Lors de son audition devant les députés, le professeur Raoult a affirmé qu’il n’a jamais recommandé l’hydroxychloroquine comme traitement.
Question posée par Chamade69 le 25/06/2020
Bonjour,
Votre question fait suite à l’audition du professeur Didier Raoult à l’Assemblée nationale mercredi 24 juin. Vers la fin de cet interrogatoire, la députée LR Josiane Corneloup, pharmacienne de profession, lui demande son avis sur les restrictions de prescription de l’hydroxychloroquine pour les médecins. Le directeur de l’IHU de Marseille lui répond : «Je n’ai jamais recommandé ce traitement parce que je n’ai pas le droit de recommander un traitement qui est hors AMM. Je ne peux pas le recommander. Je peux dire ce que je fais, mais je ne peux pas le recommander. Et je ne l’ai jamais recommandé. Si vous écoutez bien ce que je dis : je dis ce que je fais, je ne recommande pas. C’est peut-être une nuance, mais c’est une nuance qui a son importance. Je pense que j’ai le devoir d’informer les gens. J’informe les gens quand on a un papier qui est en train d’être publié et qui devient public. Je n’ai pas de raison de ne pas informer de travaux que nous avons faits et qui sont publics.»
Ce n’est pas la première fois que l’infectiologue tient de tels propos : le 27 mai, après l’abrogation du décret autorisant l’utilisation de l’hydroxychloroquine pour soigner les patients atteints du coronavirus à l’hôpital (hors essais cliniques), Didier Raoult expliquait au micro de Sud Radio que cette décision signifiait «qu’on n’a pas le droit de recommander» le traitement, avant d’ajouter : «Je ne l’ai jamais recommandé, j’ai dit ce que je faisais mais je n’ai jamais recommandé un traitement.»
Double casquette
Depuis le début de la pandémie du coronavirus, le professeur marseillais s’est fait connaître du grand public en défendant l’efficacité d’un traitement à base d’hydroxychloroquine et d’azithromycine, qu’il a administré aux patients souffrant du Covid-19. Rien n’en a interdit la prescription, laquelle reste libre selon le code de déontologie médicale. Même hors AMM, la prescription demeure possible, ce qu’a toujours revendiqué Didier Raoult.
L’infectiologue marseillais reconnaît en revanche qu’il est interdit de recommander le produit au public, et jure s’être abstenu de le faire. Une déclaration que de nombreux internautes ont décrété mensongère. Sur les réseaux sociaux, ont été exhumés des articles de presse dans lesquels le professeur déclarait à 20 Minutes au mois de février, «ça serait honnêtement une faute médicale que de ne pas donner de la chloroquine au coronavirus chinois», ajoutant que «pour pas donner de la chloroquine, il faut être farci», ou encore au Parisien en mars : «Avec mon équipe, nous estimons avoir trouvé un traitement [hydroxychloroquine et azithromycine, ndlr]. Et sur le plan de l’éthique médicale, j’estime ne pas avoir le droit en tant que médecin de ne pas utiliser le seul traitement qui a jusqu’ici fait ses preuves. Je suis convaincu qu’à la fin tout le monde utilisera ce traitement.»
En plus de ces phrases données lors d’interviews, d’autres internautes ont souligné que dans un article signé par le professeur Raoult et son équipe, paru le 20 mars dans la revue scientifique International Journal of Antimicrobial Agents, on peut lire la phrase suivante : «nous recommandons que les patients souffrant du Covid-19 soient traités avec l’hydroxychloroquine et l’azithromycine pour guérir leur infection et limiter la transmission du virus à d’autres personnes afin de freiner la propagation de Covid-19 dans le monde.»
Ces différentes expressions sont elles sanctionnables ? Pour Didier Truchet, professeur émérite de l’Université Paris-II Panthéon-Assas, «en dehors des « recommandations » de bonne pratique émises en vertu du code de la santé publique par des agences sanitaires (HAS, ANSM…), le mot « recommandation » n’a pas de véritable signification juridique pour un médecin ou un chercheur». Ce qui ne veut pas dire que l’expression à propos d’un traitement soit libre. Ce cadre change en fonction du public auquel le médecin s’adresse.
«Il doit rester prudent dans ses propos»
Stéphane Brissy, maître de conférences en droit privé à l’Université de Nantes et membre de l’Institut Droit et Santé, explique que le médecin conserve une liberté d’opinion et d’expression plus importante lorsqu’il s’adresse à des confrères médecins que s’il s’agit du grand public. «Il doit rester prudent dans ses propos, en les accompagnant des réserves qui s’imposent, et rigoureux dans ses méthodes de recherche. Il peut néanmoins exprimer une opinion scientifique dans une revue spécialisée sans que celle-ci soit assimilable à une recommandation ou à un conseil faite au public non médical, et encore moins à une prescription faite à un patient.»
Ce qu’invoque d’ailleurs Yanis Roussel, le collaborateur de Didier Raoult en charge de sa communication : quand le professeur recommande l’hydroxychloroquine dans l’International Journal of Antimicrobial Agents, «c’est sa liberté de parole en tant que scientifique qui s’adresse à la communauté scientifique, mais pas en tant que médecin».
En revanche, le cadre est plus contraignant lorsque l’information médicale est délivrée au public, par exemple dans le cadre d’une interview. L’article 13 du code de déontologie médicale (art. R 4127-13 CSP) affirme que lorsqu’il s’adresse au public, et quel que soit le moyen de diffusion, le médecin ne doit faire état que «de données confirmées, faire preuve de prudence et avoir le souci des répercussions de ses propos auprès du public». Lorsqu’il s’adresse au public, et non à un patient précis, le médecin ne doit pas par ailleurs divulguer un traitement insuffisamment éprouvé (article 14).
Raoult a-t-il contrevenu à ces règles ? Par exemple quand il affirme en février dans 20 minutes : «ça serait honnêtement une faute médicale que de ne pas donner de la chloroquine» ? Yanis Roussel s’en défend et explique que le professeur marseillais «n’a pas recommandé de traitement» mais uniquement «dit ce qu’il fait». Une nuance contestable.
«Difficile de qualifier son comportement de faute disciplinaire»
Pour qu’une éventuelle faute disciplinaire soit examinée (par la juridiction disiplinaire de l’ordre national des médecins), il faudrait une plainte et une poursuite. Celle-ci pourrait émaner d’une autorité publique (procureur, ARS..), d’un conseil de l’ordre, d’un médecin ou d’un patient, explique Jerôme Peigné, professeur d’université à Paris. Pour autant, ce dernier est prudent sur ce qui en résulterait, notamment en raison de la confusion du débat sur l’hydroxychloroquine, particulièrement au début de la crise : «A la date où ils ont été tenus, en février et mars, les propos de Didier Raoult sont passés relativement inaperçus, car les données scientifiques étaient peu nombreuses. Aujourd’hui, les choses sont différentes et c’est ce qui explique qu’il soit plus prudent. On notera qu’il ne recommande plus le traitement dans les médias. On peut penser qu’il a été conseillé juridiquement sur ce qu’il pouvait dire. Mais de toute manière, tant qu’il y aura un débat scientifique sur le traitement, et même si les données actuelles de la sciences au plan international tendent à considérer l’hydroxychloroquine comme inappropriée au traitement du Covid-19, il est difficile de qualifier son comportement de faute disciplinaire pour une juridiction ordinale.»
Au-delà du volet disciplinaire, poursuit Jérôme Peigné, Didier Raoult pourrait en théorie être poursuivi au pénal «pour manquement aux règles sur la publicité pharmaceutique.»
Enfin, au plan civil, il faudrait qu’une victime ayant subi un préjudice lié à l’hydroxychloroquine introduise une action en réparation. «Il faudrait dans ce cas prouver que son préjudice est en relation causale directe avec le comportement de Didier Raoult. Ce qui serait très difficile à démontrer», selon le professeur de droit.
Cordialement
Jacques Pezet