«Il y aurait pu y avoir 10, 20 ou 25 fois plus de morts si nous n’avions pas agi comme nous l’avons fait», s’est défendu Donald Trump
Le New York Times en a fait sa une, frappante, ce week-end, déclinant à longueur de pages les noms et profils de milliers de victimes du coronavirus, compilant les notices nécrologiques de la presse locale, et anticipant le moment où les Etats-Unis allaient passer la barre fatidique des 100 000 morts du Covid-19. C’est désormais chose faite ce mercredi, selon le compteur de l’université Johns Hopkins. En moins de trois mois, depuis le premier décès du Covid-19 dans le pays fin février, soit une moyenne de plus de 1 100 morts par jour. De loin le plus touché en valeur absolue, les Etats-Unis comptabilisent près d’un tiers du bilan mondial des décès du Covid, et près de 1,7 million de personnes infectées. Le nombre de morts par habitant est lui plus bas aux Etats-Unis que dans plusieurs pays européens, dont le Royaume-Uni, la Belgique, l’Italie, l’Espagne ou la France.
Très critiqué pour sa gestion de la pandémie, après des semaines de contre-vérités et d’inertie, de problématiques liées aux équipements de protection ou aux capacités de test, et avec des messages peu lisibles ou tardifs sur les mesures de distanciation sociale, Donald Trump avait reconnu fin mars que les Etats-Unis pourraient déplorer «entre 100 000 et 200 000 morts» du Covid. «Il y aurait pu y avoir 10, 20 ou 25 fois plus de morts si nous n’avions pas agi comme nous l’avons fait», s’est défendu le président américain mardi après-midi, depuis la Maison Blanche. Répétant qu’il avait «sauvé des milliers et des milliers de vies» en décidant de fermer les frontières américaines.
Entrée interdite aux voyageurs venus du Brésil
Pour contrer les critiques sur son inaction, l’administration Trump met régulièrement en avant ses «travel bans», les interdictions de se rendre aux Etats-Unis pour les ressortissants étrangers venus de Chine, berceau de l’épidémie, mis en place début février, ou d’Europe depuis mi-mars. Dimanche, Trump a signé un nouveau décret interdisant cette fois l’entrée aux Etats-Unis aux voyageurs en provenance du Brésil, devenu le deuxième pays le plus touché par la pandémie de coronavirus, avec plus de 370 000 cas et 23 000 morts. «La décision d’aujourd’hui permettra de s’assurer que des étrangers qui sont allés au Brésil ne deviennent pas une source de contaminations supplémentaires dans notre pays», a déclaré la Maison Blanche.
La pandémie de coronavirus s’est répandue dans tout le pays, mais a particulièrement frappé les côtes, les grandes villes densément peuplées et le Midwest industriel. Soit les régions traditionnellement démocrates du pays: selon une analyse du New York Times publiée lundi, les comtés qui ont voté Trump en 2016 rapportent seulement 27% du nombre d’infections et 21% du nombre de morts, quand ils représentent 45% de la population. Les disparités sont immenses d’un Etat à l’autre: le Texas compte 5 morts pour 100 000 habitants, quand l’Etat de New York, le plus touché avec près de 30 000 morts, en compte 150 pour 100 000 habitants. Et dans une majorité d’Etats fournissant les données raciales, les Afro-américains ont un plus fort taux de mortalité que le reste de la population.
Comtés ruraux
Mais des foyers d’infection sont désormais présents dans les régions plus rurales. Selon l’Institute for Southern Studies, quatre des dix comtés rapportant les pires taux d’infection aujourd’hui sont des comtés ruraux du Sud des Etats-Unis. Hors des côtes et des grandes villes du pays, maisons de retraite, prisons et abattoirs sont les principaux foyers d’infection identifiés. Le comté de Trousdale, dans le Tennessee, compte aujourd’hui l’un des pires taux d’infection du pays. La majorité des malades du comté, 1 383 cas confirmés, viennent d’une prison privée, le Trousdale Turner Correctional Center.
L’inégalité dans l’accès aux tests d’un Etat à l’autre, ou l’augmentation des capacités dans certains Etats ces dernières semaines, rend difficile l’appréhension de l’évolution de la pandémie dans le pays. En l’absence de directive fédérale, les Etats ont avancé en ordre dispersé, créant un patchwork de mesures de confinement plus ou moins sévères. Et des variations dans la levée de celles-ci, faisant craindre une vague de contaminations dans certaines régions. «Il y a deux mois, deux tiers des nouveaux cas venaient de cinq Etats, notait dimanche sur Twitter Andy Slavitt, ancien conseiller santé de Barack Obama et l’un des instigateurs d’une campagne nationale de sensibilisation à la distanciation sociale. Ces Etats (Californie, Illinois, Massachusetts, New Jersey, New York) ont maintenu de fortes mesures de distanciation sociale. La semaine dernière, deux tiers des nouveaux cas venaient des 45 autres Etats.»
Réouverture de l’économie
A l’échelle du pays, le nombre quotidien de nouveaux cas de Covid-19 est en baisse, malgré l’augmentation globale des capacités de test. Les Etats-Unis rapportaient autour de 30 000 nouveaux cas par jour en avril; les chiffres s’établissent ces jours-ci autour de 22 000. Pour le troisième jour consécutif, mardi, les Etats-Unis ont déploré moins de 700 morts quotidiens du Covid-19. La baisse du nombre d’infections est continue dans la majorité des Etats. Et pour la première fois depuis fin mars, l’Etat de New York est passé en dessous des 100 morts quotidiens du Covid-19 samedi, avec 84 victimes. Mais le virus continue à circuler: une quinzaine d’Etats, de la Caroline du Nord au Tennessee en passant par le Wisconsin ou l’Alabama, voient ces jours-ci le nombre d’infections augmente.
La totalité des 50 Etats américains ont pourtant entamé depuis début mai la réouverture de leur économie, à des degrés divers selon la situation épidémiologique. Et la pression économique: la première puissance mondiale est passée, en trois mois, du plein-emploi au chômage de masse. Au dernier pointage, 40 millions d’Américains ont fait une demande d’allocation-chômage depuis mi-mars et la mise en place des mesures de confinement. Si certains Etats restent prudents, comme l’Illinois ou le New Jersey, d’autres, à l’instar du Texas et du Minnesota, ont commencé à rouvrir certains commerces et activités, alors que le nombre d’infections continue d’y croître. Et malgré les directives de la Maison Blanche, qui a fixé certains critères pour la réouverture, comme la baisse du nombre de cas de Covid-19 pendant au moins 14 jours consécutifs.
Isabelle Hanne correspondante à New York