Nommée au ministère de l’Emploi, de la Fonction Publique, du Travail, de la Formation professionnelle, chargé du Dialogue social, le 12 janvier 2019, Madeleine Berre a lancé un certain nombre de chantiers pour la réforme des entités sous tutelles. Dans cette interview accordée à Gabonreview, l’ancienne responsable du patronat gabonais, dresse un bilan à mi-parcours de ces rénovations en cours dans son département.
Gabonreview : Madame le Ministre, pouvez-vous nous faire un point sur les réformes menées par votre département ?
Madeleine Berre : Le Ministère de l’Emploi, de la Fonction Publique, du Travail, de la Formation professionnelle, chargé du Dialogue social, a initié de grandes réformes, parmi lesquelles, celle de la fonction publique en vue de sa performance et sa dynamisation, celle du Code du travail en vue de sa modernisation pour augmenter les emplois, et enfin celle de la Formation professionnelle. Les réformes au sein de la fonction publique ont été initiées sur la base de deux axes : un axe quantitatif et qualitatif sur les ressources humaines émargeant au budget de l’Etat. Le premier axe a été concrétisé par l’opération de recensement biométrique, le second par la concertation avec les partenaires sociaux, et leur participation aux enjeux de la réforme de la Fonction publique, notamment à travers le dialogue social et le forum de la Fonction publique.
Quelle est vraiment l’utilité du recensement biométrique des agents publics et surtout sa seconde phase boudée par certains syndicats ?
Le ministère a en effet entamé, en 2019, une opération de recensement biométrique sur l’ensemble du territoire national. Cette opération avait pour objectif essentiel, non seulement de procéder à la vérification effective des agents payés par le budget de l’Etat, mais également de recenser les données qualitatives de chaque agent public, dans le but d’avoir une cartographie des agents par catégorie, par département, afin d’obtenir une base de données fiable, capable de permettre au Gouvernement d’initier des actions pour une fonction publique performante. La particularité de cette opération réside dans l’approche qualitative qui a été retenue. Cette opération n’avait pas uniquement pour objectif d’obtenir un chiffre, mais bien plus, d’aboutir à une base de données qualitative dont les résultats ont été traités par la Direction Générale de la Statistique.
Dans cette perspective, l’opération s’est déroulée autour de deux phases. Une phase préalable de recensement qualitative, à partir d’une fiche de recensement remise à chaque agent par les Directeurs Centraux des Ressources Humaines (DCRH), sous la supervision des Secrétaires généraux, qui a permis de recueillir les données qualitatives des agents quant à leur situation administrative ; et la phase du recensement biométrique proprement dite.
Démarrée au mois d’août, elle s’est achevée en décembre 2019 et a permis de recueillir les premiers résultats intermédiaires, qui ont été présentés au Chef de l’Etat, révélant un total de 11.638 agents publics non recensés. Cette première étape nous a permis d’avoir une situation liminaire des agents qui se sont présentés au recensement et d’aboutir à des résultats définitifs. Des travaux complémentaires ont été initiés afin d’affiner certains constats, de poursuivre l’analyse qualitative des données, et de programmer une seconde phase de recensement des absents de la première.
Cette opération a été freinée en raison de la crise sanitaire que traverse notre pays depuis le mois de mars 2020. Son déploiement est aujourd’hui effectif et devrait permettre d’aboutir, à la fin du mois en cours, à des résultats définitifs. Le Gouvernement pourra ainsi disposer d’une base de données fiable sur son capital humain. La finalisation de cette opération de recensement est une étape nécessaire, utile et indispensable pour faire l’état des lieux de nos ressources humaines, et d’envisager les actions en vue de l’amélioration de sa gestion. L’ensemble des partenaires sociaux ont été régulièrement informés du déploiement de la première phase, des résultats intermédiaires et enfin, du déploiement de la seconde phase afin, qu’ils puissent relayer l’information à leurs bases. Le Chef de l’Etat, son Excellence Ali Bongo Ondimba a marqué son impatience quant à l’aboutissement de cette opération qui doit permettre à la fois, d’assainir notre fichier de la Solde, mais aussi de bâtir une véritable politique de gestion des ressources humaines capable de garantir la performance de notre administration.
Où en êtes-vous avec votre réforme de la Fonction Publique ?
La réforme de la Fonction publique a été, elle aussi, initiée sous l’angle de la concertation et de la participation, dans le souci de privilégier le dialogue social et d’être à l’écoute des partenaires sociaux. Cette étape de concertation et de consultation a donc démarré avec le Forum de la Fonction publique, les 8, 9, et 10 janvier.
L’objectif de ce cadre de concertation participatif était de recueillir des partenaires sociaux et des autres agents de l’administration publique, leurs avis sur les maux qui minent le fonctionnement efficient de notre administration. C’est le cas de la lourdeur des textes qui régissent la gestion efficace des ressources humaines, du système de formation des agents publics, de la qualité du dialogue social, de la mise à la retraite ou encore de l’arrimage des pensions retraites au nouveau système de rémunérations, sans oublier les conditions de travail et l’informatisation des services. Il était essentiel pour le Gouvernement de réformer la fonction publique en impliquant de façon participative les agents et les partenaires sociaux.
Les partenaires n’ont de cesse de faire des récriminations au gouvernement quant aux décisions prises de façon unilatérale. Cette fois, le Gouvernement, compte tenu de ce que ces textes impactent la gestion des relations Etat-employeur et agents-publics, en consultant les agents publics et les partenaires sociaux, a adopté une démarche proactive de dialogue social, consultative et participative, par ailleurs conforme aux recommandations de l’Organisation international du Travail (OIT) et du BIT, afin que les partenaires sociaux puissent s’approprier les enjeux de cette réforme, et mieux informer les agents.
Ce forum qui a vu la participation de l’ensemble des confédérations et syndicats de l’administration, avec plus de 800 participants, a abouti à 144 recommandations pertinentes qui serviront de base à la rédaction des textes législatifs et réglementaires qui matérialiseront la refonte totale de la Fonction publique.
L’objectif de ce forum n’a jamais été d’en faire une tribune revendicative des régularisations des situations administratives, bien que ce point ait été fortement exprimé au cours de ces assises. Cette ambition de refonte de la fonction publique en vue de sa performance et son efficacité était dans la feuille de route du Gouvernement, et son principe avait été acté à la suite de la rencontre du Premier Ministre avec l’ensemble des partenaires sociaux le mardi 23 avril 2019.
Au terme des travaux, les participants ont, d’accords parties, convenu de créer 4 commissions dont la mise en place est matérialisée par l’Arrêté n°20/MEFPTFPDS du 3 mars 2020. Leur composition a été fixée de façon participative par les partenaires sociaux eux-mêmes qui nous ont transmis les noms de leurs membres. Nous nous étonnons d’ailleurs que la liste des membres des commissions soit aujourd’hui remise en cause par un syndicat. C’est au sein de ces commissions qu’ont été réparties les 144 recommandations, pour leur examen et leur faisabilité : révision du cadre juridique ; ressources humaines et modernisation ; sociale et formation ; trêve sociale et dialogue social.
La crise sanitaire qui a impacté notre pays a hélas freiné la poursuite de ces travaux qui reprennent le 3 juin, après que nous ayons demandé aux partenaires sociaux d’en examiner la faisabilité du suivi, dans le respect strict des règles de prévention contre la propagation de la pandémie de COVID-19.
La semaine écoulée, une organisation syndicale est montée au créneau pour demander l’annulation du recensement en cours et exiger l’application immédiate et sans conditions des recommandations issues du Forum de la Fonction publique de janvier dernier. A quand l’effectivité de ces décisions prises d’un commun accord ?
Il y’a lieu de noter qu’il s’agit bien de recommandations, et non de résolutions. Sur le point relatif au recensement, je crois que tout est dit. Sur le point particulier des régularisations des situations administratives, nous avons échangé, de façon constructive, avec les partenaires sociaux, sur une démarche progressive, avec une réflexion à mener sur un calendrier tenant compte des disponibilités budgétaires de l’Etat, mais également sur une méthodologie axée sur les principes d’équité et de justice. En effet, lors de ce forum, les échanges ont révélé que toutes les situations administratives n’étaient pas acquises de façon régulière, c’est-à-dire en conformité avec les textes législatifs et réglementaires en vigueur et qui régissent les relations de travail au sein de l’administration publique. Il ne saurait donc y avoir d’automaticité à la régularisation. Un travail de fond à partir de l’analyse qualitative issue de l’opération de recensement devrait pouvoir permettre, en équité, la mise en place d’un chronogramme de régularisation. A titre d’exemple, je vous citerai le cas des reclassements après stage dont la régularité exige un accord du ministère de tutelle et l’avis de la commission d’admission en stage.
Précisons par ailleurs que l’évaluation du coût de l’ensemble des régularisations, incluant les recrutements des pré-salariés de toutes les administrations, les recrutements des diplômés des écoles nationales, les reclassements après stage, les avancements automatiques est de l’ordre de plus de deux cents milliards de francs CFA.
Il y a donc nécessairement une méthodologie progressive à adopter, qui passe par un plan de régularisations sur plusieurs années. En 2019, une première étape de régularisations a été réalisée sur les secteurs de la Santé, de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur et de l’administration pénitentiaire.
Le Gouvernement a ainsi démontré sa volonté de répondre progressivement à cette préoccupation de régularisations, et a indiqué aux partenaires sociaux la nécessité de fixer un cadre de poursuite de ce plan de régularisations sur les années à venir. C’est d’ailleurs dans le cadre de la commission y relative que les membres doivent échanger, dans un cadre de concertation constructif et transparent, sur ces enjeux de régularisations.
Nous ne pouvons alors que nous étonner de la nouvelle posture adoptée par certains partenaires sociaux, qui ont été impliqués dans le processus depuis le départ, ont contribué à la création et la composition des commissions. Ceux-ci avait été informés de l’arrêt des poursuites des travaux en raison de la crise sanitaire, du redéploiement de la seconde phase de recensement et enfin, du redémarrage des travaux dans le respect des gestes barrières.
Un rappel chronologique. Le Forum de la Fonction publique a eu lieu les 8, 9 et 10 janvier. Il a été suivi immédiatement de la phase de concertation sur le projet du Code du travail, le 3 février. Les cadres de discussions suite au forum ont été mis en place aussitôt et démarré au mois de mars avec la publication des arrêtés du Premier ministre et du Ministre de la Fonction publique. Il est alors possible d’affirmer que le Gouvernement a fait preuve de proactivité, de disponibilité et de capacité d’écoute. Nous comprenons les attentes légitimes des agents et travaillons à y apporter des réponses viables. Le Chef de l’Etat nous a instruits d’être à l’écoute et de faire preuve de disponibilité et d’innovations pour apporter des réponses efficaces aux administrés. Nous nous efforçons au mieux de créer les conditions d’un dialogue constructif, en dehors du mode d’expression de la grève. Et nous invitons l’ensemble des partenaires à participer à ces cadres de discussion car, nous sommes convaincus que c’est par le dialogue et la consultation que nous réussirons ce vaste chantier de la réforme de la Fonction publique.
Vous avez également entrepris le chantier de la réforme du Code du Travail, jusqu’où voulez-vous amener le nouveau Code ?
Sur ce point, les travaux de concertation tripartite ont abouti, le 9 février, à un consensus global de plus de 80% du projet. L’ensemble des travaux a été adressé dès le 12 février au Bureau International du Travail (BIT), pour avis. Nous restons à ce jour dans l’attente du retour et dès réception, nous organiserons à nouveau une consultation, avant la mise en circuit de la loi pour son adoption par le Parlement. Il ressort des derniers retours que nous avons eus de la Représentante Régionale du BIT, que les experts ont souhaité un délai supplémentaire de deux semaines. Les travaux devraient donc reprendre prochainement. Il s’agit là, d’une réforme emblématique pour notre pays qui disposera ainsi, d’un outil de travail moderne, adapté aux enjeux de l’employabilité, et garantissant une croissance des emplois. C’est une avancée significative.
Par ailleurs, l’opportunité de ces concertations avec les partenaires sociaux au cours de l’année 2019 et cette année 2020, a révélé certains écueils au niveau de la formation syndicale, de la représentativité professionnelle et du cadre du dialogue social.
C’est pour quoi, là aussi, nous avons saisi le BIT qui a marqué sa disponibilité à nous accompagner afin d’organiser des élections professionnelles avec des critères de représentativité ; des formations syndicales à l’intention des leaders syndicaux, des travailleurs et des agents syndiqués, des responsables de l’administration centrale ; et enfin, de mettre à disposition des outils sur le dialogue social inclusif et permanent. Concernant ce dernier point, nous avons entamé l’étape du choix d’un consultant local dont la mission sera de conduire la mise en place des outils avec les partenaires sociaux, avec l’assistance technique du BIT.
Comment redynamiser la formation professionnelle située au cœur des réformes envisagées dans la réduction du taux de chômage des jeunes ?
Ce volet n’est pas resté en marge des réformes engagées. Nous avons entamé, dès le mois de juillet 2019, une réflexion approfondie avec l’ensemble des acteurs public et privé, afin de valider l’adéquation entre l’offre de formation et le marché de l’emploi, et ce, sur l’ensemble de l’offre de formation disponible. Nous avons consolidé tous les projets de réhabilitation des centres de formation professionnels et des lycées techniques, ainsi que les 5 projets en construction, objet des financements extérieurs de la Banque Mondiale, de la Banque Africaine de Développement et de la China Eximbank.
Afin de nous assurer de la corrélation effective de l’offre de formation aux besoins du marché de l’emploi, nous avons sollicité du secteur privé, la description des profils des métiers nécessaires à leur productivité, l’expression de leurs recrutements, tout en leur demandant de s’associer à la gouvernance de ces établissements. Ce mode de gouvernance permettra de garantir l’accueil des jeunes, soit en apprentissage dual soit en stage, afin de mieux favoriser leur insertion professionnelle. Cette approche a été accueillie très favorablement et c’est ainsi, qu’à la gouvernance du Centre de formation professionnelle d’Akanda, spécialisé dans les métiers de la logistique et des transports, seront associés, les acteurs de la manutention, du transit et du secteur portuaire.
Pour conforter cette corrélation formation/emploi, nous avons également établi des statistiques sur les besoins des entreprises, à partir des autorisations de travail délivrées. Cela a révélé des besoins importants dans les métiers du bois (exploitation, transport et transformation), agricoles, miniers et pétroliers. Cette réflexion nous a permis de réviser les filières et les curricula des centres de formation. Nous avons également procédé à la refonte des textes, avec une vision de campus intégré, prenant en compte les segments de la formation technologique et professionnelle pré-bac et post-bac, bac pro et DUT.
Nous nous efforçons d’assurer la rentrée académique 2020/2021 de deux centres de formation professionnelle. Celui d’Akanda, don de sa Majesté le Roi Mohammed VI, et le centre multisectoriel de Nkok. Le lancement du centre d’Akanda permettra de former des techniciens pré-bac et post bac (niveau DUT), spécialisés d’exploitation en transport, des responsables d’exploitation logistique, des techniciens en réparation des engins, des conducteurs routier de voyageur, conducteur routier de marchandises, moniteur d’auto-emploi, agent magasinier technicien en logistique, de niveau troisième, préparateur de commande, des caristes d’entrepôt.
Le centre de formation professionnelle multisectoriel de Nkok offre des formations dans les métiers de mécanique, ingénierie de mécanique automobile, génie mécanique, électrique et électronique, fabrication métallique, génie électrique et électronique, ingénierie de soudage. Les travaux de construction sont quasiment achevés, mais ont été ralentis par la crise sanitaire. Quatre autres centres multisectoriels sont en cours de construction à Franceville, Port-Gentil, et Nkok dont un spécialisé dans les nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication, et l’autre en Bâtiments et Travaux Publics/bois, avec des livraisons sur l’année 2021, sous réserve de la réouverture des frontières notamment avec la Chine.
Votre mot de fin ?
Dans son adresse à la Nation le 31 décembre 2019, le président de la République, Ali Bongo Ondimba, était revenu sur la nécessité de rendre plus performante l’Administration gabonaise. Pour ce faire, il avait invité tous les acteurs concernés à un dialogue permanent, en vue de prendre en compte les aspirations légitimes de nos compatriotes. C’est cette démarche qui est privilégiée dans la mise en œuvre de l’ensemble des réformes en cours dans le département dont j’ai la charge. Il en sera toujours ainsi.