Par son refus de brader son statut d’ancien Premier ministre et son manque d’initiative au lendemain de l’incident de Riyad, l’ancien chef du gouvernement aura symbolisé les tourments des lendemains de la présidentielle contestée d’août 2016.
Franck Emmanuel Issozé-Ngondet a tiré sa révérence le 11 juin courant, au cœur de la nuit. A l’annonce de ce décès, des images ont dû défiler dans bien des esprits. Des images de la période allant de septembre 2016 à janvier 2019. Des images de la crise politique née de la présidentielle contestée d’août 2016 : dialogue d’Agondjé et dialogue national pour l’alternance, projet de loi mort-né portant sur une amnistie «au cas par cas, (de) certaines situations», révision constitutionnelle de janvier 2018 avec pour corollaires le renforcement des pouvoirs du président de la République et, ravalement de l’institution constitutionnelle en charge de la régulation de la communication au rang d’autorité administrative indépendante.
Marquée par la montée en puissance de Brice Laccruche-Alihanga, cette période restera à jamais celle de l’accident vasculaire cérébral du président de la République. Pour l’histoire, elle symbolisera l’incapacité des institutions nationales à imposer le respect sur la scène internationale ou à faire face aux velléités des cercles familiaux. Des divagations, tourments et incohérences de cette période-là, l’ancien Premier ministre demeurera le reflet.
Abstention en deux circonstances
Quelle image, Franck Emmanuel Issozé-Ngondet laisse-t-il de lui ? Le flou et l’incertitude prévalent ! Un Premier ministre rassembleur, faisant la promotion des compétences ? Cette image s’arrête aux limites de l’Ogooué-Ivindo, sa province natale. Si elle parle d’abord aux militants du Parti démocratique gabonais (PDG), seuls les membres de la majorité présidentielle la véhiculent. Un homme méthodique et à l’ouvrage ? La tenue de deux grands-messes politiques, convoquées respectivement par Ali Bongo et Jean Ping, suffit à ruiner cette thèse. Un homme d’idées ? L’abandon, en rase campagne, de son projet d’amnistie en dit long. Un homme de conviction ? Son incapacité à défendre le maintien du caractère dyarchique du pouvoir exécutif laisse dubitatif. Un homme de courage ? Avec lui, comme avec ses prédécesseurs, les directeurs de cabinet du président de la République n’ont eu aucun mal à réduire le chef du gouvernement au statut de collaborateur.
Au-delà de sa personnalité, on cherche surtout à cerner sa compréhension de la politique et de la vie publique, son acception de certaines notions fondamentales. Quelle idée se faisait-il de la République, de l’Etat ou de la nation ? S’étant laissé aller à des procès d’intention au sujet d’Alexandre Barro Chambrier, ayant préféré la solidarité partisane à la solidité du débat parlementaire, on peut s’interroger sur son sens du bien commun et de l’intérêt général. N’empêche, on doit lui savoir gré d’avoir sinon marqué son opposition, du moins clamé son abstention en deux circonstances : en préférant retrouver son siège de député au lieu d’aller pantoufler comme médiateur de la République et en refusant de prendre part à la «tournée républicaine» de Brice Laccruche-Alihanga.
Riyad ? Un monumental raté
Dans ces deux circonstances, Franck Emmanuel Issozé-Ngondet avait indiqué avoir une certaine idée des institutions. On se souvient encore des affiches à son effigie, déchirées et répandues dans la ville de Makokou, sans doute par des zélateurs du «messager intime» d’alors. Mais, tout cela restera anecdotique : en décidant de ne pas cautionner l’une des séquences les plus burlesques de l’histoire politique de notre pays, l’ancien Premier ministre afficha classe et panache, suscitant le respect, y compris au-delà de sa famille politique. Tour à tour, leader provincial, militant zélé, spectateur des bricolages institutionnels, initiateur de réformes inabouties ou héraut du respect des fondamentaux, il avait quand même essayé de se démarquer de la culture PDG. Au-delà de la défense d’intérêts personnels et particuliers, il a parfois pris des postures de circonstance.
Pour autant, le destin de Franck Emmanuel Issozé-Ngondet aurait été tout autre s’il n’avait su s’accommoder de certaines considérations propres à l’ex-parti unique : répartition des fonctions publiques par ethnies et provinces, préférence partisane, confusion entre biens publics et biens privés, mélange des genres, dissimulation et irresponsabilité. Ses foucades, sa conduite quotidienne, portaient la marque de son patrimoine génétique politique. Gabonais mais ressortissant de l’Ogooué-Ivindo avant tout, serviteur de la République mais d’abord militant PDG, il pouvait très bien, comme son mentor Ali Bongo, assimiler ses adversaires à «des opposants aigris et rongés par la haine.» Si son refus de brader son statut d’ancien Premier ministre lui confère honorabilité et respectabilité, son attentisme au lendemain de l’incident de Riyad restera à jamais un monumental raté. Aux confins de l’irresponsabilité, ce manque d’audace résumera à jamais sa carrière politique.