Malgré un budget 2021 contraint, notamment en matière d’investissement, Libreville compte poursuivre ses chantiers en cours, des zones agricoles à forte productivité à la Transgabonaise.
Adopté le 13 octobre en Conseil des ministres, le projet de loi de finances du Gabon pour 2021 est encore en attente de son passage devant le Parlement. Pour l’instant, le budget est prévu à 2 681 milliards de francs CFA (4 milliards d’euros).
Des prévisions initiales à la baisse par rapport à la loi de finances rectificative (LFR) 2020 qui tablait sur 3 047 milliards de F CFA . Courant 2020, le budget avait déjà connu 9 % de baisse par rapport aux prévisions.
Si quelques grands projets sont en cours, comme la route Transgabonaise Libreville-Franceville, en partenariat public privé (PPP) avec la multinationale Arise et le fonds français Meridiam, la zone économique spéciale de Nkok ou encore les Zones agricoles à forte productivité (ZAP) au sein du « projet Graine », les dépenses d’investissement – 483 milliards de F CFA – sont « tellement faibles qu’il sera difficile pour un État comme le Gabon, où la puissance publique est moteur, de tenir ses promesses » pointe l’économiste Mays Mouissi.
Déjà courant 2020, le budget d’investissement s’était contracté de 26 % pour s’établir à 380 milliards de FCFA.
Un secteur privé fragile
L’État a certes massivement recours aux PPP pour alléger ses dépenses d’investissement. Mais ce sont souvent des sociétés étrangères qui en bénéficient, et l’État manque de véritable politique de soutien aux entreprises locales, souligne Jean-Louis Nkoulou Nkoulou, professeur d’économie à l’Université Omar-Bongo (UOB).
Un avis partagé par Francis Evouna, président du Conseil gabonais du patronat (CGP), selon lequel les PME gabonaises sont « fragilisées par les délais de paiement non respectés, la marginalisation au niveau de l’attribution des marchés, les difficultés d’accès aux financements et le poids des mesures fiscales qui restent encore punitives, dogmatiques voire coercitives ».
Le patron du CGP s’interroge notamment après l’annulation de plus de 367 millions d’euros de créances réclamées à l’État par la taskforce de Noureddin Bongo, dans le cadre d’un audit de la dette intérieure.
L’État gabonais, qui a longtemps été le principal employeur du pays, cherche pourtant à réduire le coût de la fonction publique – et donc à développer un secteur privé solide.
L’indicateur masse salariale/recettes fiscales est d’ailleurs passé de 74,7 % en 2017 à 53 % en 2019, et devrait encore diminuer, selon le gouvernement, alors que la Cemac préconise un indicateur égal ou inférieur à 35 %.
Des économistes inquiets
Le Gabon est aussi en préparation d’un Code des investissements avec notamment la réduction des délais de création des entreprises grâce à un guichet unique et numérique.
Pour continuer à financer ses projets en cette période de crise, l’État compte également sur un « meilleur recouvrement des taxes et impôts », une « optimisation des dépenses de fonctionnement » et « la révision de certaines dépenses d’investissement » comme l’annonçait en juillet le porte-parole de la présidence, Jessye Ella.
Mais Jean-Louis Nkoulou Nkoulou se demande si l’État parviendra même à assumer les charges sociales liées à la sortie de crise sanitaire. L’économiste s’inquiète en particulier des ressources de trésorerie et de financement, qui se situeraient à 807,0 milliards FCFA, contre 1 545,3 milliards FCFA dans la LFR de 2020. Une baisse de près de moitié.
De son côté, Mays Mouissi estime que l’État devrait aussi chercher à régler quelques incongruités budgétaires. En 2019, il pointait du doigt les « dépenses superflues en période de crise », comme les 2,1 milliards de F CFA attribués au ministre de l’Économie pour « équiper son cabinet de véhicules ».
Des objectifs de production tenables ?
Autre point qui fait tiquer les observateurs, les prévisions de production sur lesquelles est basé ce budget, et qui sont relativement similaires aux prévisions de 2020.
Le projet de loi de finances table ainsi sur une production pétrolière 2021 de 10,5 millions de tonnes, soit environ 220 000 barils/jour, contre 10,4 millions de tonnes dans la loi de finances rectificative 2020. Or, dans le cadre de l’accord Opep++ du 12 avril dernier, le Gabon est censé baisser à 144 000 barils sa production quotidienne.
Pour établir le budget, le gouvernement a également anticipé un prix du baril à 41 dollars, proche du niveau actuel à 42-43 dollars, des exportations de manganèse de 8 millions de tonnes (contre 6 millions de tonnes dans la LFR 2020), une production de bois de 1 061 milliers de mètres cubes, ou encore un taux de change de 580 FCFA/USD. Autant de prévisions « qui sont incertaines dans ce contexte crise sanitaire mondiale » rappelle M. Nkoulou Nkoulou.
Et Françoise Van de Ven, la déléguée générale de l’Union des forestiers industriels du Gabon et aménagistes (Ufiga), de mettre en avant le mauvais état des infrastructures routières, les lenteurs à l’export ou encore la fiscalité et la parafiscalité formelles et informelles , qui restent autant de freins à l’économie forestière.
Une dette qui pourrait devenir « à risque »
Il faudra aussi tenir compte de l’augmentation de la dette publique gabonaise – d’autant plus que le Gabon pourrait emprunter à nouveau. Le Fonds monétaire international (FMI) prévoit que la, dette jusque-là « viable », pourrait frôler 75 % du PIB en 2021, soit le « repère de risque élevé ».
Cependant, l’agence de notation Moody’s a salué en juillet 2020 les efforts du Gabon pour l’apurement de la dette extérieure, malgré le contexte de crise, et a relevé de « stable » à « positive » la perspective de la note Caa1 attribuée au Gabon.
Le projet initial de loi de finances estime que les charges financières de la dette « s’établissent à 273 milliards FCFA contre 277 milliards FCFA dans la loi de finances rectificative 2020, soit une baisse de 3,6 milliards FCFA ».