Non coté, le discret groupe pétrolier n’est pas soumis aux mêmes règles de transparence que la plupart de ses concurrents. Mais s’attire de plus en plus de critiques.
Pour le moment, en dépit de plusieurs actions devant les tribunaux et instances français, le pétrolier controversé Perenco, propriété de la famille Perrodo, a réussi à éviter les foudres de la justice.
Le 17 septembre, la cour d’appel de Paris a en effet rejeté les demandes de Sherpa et les Amis de la Terre visant à autoriser un huissier à saisir des documents au siège de la Perenco France. Il s’agissait pour les deux ONG d’obtenir des informations relatives à l’implication éventuelle des dirigeants de la filiale française dans la pollution autour de ses sites extractifs de Muanda, en RDC. Une première décision de justice favorable aux ONG avait auparavant autorisé un huissier à venir saisir les documents en septembre 2018, mais Perenco lui avait bloqué l’accès à ses locaux.
Mouvements sociaux en Tunisie
Une autre procédure est en cours, cette fois-ci reliée aux activités tunisiennes du groupe extractif franco-britannique. Le 26 juillet 2018, Avocats sans frontière (ASF, ONG belge) et I Watch (ONG tunisienne) ont saisi le Point de contact national (PCN) français de l’OCDE au sujet des activités du Groupe Perenco dans le gouvernorat de Kebili, dans le sud tunisien.
Les abords des sites extractifs tunisiens de Perenco, qui font l’objet de contrats de concession avec l’État, sont régulièrement le théâtre de mouvements sociaux de la part des populations locales, inquiètes de l’impact de ces activités sur la santé et l’environnement. Devant le refus de Perenco de communiquer des informations sur le sujet, les deux ONG ont décidé la saisine du PCN français, qui s’est déclaré compétent, et qui peut obliger les sociétés immatriculées en France à communiquer des documents sur leur conformité avec les Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales.
Si les ONG s’intéressent depuis longtemps au très discret Perenco, le mode de fonctionnement du groupe pétrolier interroge également de plus en plus les professionnels du secteur extractif, pourtant souvent moins regardants sur les questions éthiques. Société familiale fondée par le Breton Hubert Perrodo, décédé en 2006, et désormais pilotée par son fils François Perrodo, Perenco est le pionnier du créneau de l’optimisation des champs pétroliers matures repris à des majors – telles que Total ou Chevron – qui préfèrent s’en séparer à la fin de leur exploitation.
Agilité opérationnelle et opacité
Avec ce modèle, le groupe familial, qui affiche une production de 465 000 barils par jour sur son site internet, est devenu un poids lourd du secteur dans plusieurs pays francophones, où il noue des liens étroits avec ses dirigeants politiques. C’est le cas au Gabon, où il est le premier producteur de brut du pays, avec 55 000 barils extraits chaque jour, mais aussi en RDC, où il est le seul producteur pétrolier, avec quelque 25 000 barils par jour. Le groupe est également bien implanté en Tunisie, ainsi qu’au Cameroun, où il a démarré une activité de liquéfaction gazière, et au Congo Brazzaville.
Alors que sa production place Perenco au second rang des pétroliers français derrière Total, le groupe familial non coté, qui a installé son siège social au Royaume-Uni (alors que l’essentiel de la direction opérationnelle et de ses équipes d’ingénieurs sont installés en France), n’est pas soumis aux mêmes règles de transparence que la plupart des autres sociétés pétrolières de la même taille.
« L’action des dirigeants de Perenco ne fait l’objet d’aucun contrôle par des tiers. Ils font comme s’ils étaient en dehors de toute juridiction, ce qui leur donne un sentiment de toute puissance voire d’impunité, en particulier quand ils sont en tête à tête avec des responsables de gouvernements africains », estime un cadre dirigeant d’une compagnie concurrente active dans des pays où est présent Perenco, qui se dit par ailleurs admiratif de l’agilité opérationnelle des ingénieurs du groupe.
Un modèle durable ?
« Via des réseaux annexes – notamment la franc-maçonnerie ou les circuits automobiles – les responsables de Perenco ont tissé des liens personnels durables avec les dirigeants politiques, notamment au Gabon. Et parfois force est de constater que ces liens ont parfois plus d’influence que la recherche du bien commun pour le pays » dénonce un cadre pétrolier familier de Libreville.
« Quand nous avons revendu nos actifs à Perenco, qui n’est pas soumis aux mêmes règles internes que nous en matière de protection de l’environnement, il était clair que l’arrêt du torchage (le fait de brûler les gaz issus de l’extraction pétrolière, ce qui émet des gaz à effet de serre) ne serait plus à l’ordre du jour une fois la transaction réglée », regrette quant à lui un cadre opérationnel d’une major ayant cédé un site extractif africain au groupe il y a quelques années.
Contacté à plusieurs reprises par Jeune Afrique ces derniers mois, via son service de communication, ses cadres opérationnels et l’un de ses avocats, Perenco a refusé de s’exprimer à la fois sur sa gouvernance et sur ses activités en RDC et au Gabon. Mais cette discrétion absolue, devenue au fil du temps une véritable marque de fabrique du groupe, risque de ne tenir qu’un temps. Les critiques grandissantes à son encontre venue des professionnels du pétrole, alliées à celles perdurant des ONG, pourraient obliger à l’avenir le groupe à revoir sa communication et ses méthodes pour améliorer ses relations avec les communautés locales, mais aussi avec ses pairs du secteur.