Publiée le 13 juillet, la critique de l’étude de Didier Raoult est sans appel. Selon son auteur, le texte qui a popularisé l’usage de la chloroquine devait être tout simplement rétracté.
Elle est à l’origine de milliers de prescriptions d’hydroxychloroquine durant la crise du coronavirus. Déjà critiquée, la première étude encadrée par Didier Raoult fait l’objet depuis le 13 juillet d’une complète remise en cause. Dans une « revue » critique, publiée dans la revue The International Journal of Antimicrobial Agents, le chercheur hollandais Frits Rosendaal démonte en dix points le protocole du directeur de l’IHU de Marseille. Et relaie, une partie des critiques du monde scientifique. Didier Raoult, lui, a toujours défendu l’usage de la chloroquine dans le traitement des patients malades ainsi que sa méthode, assurant que « le médecin peut et doit réfléchir comme un médecin, et non pas comme un méthodologiste ».
Qui a écrit cette critique ?
L’auteur, Frits Rosendaal, est professeur d’épidémiologie clinique et président du département d’épidémiologie clinique au sein d’un l’hôpital universitaire aux Pays-Bas. Ponte de la médecine dans son pays, il a été distingué du prix Spinoza, la plus haute distinction hollandaise en termes de prix scientifique. Il a écrit cette critique à la demande de la Société internationale de chimiothérapie antimicrobienne (ISAC), comme « avis d’expert ».
Pourquoi a-t-il été choisi pour rédiger cette critique ? « Après la publication de l’étude de Didier Raoult, les directeurs de la revue ont envisagé de retirer l’article, en raison de critiques. Ils ont cherché un évaluateur indépendant, expert en méthodologie mais non impliqué dans tout cela, c’est-à-dire moi. Je n’avais même jamais vu l’article et j’ai décidé de faire la critique comme si elle était nouvelle, sans regarder le débat public. C’est la façon normale d’évaluer un manuscrit scientifique avant sa publication, ce qu’on appelle la révision par les pairs. Elle est envoyée à des experts, généralement 2 ou 3, qui rédigent une évaluation du manuscrit et l’envoient au rédacteur en chef, qui prend alors une décision. Même si c’était après la publication, je l’ai abordé exactement de la même manière », précise au Parisien, le chercheur Frits Rosendaal.
Sur l’article de Philippe Gautret, encadré par Didier Raoult publié en mars. Ce dernier prouvait, selon ses auteurs, l’efficacité de l’hydroxychloroquine comme traitement sur des patients hospitalisés souffrant du Covid-19. Mais pour Frits Rosendaal, « cette étude souffre de lacunes méthodologiques majeures qui la rendent presque sinon complètement non informative ». Le chercheur va même plus loin. « Le ton du rapport, présenté comme une preuve d’un effet de l’hydroxychloroquine et même en recommandant son utilisation, est non seulement non fondé, mais, étant donné la demande désespérée d’un traitement pour Covid-19, couplée avec le côté potentiellement de graves effets de l’hydroxychloroquine, totalement irresponsable », écrit-il en préambule.
Que contient-elle précisément ?
Pour en arriver à une telle conclusion, le chercheur démonte en dix points le protocole de Didier Raoult et de ses collègues. Il s’attaque d’abord à la méthodologie utilisée par le directeur de l’IHU de Marseille, et notamment le choix d’un protocole ouvert et non randomisé, où l’affectation aux différents groupes est décidée et gérée par l’investigateur. La durée du test pose également question selon Rosendaal : six jours contre les 14 jours habituellement nécessaires.
Le choix de la charge virale dans les écouvillons, comme critère d’évaluation, interroge également le chercheur. Autre limite, la présence supposée d’« asymptomatiques », – quatre dans le groupe témoin et deux- dans le groupe traité. « Pourtant, le manuscrit décrit cela comme une étude chez des patients hospitalisés. Il semble peu probable que des patients asymptomatiques soient admis à l’hôpital », note Rosendaal.
Ces critiques sont-elles justifiées ?
Elles sont partagées par un grand nombre de la communauté scientifique. « Cette étude est sortie en mars. À l’époque, elle avait reçu beaucoup de critiques de la part de scientifiques du monde entier. Si on regarde sur Pubpeer (NDLR : un site Internet qui permet aux utilisateurs d’émettre des commentaires sur des articles scientifiques en post-publication, on constate qu’il y avait énormément de critiques sur la méthodologie, les statistiques. Beaucoup de points étaient soulevés », relève Mathieu Rebeaud, doctorant en biochimie à l’université de Lausanne.
« C’est vraiment un vrai travail de rewieving (NDLR : relecture scientifique), il n’y a rien à dire sur les points soulevés. Contrairement a ce que dit Raoult, la méthode compte, c’est la base de la science. Toutes les critiques sont justifiées, et la conclusion, est réaliste. Mais désormais le mal est fait, souligne de son côté Carole Dufouil, épidémiologiste. Ce que je trouve positif dans le papier de ce chercheur, c’est que même si l’étude de Raoult est imparfaite, il y avait tout pour bien faire. Et normalement, on fait des ajustements quand il y a des biais, sauf que là, rien n’a été fait. C’est comme si on cachait un éléphant dans un magasin de porcelaine », poursuit-elle.
Pourquoi cette critique ne sort que maintenant ?
Beaucoup de scientifiques s’interrogent sur le délai de publication de cette critique. Soumise à l’ISAC en avril, elle n’a été publiée que le 13 juillet. « L’article de Gautret, lui a été publié en moins de 24 heures, c’est quelque chose d’aberrant. Les critiques prennent des semaines voire des mois à sortir, quand des études très mauvaises prennent 24 heures à sortir. C’est ça le problème. Quand on peut publier dans le journal de son pote, c’est très facile de passer des articles comme on veut, mais des critiques cela prend du temps », tance Mathieu Rebeaud.
Car le lien entre l’éditeur en chef de la revue The International Journal of Antimicrobial Agents, Jean-Marc Rolain, interroge : il n’est autre qu’un des membres de l’équipe de Didier Raoult et le coauteur de l’étude. Résultat : peu de chance que cette critique ait des conséquences sur l’étude du célèbre directeur de l’IHU, selon certains. « Cette critique devrait amener à une révision majeure, ou à un retrait de l’étude. Mais le fait que ce soit rattaché à l’IHU, ça n’ira pas plus loin », selon Carole Dufouil.
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« J’ai recommandé de la retirer, car elle n’était pas informative, et à mon avis avec des conclusions de grande portée qui étaient sans fondement et peut-être trompeuses. L’ISAC a décidé de ne pas se rétracter, mais de considérer cela comme un débat scientifique. J’ai alors pris la position qu’il serait important de rendre cette revue publique, et j’ai insisté pour la publier sans qu’une seule lettre ne soit modifiée. Je pense qu’une action en justice était à craindre à ce sujet, ce qui retarderait la publication de la revue, et ces délibérations ont donc pris du temps », répond de son côté Frits Rosendaal.
Par Aurélie SiposLe 16 juillet 2020 à 17h35, modifié le 17 juillet 2020 à 09h53