Dans le dernier volet d’une enquête multimédia publiant des écoutes judiciaires de l’ex-chef des renseignements français, Bernard Squarcini, le journal en ligne Mediapart révèle les relations au Gabon de l’ex-haut fonctionnaire, passé directeur de société privée. “Le Squale”, de son surnom, qui a officié sous Nicolas Sarkozy, appelle par exemple, entre mars et avril 2013, l’ex-directeur de cabinet Maixent Accrombessi, ou encore le Corse Michel Tomi, “parrain des parrains”, directeur au Gabon du Casino, du PMUG ou d’Afrijet, qu’il considère comme un ami.
«- Accrombessi : Allo?
– Squarcini : Monsieur Maixent, bonjour. C’est Bernard à Paris.
– Accrombessi : Ah, quel plaisir de t’entendre !»
Le début de la conversation du 7 mars 2013 entre Bernard Squarcini et Maixent Accrombessi, publiée par Mediapart, est enjoué. Les deux hommes se connaissent. Pour celui qui vient d’être remplacé en 2012 à la tête de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) française, il s’agit désormais de parler business. Bernard Squarcini vient de créer Kyrnos Conseil, une société privée de renseignement qui travaille déjà avec la multinationale du luxe LVMH. Il veut proposer ses services à l’État gabonais.
Il invite Maixent Accrombessi à «réfléchir sur un audit sur les services et autres.» Ce dernier lui répond qu’il a «une autre idée, dont (on) parlera.»
Jean-Baptiste Squarcini nommé par Accrombessi aux parcs nationaux
Dans sa conversation avec l’ex-puissant chef de cabinet d’Ali Bongo, Bernard Squarcini n’oublie pas de remercier sa puissante connaissance gabonaise pour le poste octroyé à son fils:
«- Squarcini : En plus tu as fait un grand plaisir à Jean-Baptiste en le faisant nommer en Conseil des ministres chef de service chargé de tout l’aménagement des parcs naturels.
– Accrombessi : C’est élémentaire.
– Squarcini : Mais j’ai beaucoup apprécié, faudra remercier le patron bien sûr.
Accrombessi : T’inquiète pas, t’inquiète pas.»
On se souvient en effet de ce que Jean-Baptiste Squarcini, 37 ans, avait été nommé, en Conseil des ministres du 27 décembre 2013, chef de service chargé de l’aménagement des parcs, donc sur recommandation directe du président Ali Bongo. Il a alors travaillé avec Lee White en tant que conseiller chargé des aménagements des parcs nationaux. On comprend mieux maintenant à quoi rimait ce «parachutage» du fils du patron du renseignement intérieur français. Le jeune homme avait fait l’objet, en février 2012, d’une enquête préliminaire menée par les gendarmes de la section de recherches de Marseille, pour avoir, se racontait-il alors, été recruté et augmenté à la société «13 Développement» grâce à un trafic d’influence. Le salaire du fiston, selon la gendarmerie française, avait été augmenté de près de 1 000 euros, en octobre 2007, pour passer de 2 à 3 000 euros. Nombreux estiment qu’il avait alors été mis à l’abri au Gabon pour échapper à la justice française.
“Passer la couche de miel”
Pour ses affaires, Bernard Squarcini, pour y revenir, est en lien avec une société de sécurité privée, à laquelle il fait aussi appel pour fortifier ses chances de signer le juteux contrat au Gabon. Dans sa conversation avec un employé de cette société, publiée par Mediapart, il explique qu’il faudra «passer la couche de miel» à Maixent Accrombessi, sans oublier de discuter avec le chef des services d’alors, Frédéric Bongo.
L’ex-patron des services secrets intérieurs à Libreville en négociateur
Le Squale fait jouer un autre atout au Gabon : Jean-Charles Lamonica, ex-patron des services secrets intérieurs français basé au Gabon. Ce dernier a alors besoin de Squarcini à Paris pour négocier son poste qui risque d’être supprimé. Son ex-collègue patron de la DCRI essaye de rassurer son ami Lamonica : «Alors, qu’il y ait un front vraiment anti-Ali Bongo de la part d’Hollande, OK. Mais qu’on ne ruine pas l’investissement sur toute une zone hypersensible qui va basculer du jour au lendemain, et tous nos intérêts français sont quand même importants là bas.»
En échange, Squarcini demande à Lamonica de rencontrer Maixent Accrombessi et Frédéric Bongo pour leur parler à nouveau du contrat avec sa société. «Lamonica : Je l’avais (Accrombessi, ndlr) vu le dimanche dernier, à la plage. On s’est baigné ensemble… et voilà. Bon, la balle est dans le camp de qui ? De Frédéric, de Maixent ?
Squarcini : Oui, de Maixent. Voilà, Frédéric et Maixent, tu fais les deux.»
Propos racistes
À un ami, Bernard Squarcini parle de ses affaires qui vont bon train, tout en critiquant la politique du nouveau président depuis 2012, François Hollande, avec des paroles racistes.
«- Squarcini : Et ouais, c’est des mecs qui te payent rubis sur l’ongle (au Gabon, ndlr). Alors tu apprends à payer ta TVA à 19,60. Je paye ma cotisation à la retraite 10.000 euros de charges sociales par mois. Mais putain, tout ça pour le gros connard qui enrichit les noirs et les Arabes là.
– Ami de Squarcini : Ah oui oui oui, ça m’en parle pas, c’est affolant ! Enfin c’est…
– Squarcini : Et très modestement, si tu as besoin d’une adresse, un truc, parce que tu sais je me suis mis dans certains milieux…
– Ami de Squarcini : Économiques ?
– Squarcini : Voilà.»
Le grand ami corse, le parrain des parrains, Michel Tomi
“Le Squale” est un grand ami du «parrain des parrains» corse, Michel Tomi. Ce dernier a fait carrière en Afrique et notamment au Gabon. Proche du Palais du Bord de Mer, en 2013, il gère avec son fils Jean-Baptiste Tomi, dit “Bati” le PMUG, le Casino Croisette, ou encore Afrijet, et bien d’autres affaires.
«À la date des écoutes avec le Squale, Tomi a déjà été condamné par la justice dans une affaire de Casinos ayant impliqué l’ancien ministre Charles Pasqua. Il le sera dans un autre dossier après», contextualise Mediapart.
En 2018, la justice française abandonnera les poursuites pour corruption contre Michel Tomi.
«- Tomi : Je vous dérange, mon cher neveu ?
– Squarcini : Oh, ça va ?! Tonton comment tu vas? Alors?»
La proximité entre ces deux hommes, longtemps objet de rumeurs, «n’avait jamais été vraiment démontrée à ce point», précise Mediapart.
Tomi demande souvent des services à son ami Squarcini. Il a besoin, par exemple, que l’ex-policier négocie pour un poste à Montpellier pour son frère, Paul-Antoine Tomi, commissaire à la direction centrale du renseignement intérieur. Ce dernier n’a pas été accepté à Nice, du fait de son lien de parenté avec Michel. Le Squale s’exécute en appelant Frédéric Veaux, alors à la police judiciaire, devenu aujourd’hui patron de la police nationale. Il négocie Montpellier pour Paul-Antoine Tomi.
Les conversations révélées par Mediapart se terminent par un rendez-vous à Paris entre Michel Tomi et Bernard Squarcini, le 26 avril 2013. Les deux hommes préfèrent se parler de vive voix, évitant ainsi l’enregistrement téléphonique.
Le lien vers l’ensemble de l’enquête multimédia : “Le Maître Espion, l’Afrique et le Parrain des Parrains” (épisode 4) publié le 18 juillet 2020 par Fabrice Arfi et Pascale Pascariello: https://www.mediapart.fr/journal/france/180720/episode-4-le-maitre-espion-l-afrique-et-le-parrain-des-parrains