jean Ping, candidat malheureux à la présidentielle de 2016. Mi-octobre, ce dernier estime qu' »un repris de justice » a profité de l’AVC du président et qu’un « Etat mafieux et prédateur a pris les commandes du pays ».
« Professionnellement, il a toujours été très investi, c’est quelqu’un de très brillant, de très intelligent », déclare à l’AFP son ami qui lâche: « sa grande faiblesse, dans tout son parcours, c’est d’avoir toujours été quelqu’un de pressé, dans les affaires comme en politique ».